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Nicolas Zharov : «On ne peut pas abandonner les Ukrainiens»


«Il faut expliquer que même si on s’est habitués à cette guerre, il n’y a pas moins de crimes et autres atrocités qui sont commis tous les jours par l’armée russe», insiste Nicolas Zharov.

Nicolas Zharov, le président de l’association LUkraine, souligne l’importance de continuer à soutenir l’armée ukrainienne et le peuple ukrainien dans leur lutte contre l’agresseur russe. Au bout de 10 mois de guerre, des failles existeraient toutefois toujours, y compris au Luxembourg.

Il affirme vivre un cauchemar qui ne s’arrête plus. Nicolas Zharov est un Ukrainien de naissance qui vit depuis 16 ans au Luxembourg. En tant que président de l’association LUkraine, il est engagé tous les jours pour venir en aide à son peuple meurtri par la guerre d’agression lancée le 24 février par la Russie. Au Luxembourg, l’accueil des réfugiés ukrainiens est encore perfectible, clame notre invité.

Comment allez-vous et comment se porte la communauté ukrainienne au Luxembourg, dix mois après le début de l’agression russe contre son pays natal?

Nicolas Zharov : Personnellement, je vis une journée interminable. Plus encore, c’est un cauchemar qui ne s’arrête plus. Chaque jour, je me réveille avec des sentiments très mitigés. Mais une ou deux secondes plus tard, je comprends que c’est la réalité et qu’il faut y aller.

La motivation pour m’engager reste présente, même s’il y a des hauts et des bas en semaine. Ces dix derniers mois ont été très difficiles pour nous, pour notre association, pour les gens qui sont venus trouver refuge au Luxembourg, mais aussi pour les Ukrainiens qui sont restés au pays.

Quels sont les échos que vous recevez du terrain?

Ce matin encore (lire vendredi), des missiles russes se sont abattus sur l’Ukraine. Une partie de mes amis et de ma famille vit toujours sous l’occupation russe, l’autre partie reste sans eau, électricité et chauffage. J’ai aussi des amis et membres de ma famille qui sont sur le front.

Avec l’hiver et le froid, les soldats vivent dans des conditions insupportables. Les civils rencontrent différentes situations en fonction de la région et des villes où ils habitent. Les gens ont pris l’habitude de vivre dans cette guerre.

Quelques jours avant le début de l’invasion russe, vous aviez rappelé dans nos colonnes que la guerre faisait déjà rage depuis huit ans en Ukraine. Vous aviez ajouté que « le peuple ukrainien est plus fort et mieux préparé qu’en 2014 à riposter ». Comment expliquez-vous la force de résistance de vos compatriotes?

Le courage du peuple est étonnant pour tout le monde, mais je pense que cette force de résistance a toujours été en nous. En fait, ça fait des siècles que l’Ukraine est menacée par l’impérialisme russe. Nous avons toujours souffert. Maintenant, on comprend très bien qu’on ne défend pas seulement notre peuple et notre territoire, mais aussi notre façon de vivre qu’on partage avec les Européens et les Occidentaux.

On défend des valeurs communes parce que la guerre de la Russie n’est pas menée contre l’Ukraine ou un nazisme inventé, mais bien contre l’OTAN, l’Occident et l’Europe. Poutine veut recréer l’Empire russe d’antan.

Le même Vladimir Poutine pensait conquérir l’Ukraine en quelques jours à peine. A-t-il sous-estimé les Ukrainiens?

Il faut savoir que le moment choisi par Poutine pour attaquer était bien choisi. Les élections en France approchaient, en Allemagne, le nouveau chancelier venait à peine de prendre ses fonctions dans une coalition à trois partis, alors que les États-Unis étaient affaiblis par le retrait chaotique de leurs troupes d’Afghanistan. Poutine n’aurait jamais pensé que l’Europe et l’OTAN allaient être tellement unies face à cette agression russe.

Je veux aussi rappeler que lors des deux trois premiers mois, on disposait de très peu d’armement. On s’est battus avec nos propres mains. On a vu des gens voler les chars russes à l’aide d’un tracteur. C’est ça la résistance. Ils ont cru en eux-mêmes.

Et ils continuent de le faire malgré la durée de cette guerre, la difficulté de cette guerre, le rapport de force déséquilibré. Mais nous avons l’esprit. Les soldats russes n’ont pas cet esprit. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont là. Même si la propagande joue un rôle important, ils ne sont pas motivés.

Au fil des mois, l’armée ukrainienne a réussi à lancer d’importantes contre-offensives. Vous avez réclamé très tôt du soutien militaire. Les livraisons d’armes par les pays de l’OTAN sont-elles suffisantes?

C’est bien que le président Zelensky ait pu réunir tellement de pays en cette situation difficile sur le plan politique et militaire. L’armement joue un rôle important. Il est peut-être même plus décisif que le soutien humanitaire et financier. La tactique qui est utilisée par l’armée ukrainienne a étonné pas mal de généraux russes et autres.

On a mené une contre-offensive dans la région de Kharkiv qui est énorme d’un point de vue militaire. Il faut aujourd’hui que les livraisons d’armes continuent à gagner en importance. Tout le monde dit que l’Ukraine doit gagner. Gagner, c’est récupérer les territoires reconnus internationalement, y compris la Crimée.

Pour pouvoir le faire, il faut des armements. Les livraisons doivent être structurées. Il faut être conscient que plus longtemps ça prend, plus de temps la guerre va durer et plus de personnes vont mourir.

Au bout de dix mois de guerre, certaines voix deviennent plus pressantes pour réclamer des négociations de paix en imposant à l’Ukraine de céder la partie du territoire prise par la Russie. Que vous inspire ce genre de revendication?

La propagande russe veut faire croire que l’Europe est fatiguée de la guerre. C’est la tactique de Poutine. Mais il fait fausse route. La très grande majorité des pays continuent de soutenir l’Ukraine. Oui, on peut clamer que l’on doit céder les territoires occupés et déclarer notre défaite.

Ainsi, la guerre va prendre fin et plus personne ne va mourir. Mais ça, c’est le point de vue de la Russie. Nous avons un tout autre point de vue. Après toutes les atrocités que l’on a vues, les meurtres et viols, les déportations… on ne peut pas abandonner ces gens ! Bien sûr, tout le monde veut que la guerre se termine. Un jour, elle va se terminer à la table des négociations. Mais les conditions sont bien claires.

Elles ont été annoncées par la présidence ukrainienne et sont soutenues par l’Occident. C’est à nous de décider quand le moment sera venu de nous asseoir à table, et non pas à l’agresseur. Et surtout, les responsables pour les crimes de guerre commis doivent être punis par une Cour pénale internationale.

Dans les foyers, les réfugiés sont un peu tenus comme dans un camp. Même s’ils sont libres de bouger, ils sont exposés à pas mal de contraintes. Cela limite le potentiel humain

Depuis le 24 février, l’Europe et le Luxembourg ont fait preuve d’une énorme solidarité avec l’Ukraine. Quelle est la situation des réfugiés de guerre arrivés au Grand-Duché?

Le Luxembourg est un petit pays qui a un très grand cœur. Ce qu’a fait le Grand-Duché depuis le premier jour de l’agression est exemplaire. Peu d’Ukrainiens ayant trouvé refuge au Luxembourg sont entretemps retournés au pays. Certains ont migré vers d’autres pays, mais ce sont toujours quelque 5 000 réfugiés qui sont accueillis au Grand-Duché, dont 2 500 dans des familles d’accueil.

Malgré tous les efforts consentis, la situation n’est pas superbe. Malheureusement, 10 mois après le début de la guerre, il existe toujours des problèmes qu’on essaye de résoudre au niveau des hébergements, du traitement des réfugiés, de l’alimentation ou de la santé. L’approche de l’État n’est pas la bonne.

Au Luxembourg, comme ailleurs, il faut comprendre que les réfugiés constituent une opportunité pour un pays. Il faut investir en eux au lieu de les garder enfermés dans un foyer à huis clos.

Vous plaidez pour une décentralisation des réfugiés, à l’image de ce qui s’est fait avec les familles d’accueil. Que retirez-vous de cette expérience?

Déjà, lors des deux premiers mois, 1 000 Ukrainiens ont trouvé refuge dans une famille d’accueil. Notre objectif était de donner au gouvernement le temps pour s’organiser. Les organisations qui ont pris le relais ont fait un grand travail, mais qui n’est pas efficace.

Dans les foyers, les réfugiés sont un peu tenus comme dans un camp. Même s’ils sont libres de bouger, ils subissent beaucoup de contrôles, sont exposés à pas mal de contraintes. Cela limite le potentiel humain.

De notre côté, on est limités dans nos moyens d’intervention. Il existe néanmoins toujours la volonté d’accueillir des réfugiés en privé. Or on nous dit que les hébergements qui sont proposés ne correspondent pas aux critères, alors que ces lieux sont bien meilleurs que les foyers étatiques.

Et au lieu de créer des ghettos à Luxembourg, pourquoi ne pas créer des petites structures d’accueil dans les 102 communes que compte le pays? Il s’agirait d’investissements durables. On a trouvé une entreprise pour nous fournir les modules, mais il nous manque des professionnels pour réaliser un tel projet. On demande uniquement une chance de prouver ce que l’on est capables de faire.

La tension est-elle aussi importante que cela?

On ne dit pas que tout va mal. Mais il y a des problèmes. Nous avons des idées et solutions à proposer pour améliorer les choses. Ça marche chez nous avec des moyens très limités. Au niveau de l’accueil de réfugiés, nous avons trouvé quelques niches qui ne sont pas du tout occupées mais qui sont très importantes.

Le soutien psychologique en fait partie. Nous avons aujourd’hui six psychologues qui travaillent avec les réfugiés. C’est quelque chose d’essentiel. Si on se contente de les enfermer, la situation va continuer à se dégrader.

L’aide que votre association apporte a tout de même pris une autre dimension avec la collecte de fonds baptisée « Ukraine is calling ». Quels sont les contours de ce projet?

Le projet se développe à l’échelle internationale. Tout part depuis le Luxembourg. Pour sensibiliser le public, nous avons fait venir une ambulance à Belval, détruite par un missile russe, et un camion de pompiers devant la Philharmonie, détruit par une mine. Les fonds collectés doivent servir à envoyer et financer du nouveau matériel pour les secouristes en Ukraine. Ils risquent doublement leur vie.

Il faut leur donner les moyens, surtout que plus de 2 500 voitures de secours ont été détruites depuis le début de la guerre. Et c’est toujours dans le cadre de ce projet que le ministère de l’Intérieur et le CGDIS ont mis à disposition les huit ambulances qui vont partir ce 21 décembre dans un convoi, avec quatre autres ambulances et cinq camions de pompiers, en Ukraine.

La deuxième étape du projet sera lancée sous peu en Belgique, avec une installation des véhicules détruits devant le Parlement européen.

Pouvez-vous chiffrer le soutien financier apporté par la population luxembourgeoise à vos actions?

La transparence est très importante pour nous. Il faut admettre que le soutien financier a assez fortement baissé depuis le mois de juin, même si on constate une légère augmentation depuis le lancement de « Ukraine is calling ».

Jusqu’à fin juin, nous avions récolté 1,5 million d’euros. Sur les derniers mois, on a encore pu récolter quelque 400 000 euros.

S’agit-il d’un signe de lassitude, aussi en raison de l’impact économique qu’a la guerre sur le Luxembourg?

C’est le narratif russe de dire que l’Europe est fatiguée. Au Luxembourg, il est toutefois compréhensible qu’une certaine fatigue psychologique s’installe. Mais c’est temporaire. Il faut continuer à parler aux gens.

Il faut expliquer que même si on s’est habitués à cette guerre, il n’y a pas moins de crimes et autres atrocités qui sont commis tous les jours par l’armée russe. Grâce à la nouvelle campagne, nous avons réussi à le faire.

Quel est le message que vous souhaitez donner pour 2023?

Il faut rester unis. L’Europe a vécu des années très difficiles, même avant la guerre. Mais dans l’unité, on est forts. Si tout le monde se soutient, la vie sera meilleure.

3 plusieurs commentaires

  1. Il oublie que les ukrainiens font encore plus d’atrocités que les russes. Par exemple les russes ne torturent pas leurs prisonniers contrairement aux ukrainiens.

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