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Christophe Schiltz : «On ne tire pas obligatoirement sa légitimité d’une élection»


«S’il y a une ingérence ou une limitation des libertés publiques, il faut que cette limitation soit proportionnelle.» Photo : Alain Rischard

Le président du Conseil d’État, Christophe Schiltz, est toujours prêt à expliquer ce que fait cette institution à qui l’on reproche, parfois, son manque de légitimité. Le Conseil d’État préfère se concentrer sur la sérénité de ses débats.

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Vous souhaitiez, à votre arrivée à la présidence du Conseil d’État, ouvrir l’institution vers l’extérieur. Vous en êtes où, après deux ans de pandémie?

Christophe Schiltz : Avec la pandémie, ce fut plus difficile, bien sûr. Nous avons pu organiser le pot du Nouvel An cette semaine, après deux ans de pause, et nous allons également présenter à nouveau le rapport annuel du Conseil d’État dans quelques semaines pour expliquer et dire ce qu’on a fait l’année passée. Ce moyen est très important, tout comme donner des interviews quand on me sollicite, pour expliquer ce que l’on fait. Je me rends compte que nos travaux ne sont pas toujours compris à 100 %.

Pendant la pandémie, le Conseil d’État a été énormément sollicité et mis souvent sous pression. Cela vous a-t-il posé des problèmes, parfois, vous qui devez veiller au respect des droits fondamentaux?

Nous n’avions pas le choix, il a fallu réagir rapidement, l’urgence l’imposait. Pour les droits fondamentaux, il arrive, parfois, qu’ils soient en conflit l’un avec l’autre et notre tâche est de trouver un équilibre. C’est le cas avec les libertés individuelles qui peuvent s’opposer au droit à la santé, qui est un droit fondamental à protéger également.

S’il y a un danger pour le droit à la santé, il est évident que nous devons trouver un équilibre entre les deux. Il n’y a pas de liberté absolue de tout pouvoir faire, il y a aussi le droit des autres. Si le Conseil d’État avait jugé que les projets de loi pour gérer la pandémie étaient déraisonnables, il l’aurait dit. Il a estimé, au contraire, que les lois présentées pouvaient entrer en vigueur. Il y a eu quand même des amendements sur certains textes, selon nos suggestions.

Il y a eu une polémique récente sur l’avis que vous avez rendu concernant le projet de loi sur les déguerpissements. La Gauche vous a reproché d’avoir tardé à le rendre, alors qu’il y avait urgence à voter le texte avant la fin de l’année. Comment avez-vous pris ces critiques?

Le projet de loi a été déposé début octobre, nous avons rendu notre avis le 13 décembre, ce n’est pas un délai excessif pour ce genre de projet, plus court que d’autres peut-être, mais la question était assez complexe.

Surtout, nous avions encore deux sessions plénières après le 13 décembre et rien n’aurait empêché d’adopter encore un amendement et de le soumettre au Conseil d’État, on aurait donné un nouvel avis et le texte aurait pu être voté avec un amendement.

J’ai donné récemment l’exemple du dossier sur la responsabilité des ministres. Nous avons rendu notre avis en décembre, la commission compétente de la Chambre des députés a insisté pour voter le texte en janvier et nous avons eu une réunion avec eux pour voir le calendrier. Ils nous ont soumis un amendement pendant les congés, nous avons rendu notre avis ce matin (vendredi dernier, NDLR) et le projet de loi sera voté la semaine prochaine.

Peut-être qu’il y a eu une urgence artificielle dans le dossier des déguerpissements, mais rien n’aurait empêché de procéder de manière identique. Il y aurait eu un retard de deux semaines, mais l’urgence était peut-être relative dans ce contexte.

Certains observateurs ont accusé le Conseil d’État d’avoir dicté la loi et d’avoir plutôt défendu les propriétaires face aux locataires. Que leur répondez-vous?

On suggère un texte, on ne le dicte pas. Parfois, on nous reproche de faire une opposition formelle sans faire de proposition. Quand on suggère un texte, on nous le reproche aussi. Nous avons proposé un texte qui nous permettait de lever l’opposition formelle. Un amendement aurait été possible, donc nous n’avons rien dicté.

C’est un exemple qui illustre aussi le souci de proportionnalité qu’observe le Conseil d’État dans ses avis…

Cette opposition formelle en est une sur 387 en 2022. Elle correspond à un avis sur 474. Il faut là aussi garder les proportions et mettre en perspective. Mais c’est vrai que ce dossier illustre la question de la proportionnalité, qui est un principe auquel le Conseil d’État doit se tenir et qu’il doit appliquer.

La Cour constitutionnelle a dit que ce principe de proportionnalité était un principe à valeur constitutionnelle qui s’impose à différents acteurs, députés comme conseillers d’État, donc nous n’avons pas d’autre choix que de l’appliquer. Ce principe est aussi dans la clause transversale de la Constitution révisée.

S’il y a une ingérence ou une limitation des libertés publiques, il faut que cette limitation soit proportionnelle. Bien sûr, le Conseil d’État devra évaluer si, à ses yeux, une mesure est proportionnelle au but recherché et par rapport aux conséquences qu’elle entraîne.

C’est un exercice qui ne sera pas facile à faire, mais que le Conseil d’État devra faire plus que par le passé. Dans beaucoup de cas, il y a un équilibre à trouver entre différents intérêts en jeu et le Conseil d’État devra voir comment appliquer ce principe de proportionnalité. La position de la Cour constitutionnelle est la même, elle doit aussi trancher. Nous, on ne donne qu’un avis. C’est le gouvernement et la Chambre des députés qui décident ce qu’ils en font.

Pourquoi le Conseil d’État est-il aussi attaché au secret de ses délibérations?

Nous sommes une institution indépendante. Ce qui est important, c’est que nos avis soient élaborés de façon indépendante. Il faut éviter une politisation, une pression de l’extérieur sur les conseillers, pour qu’ils puissent travailler en tant que collège, en toute sérénité. Je pense que cela fait la force du Conseil d’État de savoir que les avis ont été rédigés de manière indépendante, sans pressions indues du gouvernement, de la Chambre ou d’autres.

Les membres des différentes commissions sont connus et l’on sait laquelle va analyser le projet de loi soumis. Notre autre force, c’est que la très grande majorité des avis sont adoptés à l’unanimité. Il n’y a pas de clivage politique comme à la Chambre des députés.

La nouvelle Constitution va vous donner plus de travail, avez-vous déclaré lors de la réception de Nouvel An. Êtes-vous préparé?

C’est surtout à ce point précis du principe de proportionnalité que je pensais, et à certains changements dans les textes. Dans certains dossiers, nous aurons moins de travail et plus dans d’autres. Par exemple, l’Éducation, pour une grande partie, n’est plus une matière réservée, donc il y aura moins d’oppositions formelles que par le passé, qui rappelaient que la matière était réservée à la loi.

Les auteurs des projets de loi ne pouvaient pas se contenter de dire qu’un règlement grand-ducal allait fixer les détails quand ces détails devaient figurer dans la loi. Il faudra s’adapter aux nouvelles normes pour voir leurs impacts en détail.

«Parfois, on nous reproche de faire une opposition formelle sans faire de proposition. Quand on suggère un texte, on nous le reproche aussi.»

Est-ce qu’on oublie son étiquette politique quand on siège au Conseil d’État?

Oui. La preuve en est que nous adoptons nos avis à l’unanimité. Les votes au Conseil d’État refléteraient ceux de la Chambre des députés sinon. Quand je suis entré au Conseil d’État, je pensais aussi qu’il y aurait plus de discussions politiques, mais ce n’est pas le cas.

La révision constitutionnelle a très peu retouché votre institution…

En ce qui nous concerne, il y a eu un changement important dans la mesure où les députés peuvent désormais questionner le Conseil d’État, comme seul le faisait le gouvernement. On verra à quoi s’attendre.

Que répondez-vous à ceux qui reprochent un manque de légitimité aux conseillers d’État, nommés et non élus?

Le Conseil d’État n’est pas une deuxième chambre, ce n’est pas le Sénat, qui n’est pas élu directement non plus, comme le Bundesrat, et c’est pareil en Belgique et aux Pays-Bas. Dire d’une institution qui n’est pas élue directement qu’elle n’a pas de légitimité, c’est un argument avec lequel je ne suis pas nécessairement d’accord. Je ne veux pas dire que le Conseil d’État est au même niveau qu’une deuxième chambre, qui a d’ailleurs beaucoup plus de pouvoir dans le processus législatif.

Nous sommes nommés par la Chambre qui, elle, est élue, et par le gouvernement. Nous avons une légitimité démocratique indirecte, au moins, mais également une légitimité fonctionnelle que nous tirons de la Constitution qui nous confère cette tâche. Quand la Cour constitutionnelle annule des lois, nous ne disons pas que les juges n’ont aucune légitimité, car ils ne sont pas élus. On ne tire pas obligatoirement sa légitimité d’une élection, comme le montrent des tas d’exemples.

Quels sont les chantiers que vous voulez engager dans l’institution?

Nous sommes en train de travailler sur différents changements. Nous révisons nos outils informatiques pour travailler plus rapidement en interne, être plus efficace. Il y a les élections qui arrivent et nous connaîtrons une pression plus accrue pour rendre les avis dans des délais encore plus rapprochés.

Nous avons instauré une commission spéciale pour couvrir un certain nombre de dossiers et avancer plus rapidement. Pour l’instant, nous avons des commissions avec moins de dossiers, d’autres avec beaucoup de dossiers que nous essayons de soulager, donc nous procédons à une réorganisation interne. L’accent pour les prochains mois sera mis sur les avis à rendre à temps pour que les députés puissent voter les projets avant la fin de la législature.

Les conseillers d’État sont-ils confrontés aux lobbys?

Parfois, il y a des demandes pour des rendez-vous. En règle générale, nous avons des rencontres avec des acteurs institutionnels. On ne peut pas parler de lobbys. Souvent, nous attendons les avis des chambres professionnelles, des instances judiciaires, des commissions diverses, bref, beaucoup d’instances qui rendent des avis dont nous tenons compte pour rédiger le nôtre. Nous essayons de rendre nos avis dans la sérénité, de faire une analyse des textes et c’est aux autres acteurs d’en tirer les conséquences.

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