La Fédération des hôpitaux luxembourgeois organisera jeudi la première journée du patient-partenaire, un concept qui intègre le patient dans l’équipe soignante, pour un échange des savoirs. La démocratie en santé.
Martine Cholewiak, la directrice des soins au pôle interne des Hôpitaux Robert-Schuman (HRS), et Laurent Wolf, conseiller soins et qualité à la Fédération des hôpitaux luxembourgeois (FHL), nous expliquent ce nouveau concept, indispensable pour les traitements à l’avenir où le temps passé à l’hôpital sera toujours raccourci.
La Fédération des hôpitaux luxembourgeois ambitionne d’introduire dans le débat public luxembourgeois le concept de patient-partenaire. Doit-on comprendre que le patient sera enfin écouté ?
Laurent Wolf : Oui, l’objectif est bien d’améliorer l’inclusion du patient dans la prise en charge, sachant que beaucoup d’initiatives ont déjà été mises en place. Les hôpitaux sont dans une démarche d’amélioration continue et ce concept est une piste supplémentaire. Depuis la loi de 2014 sur les droits et obligations du patient, les hôpitaux ont instauré des structures obligatoires, comme l’accès au dossier, l’accompagnateur, le consentement, et avec ce concept, on passe d’une approche assez paternaliste où le soignant a l’expertise à celle où le patient est, lui aussi, expert de sa maladie, avec, en main, toutes les informations que l’équipe soignante lui donnent. Chaque patient va pouvoir gérer sa maladie et son traitement au mieux.
Martine Cholewiak : Des patients ont des savoirs expérientiels qu’ils développent à travers la prise en charge de leur traitement. Nous avons des patients qui suivent des traitements lourds à domicile, comme la dialyse péritonéale. Ils ont un temps de formation d’une semaine ou quinze jours avec les professionnels de santé, mais c’est tous les jours qu’ils vont faire leur traitement, pendant 365 jours dans l’année. Qui est l’expert du traitement? Le professionnel qui a donné une formation de départ ou le patient qui le vit tous les jours, apprend et constate certaines choses. Ces savoirs expérientiels alliés aux savoirs des professionnels, ça améliore forcément le tout. Les professionnels de santé sont focalisés sur la maladie et voient moins la vie avec la maladie, et c’est là où le patient est expert.
Ce concept introduit la notion de codécision, une petite révolution ?
L. W. : Oui, le patient est intégré dans l’équipe soignante et ils vont prendre une décision ensemble.
M. C. : Le patient est un soignant comme les autres. Quand on parle d’acteur de la santé, cela fait référence au patient capable de se soigner. C’est la reconnaissance de ses savoirs. Il est indispensable que le patient prenne des décisions pour lui-même. Ce n’est pas une obligation, on sait très bien qu’il y a des patients qui ont confiance en leurs soignants et c’est déjà, pour moi, une forme de collaboration. Mais depuis le développement des techniques d’information, les patients ont accès à tout sur internet et des forums de patients se sont multipliés. Quelque chose est en train de se passer à ce niveau-là et, en face, il y a le monde de la santé qui chavire, avec des soignants qui démissionnent, un ras-le-bol qui est là. Et nous avons aujourd’hui ce choc entre un monde de la santé qui n’arrive plus à faire face et une demande très importante des patients qui veulent s’impliquer et prendre part aux décisions quand ils sont malades, d’où l’apparition de ce concept de patient-partenaire qui se développe de plus en plus.
Comment ce concept peut-il participer à l’amélioration des soins ?
M. C. : Parce qu’aujourd’hui, il y a des professionnels de la santé qui sont autour d’une table et qui pensent que « pour » le patient, ce serait mieux de mettre en place tel service, tel plan. Or ce n’est pas toujours le cas. Si on ne fait pas « avec » le patient, on va aller au-delà ou en deçà de ses besoins et on ne touche pas vraiment l’objectif, pour le patient et pour la famille. Avec son patient-partenaire, on dispose de son expérience et on répond mieux à ses besoins. C’est ce passage du « pour » à « avec » qui améliore l’organisation des soins.
Ces ateliers ont permis de prendre conscience qu’il y a de l’expérience, des idées et des besoins de la part des patients
L. W. : La FHL a mis en place des ateliers dans les quatre grands hôpitaux, d’autres établissements et des médecins généralistes. On a réuni des patients et des soignants, la parole était complètement libre et confidentielle et moi-même, qui suis soignant, j’ai été surpris par la qualité des échanges et des thèmes abordés par les patients.
M. C : Ces ateliers ont permis de prendre conscience qu’il y a de l’expérience, des idées et des besoins de la part des patients et de leurs familles, puisqu’elles étaient représentées dans ces ateliers. En leur laissant l’espace et l’expression, on s’est aperçu qu’on pouvait construire quelque chose avec eux.
Tout monde peut-il devenir patient-partenaire ?
M. C. : Ce sont des personnes avec des compétences particulières que l’on recrute, donc tout le monde ne peut pas être patient-partenaire. Il faut d’abord être partenaire de ses soins et avoir l’envie d’accompagner d’autres patients ou des soignants dans des projets. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on devient patient-partenaire, sinon il y a un risque de courir au désastre, parce que la façon de se raconter à d’autres patients va empirer la situation. Ces patients-là doivent être formés et accompagnés et, aux Hôpitaux Robert-Schuman, on met en place ce groupe de travail avec des professionnels, des patients et des familles, baptisé comité du partenariat.
Quel est le rôle de ce comité du partenariat ?
M. C. : C’est un comité qui va filtrer. Le risque, demain, c’est que ce concept devienne à la mode et que l’on sursollicite des patients qui sont encore dans leur parcours de soins et encore fatigués. Il faut bien structurer ce modèle, parce que pour pouvoir se raconter, il y a un minimum de pédagogie à avoir. Il y a des patients qui peuvent améliorer l’organisation dans un hôpital, donc ils vont faire partie de comités pour codécider et ils vont faire partie de projets, c’est ce qu’on va mettre en place. La base, c’est bien que le patient soit partenaire de ses soins. Il y a peut-être des initiatives ici et là, mais, aujourd’hui, on n’apprend pas au patient à être partenaire, à développer son pouvoir d’agir. Ce comité de partenariat va aider les patients, par exemple, à préparer un questionnaire avant une visite médicale. Il y a des patients qui perdent leurs moyens face à des médecins, qui ne savent plus quoi dire, qui ont tout oublié. On peut les préparer ou peut-être les faire accompagner par un autre patient qui va les rassurer, reprendre les informations avec eux. Attention, il ne faut pas passer d’un paternalisme des professionnels de santé au paternalisme des patients-partenaires qui sont avant tout des accompagnateurs. Et ça se structure, comme le souligne très bien le centre des compétences de Montréal (NDLR : pionnier dans le domaine du patient-partenaire) en indiquant qu’il faut commencer par l’organisation. Je suis totalement convaincue que notre représentation des patients passe par leur place dans les institutions.
Comment ce concept peut-il également apporter du bien-être au travail pour les équipes soignantes ?
L. W. : On a vu, à travers les ateliers, que le fait de redonner la parole au patient, ça redonne aussi du sens au quotidien des soignants. C’est un nouvel angle d’attaque de la prise en charge du patient qui a du sens. On passe d’une vision de gestion des plaintes à l’anticipation.
M. C. : Comme la représentation du patient change, la représentation des soignants pour le patient change aussi. Le soignant est dans un monde de services et, je le vois tous les jours, il y a des demandes, parfois, de patients qui dépassent le cadre, où on a l’impression d’être dans un hôtel trois étoiles. Le fait de recentrer le partenariat sur le projet de soins du patient, d’égal à égal avec les soignants, améliore leur bien-être. Comme le dit Laurent, les soignants retrouvent le sens des soins et ne sont plus juste des prestataires de services et de techniques. La reconnaissance de la personne, patient comme soignant, dans sa globalité, c’est ce qui fait que ça change. Je trouve formidable que la FHL se soit emparée du sujet pour en faire une journée nationale.
Vous avez choisi comme thème de cette première journée nationale « la qualité du dialogue ». La base en quelque sorte…
L. W. : Oui, parce que la communication et l’information, c’est la base du concept. Les patients, lors des ateliers, nous ont bien fait comprendre qu’ils ont besoin d’être dans une relation de confiance et ça passe par une information transparente et claire entre le soignant et le patient. C’était un thème commun à tous les ateliers, une demande générale. On a envie de construire des solutions avec les patients et ne pas arriver avec des solutions toutes faites, sinon on rate notre objectif.
Quid du parcours digital ?
M. C. : C’est une grande demande des patients, toujours dans le cadre du partage de l’information. Les patients ont demandé plus de collaboration entre les professionnels. Certains nous ont dit qu’ils étaient fatigués de répondre dix fois au même questionnaire rien qu’en changeant de service.
L. W. : La ministre de la Santé sera présente pour cette première journée et c’est une bonne chose, car c’est aux politiques de mettre en place une solution au niveau national pour un dossier de soins partagé (DSP). C’est clairement ressorti des ateliers et les patients ont souvent dit que c’était leur médecin généraliste qui avait un grand rôle à jouer dans la coordination des soins, la prise en charge et la prévention. Des outils comme le DSP vont forcément améliorer la situation.
Toutes les solutions non médicamenteuses, il va falloir qu’elles arrivent
Quelles améliorations a pu apporter l’expérience de Montréal ?
M. C. : D’abord, l’équipe de Montréal est incontournable et son Centre d’excellence du partenariat avec les patients et le public a maintenant une antenne en Europe. Sa démarche dépasse le cadre de l’hôpital. Son idée, c’est la démocratie en santé.
La démocratie en santé, est-ce là tout le concept du patient-partenaire ?
M. C. : C’est la participation du citoyen dans les décisions qui concernent sa santé. Il ne faut pas oublier non plus que ce concept, c’est aussi la responsabilité. On responsabilise le patient aussi en mettant à sa disposition tout ce qui est possible. Et si on regarde la finalité de tout ce système, ce sont les économies en santé. C’est une façon d’appréhender l’avenir, en se disant que, demain, on aura un vieillissement de la population et il faut dès lors développer la promotion de notre santé et être le moins souvent possible à l’hôpital. Le principe est de laisser la place au patient pour améliorer la santé de demain, qui ne se fera pas sans les citoyens, sans les usagers, sans les aidants.
Les médecines alternatives vont-elles faire leur entrée à l’hôpital ?
M. C. : On l’espère! Toutes les solutions non médicamenteuses, il va falloir qu’elles arrivent. Une enquête menée il y a dix ans au Luxembourg a déjà montré que la population avait des attentes en médecine alternative, comme l’hypnose, pour ne citer que cet exemple. Les professionnels, eux-mêmes, vont chercher ces techniques-là. Les HRS ont développé ces techniques, mais il faudrait que cela soit plus franc. Tout doucement, des opportunités s’ouvrent. Il y a la méditation aussi, parmi ces techniques qui peuvent nous apporter du bien-être avant d’être malade ou un mieux-être quand on est malade. Il faut oser. Ce n’est pas forcément à l’hôpital que cela va se passer. À l’avenir, le temps passé à l’hôpital sera de plus en plus court, et c’est dans la cité que l’on développera des idées pour la préservation de notre santé, la promotion du bien-être. C’est ça la question du citoyen.
Un pas de plus pour plus d’humanisation dans les soins.
…voilà un concept bien prometteur qui cache malheureusement une autre réalité, à savoir la centralisation abusive sur les hôpitaux: Si on veut vraiment décharger les urgences et raccourcir les hospitalisations, pourquoi alors interdit-on l’IRM à Pottagbierg? Pourquoi n’y a-t-il pas des infirmiers scolaires dans les écoles primaires / lycées à plein temps comme ça se fait en France? Et le DSP… ça fait au moins 10 ans qu’on nzus en parle, mais le myGuichet pour la santé peine toujours à décoller!
Patrick ce concept prometteur remet non pas l’hôpital mais l’humain au cœur du système. Bien entendu il y a encore du chemin à parcourir, c’est un début.