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Glyphosate : «On regrette le manque de courage du ministre»


«Le gouvernement ne peut pas se soustraire à sa responsabilité vis-à-vis des personnes et de l’environnement», clame Raymond Aendekerk. (photo Julien Garroy)

Raymond Aendekerk, directeur de Greenpeace Luxembourg, reproche au ministre de l’Agriculture un «manque de courage» pour ne pas avoir décrété de nouvelle interdiction d’un herbicide toujours potentiellement cancérogène.

La levée par la justice de l’interdiction du glyphosate et la décision de l’UE de revoir à la hausse ses objectifs en matière d’énergie renouvelable ont dominé ce tout début de printemps, du moins pour les ONG de lutte pour une meilleure protection de l’environnement. Le Quotidien a rencontré Raymond Aendekerk, le directeur de Greenpeace Luxembourg, pour évoquer ces deux dossiers, avec un constat clé : «L’urgence ne cesse de devenir plus grave.»

La cour administrative a confirmé en date du jeudi 30 mars que l’interdiction de la mise sur le marché du glyphosate, imposée par le Luxembourg, n’est pas conforme au droit européen. S’agit-il d’un revers pour le gouvernement, mais aussi pour les ONG environnementales comme Greenpeace?

Raymond Aendekerk : D’un côté, il s’agit bien d’un revers, car, pour une fois, le Luxembourg a fait bonne figure dans le cadre du plan de réduction des pesticides. En Europe, la décision d’interdire en premier le glyphosate a été bien accueillie par les écologistes, mais aussi par de nombreux consommateurs. La décision nous a réjouis. Mais nous avons dû constater qu’il y avait un bémol, à savoir l’apparent manque de sécurité juridique pour faire appliquer cette interdiction.

Greenpeace a rapidement lancé un appel au gouvernement pour épuiser toutes les possibilités juridiques afin de maintenir le glyphosate interdit à l’usage au Luxembourg. Avez-vous identifié des pistes pour y parvenir?

La cour fait remarquer que le gouvernement s’est contenté d’adopter un arrêté ministériel, sans fournir d’arguments juridiques pour justifier l’interdiction. Les juges estiment plus précisément que « le ministre aurait dû, non seulement indiquer (…) les motifs de droit qui l’amenaient à agir, mais encore sous-tendre sa décision en considérant que le produit visé présente toujours un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale, voire pour l’environnement (…)« . On est d’avis que la fourniture de cette justification sanitaire est une piste pour maintenir l’interdiction, car les risques liés au glyphosate restent bien réels.

Vendredi, le ministre de l’Agriculture, Claude Haagen, a présenté le plan de contre-attaque du gouvernement, sans toutefois décréter de nouvelle interdiction. Comment jugez-vous cette réaction?

On regrette le manque de courage du ministre pour décréter une nouvelle interdiction. Le gouvernement ne peut pas se soustraire à sa responsabilité vis-à-vis des personnes et de l’environnement. Il doit immédiatement prendre toutes les mesures juridiques possibles afin de retirer à nouveau le glyphosate de la circulation. Le ministre Haagen doit mieux se faire conseiller. La législation européenne offre, en effet, aux États membres un certain nombre d’options pour éliminer progressivement le glyphosate et d’autres pesticides dangereux pour l’environnement et pour notre santé.

En attendant, redoutez-vous que le glyphosate fasse son retour sur les terres agricoles du Luxembourg?

Il est peut-être encore un peu tôt pour le dire. Au départ, une série d’agriculteurs étaient mécontents de l’interdiction. Entretemps, des nouveaux modes opératoires ont pu être développés. Les agriculteurs se sont, donc, habitués à cette interdiction. Il est d’autant plus dommageable que le travail précieux fourni risque d’être remis en question. Il reviendra dès à présent au ministère d’encourager les agriculteurs à continuer à ne pas employer de glyphosate, en mettant sur pied des programmes de subventions adéquats, et ce, aussi pour d’autres pesticides.

Dans nos colonnes, des représentants du monde agricole et viticole ont déploré le manque d’alternatives durables au glyphosate. Ils ont notamment mentionné que les labours détruisent les sols et sont sans pitié pour la faune qui les peuple. De plus, l’emploi de machines lourdes augmenterait le bilan carbone. Comment se positionne Greenpeace par rapport à ces réflexions?

Il faut relativiser ces propos. En premier lieu, il faut savoir que le glyphosate est un herbicide total, c’est-à-dire que quelques heures après l’avoir employé sur une plaine, les herbes deviennent jaunes. Si on le fait pendant des décennies, le potentiel pour la biodiversité, surtout sur les prairies, est détruit pour de bon. Ensuite, les agriculteurs décident la plupart du temps de renoncer à une rotation annuelle des cultures. Si l’on travaille de la sorte, vous avez beaucoup plus de difficultés à maîtriser les mauvaises herbes ou les maladies phytosanitaires qui peuvent toucher les cultures. Or, avec une rotation renforcée des cultures, le système agricole devient beaucoup plus sain. Le rendement est peut-être plus faible, mais vous avez une meilleure biodiversité, qui ne nécessite plus aucun emploi de pesticides. Une promotion de l’agriculture biologique, qui pratique un système circulaire à la base des ressources naturelles, serait la solution la plus pertinente.

Qu’en est-il de l’argument sur les émissions de CO2?

Il faut rappeler que notre agriculture est surtout basée sur des exploitations bovines, viande et lait, pour l’exportation. Plus de 70 % des surfaces agricoles du pays sont des superficies fourragères. Grâce à la réduction du cheptel, surtout dans le domaine de l’industrie laitière, on pourrait procéder à un tout autre assolement et rotation des cultures, renforçant la biodiversité et rendant l’agriculture à nouveau plus naturelle.

Au-delà du glyphosate, il existe un plan national de réduction de pesticides. Le Luxembourg est-il engagé sur la bonne voie?

On est certainement engagé sur le bon chemin, même si le bilan chiffré est encore en deçà des objectifs fixés (NDLR : -36 % contre -50 % des tonnages appliqués des produits phytopharmaceutiques jusqu’en 2030). À l’échelle de l’UE, les plans de réduction ont été mis entre parenthèses en raison de la guerre en Ukraine. L’objectif est de permettre une agriculture intensive, ce qui est, à nos yeux, une erreur. Mais des nouveaux programmes liés avec la nouvelle loi agraire sont en route afin de travailler sans pesticides.

Dans tous les domaines, il faut accélérer la cadence pour réussir à éviter le pire

 

Dans l’UE, le glyphosate reste toléré jusqu’à fin 2023, en raison notamment du retard pris par une expertise. Néanmoins, l’Agence européenne des produits chimiques va à l’encontre de l’avis de l’OMS et estime que la classification du glyphosate comme « cancérogène n’est pas justifiée ». Que vous inspire cette conclusion?

Il existe des centaines d’études scientifiques sur le sujet. Les unes concluent assez clairement qu’il n’existe pas de risque, souvent des études de l’industrie. Les autres évoquent un risque qui n’est pas à négliger, souvent des études des institutions indépendantes. Parmi les études scientifiques qui ont fait l’objet d’une peer review (NDLR : évaluation par des pairs), la plupart concluent à une grande probabilité que le glyphosate est potentiellement cancérogène. À partir de ce moment, il faut que le principe de précaution soit appliqué, à l’image de ce qui a été fait pour les organismes génétiquement modifiés. Ça fait aussi partie de la loi européenne.

Craignez-vous toutefois que l’UE puisse prolonger l’autorisation de mise sur le marché au-delà du 15 décembre 2023?

Il faut attendre les conclusions de l’expertise, annoncées pour juillet, afin de savoir si de nouveaux éléments seront avancés, et dans quelle mesure aura pesé le lobbyisme des multinationales. On ne peut donc pas exclure que les choses basculent dans le mauvais sens. Tout se joue à la fin dans un cadre juridique, mais les juges ne se posent pas forcément la question suivante : dans quelle mesure la biodiversité est-elle vraiment impactée par ce genre de produits phytosanitaires?

L’autre grande actualité concerne la récente décision de l’UE d’augmenter, d’ici 2030, la part d’énergies renouvelables à 42,5 % dans la consommation énergétique. Comment jugez-vous ce nouvel objectif?

Les ambitions doivent être grandes. Le plus important est que les objectifs qui sont définis puissent aussi être atteints. Je suis assez optimiste que cela sera possible, à condition que la volonté politique soit assez grande et de mettre à disposition les moyens financiers nécessaires. En même temps, il faut réduire le subventionnement des énergies fossiles, autrement dit les taxer plus lourdement. L’accord prévoit aussi des aides pour les ménages les plus vulnérables. Dans leur globalité, il s’agit de beaucoup d’aspects positifs, même s’il ne faut pas oublier que les objectifs fixés ne sont toujours pas suffisants pour vraiment freiner le changement climatique. L’urgence ne cesse de devenir plus grave. Quelque part, on court toujours derrière les pourcentages définis. Dans tous les domaines, il faut accélérer la cadence pour réussir à éviter le pire.

L’accord permet de miser, en partie, sur le nucléaire dans la production d’hydrogène décarboné. Cette clause ne vient-elle pas entacher un accord misant sur l’énergie verte?

Cette exception peut, en effet, s’avérer dangereuse. On aurait pu s’attendre à une séparation plus nette entre ce qui est vraiment durable et le nucléaire, qui, avec cet accord, continue à être courtisé.

Pour contribuer au nouvel l’objectif européen, le Luxembourg devra augmenter d’ici 2030 son quota d’énergies renouvelables de 25 à 35 %. Est-ce que ce chiffre vous semble réaliste?

La trajectoire annoncée n’est certainement pas irréaliste. Il nous faut néanmoins analyser ce qui est possible sur le plan technique. Quelle est la capacité artisanale? Quelle est la lourdeur des procédures pour installer des panneaux photovoltaïques et des éoliennes? Le Luxembourg, en tant que pays riche, a un grand potentiel. Il faut continuer à encourager les propriétaires des maisons et appartements à investir dans l’énergie renouvelable en leur accordant de nouveaux avantages fiscaux. Malgré tout, il faut garder aussi un œil critique sur la véritable capacité du Luxembourg en termes de mobilité, industrie, agriculture et infrastructures. Il existe déjà des pistes pour procéder à de grands changements.

Le ministre de l’Énergie, Claude Turmes, se vante toujours que le Grand-Duché se trouve dans le peloton de tête européen en ce qui concerne les énergies renouvelables. Partagez-vous cet optimisme?

Dans le domaine de l’énergie solaire, le potentiel de développement est encore très important. Il suffit de regarder le faible pourcentage actuel de toits équipés de panneaux photovoltaïques. Il faut continuer à appuyer ces installations, tout en revalorisant l’artisanat. Le besoin en artisans qualifiés sera aussi décisif pour l’installation renforcée de pompes à chaleur. Dans l’ensemble, on a besoin de développer encore plus fortement une approche plus écologique. Pour y parvenir, le seul chemin est d’accorder des subventions conséquentes.

Qu’en est-il de l’éolien?

Le potentiel pour faire davantage est clairement présent. Je trouve aussi qu’au Luxembourg, on a bien pris en compte les doléances des protecteurs de l’environnement. Les résultats atteints, notamment pour protéger les oiseaux et chauves-souris, sont positifs. La technologie a évolué, et les exploitants d’éoliennes ne sont pas insensibles à cette thématique. On se trouve sur un bon chemin.

Tous ces éléments doivent-ils se retrouver dans le second plan Énergie-Climat (PNEC), qui est d’ores et déjà annoncé?

Absolument. La loi climat prévoit une plateforme d’échange où toutes les parties prenantes ont pu s’exprimer, même si ça a pris trop long temps à démarrer et que le format n’est pas idéal. Une première ébauche du nouveau PNEC doit être présentée à la mi-avril. On a hâte de découvrir quels sont les éléments retenus par le gouvernement. Je rappelle que l’ensemble des ambitions climatiques doivent être revues à la hausse et que le chemin pour y arriver doit être plus clair pour tout le monde. Nous avons besoin de l’engagement de toutes et de tous.

 

3 plusieurs commentaires

  1. Tout ce que dit Greenpeace, sauf extraordinaire, est sans valeur car filtré par une idéologie mortifère.

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