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Expulsion d’une élève : « un jour, les policiers vont débarquer »


Elle sait qu’elle n’est qu’un numéro de dossier. Maria, élève brillante du lycée technique du Centre depuis quatre ans et demi, originaire du Kosovo, est sur la liste des prochains départs.

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Les amis de Maria se sont mobilisés pour soutenir l’élève du lycée technique du Centre et espèrent qu’elle pourra poursuivre sa scolarité. (Photos : Le Quotidien/Isabella Finzi)

Elle ne veut pas voir son rêve gâché. Pas après tant de travail. Maria a redoublé d’efforts pour s’intégrer dans son lycée et ses très bons résultats en témoignent. Elle ignore si la mobilisation de ses amis et de la communauté éducative suffira à changer le cours de son destin.

Elle ne vient pas pour pleurnicher ni pour supplier. Quand Maria s’installe à la table du café où nous avons rendez-vous au centre-ville de la capitale, elle ramène avec elle non seulement la fraîcheur de l’hiver et celle de ses 18 ans mais surtout sa forte détermination. Elle vient pour expliquer car elle sait que son tour est venu de partager le sort de ses camarades expulsés la semaine dernière, dont quelques-uns du lycée technique du Centre (LTC), qu’elle fréquente.

Quatre ans et demi après avoir posé le pied au Grand-Duché, abandonnant le Kosovo derrière elle, sa famille a épuisé tous les recours et a reçu le 13 novembre dernier un « non » ferme et définitif à sa demande de protection internationale comme beaucoup d’autres avant elle. La jeune lycéenne secoue doucement la tête en signe d’impuissance face à son destin. Son petit sourire en biais qui s’affiche en douceur sur un joli visage rond baigné de longs cheveux noirs dissimule en réalité une forte personnalité, très mature, enthousiaste et ambitieuse.

Très bonne élève, comme l’atteste son excellent bulletin du troisième trimestre de l’année dernière, Maria a tout donné pour briller dans sa section des professions de santé et des professions sociales. « Mon objectif est de poursuivre mon cursus au lycée technique pour professions de santé », déclare-t-elle. Sa moyenne générale lui permet largement d’y prétendre.

Ses professeurs ainsi que la direction du LTC ont envoyé des courriers au ministère de l’Immigration pour intervenir en sa faveur. Elle y est décrite comme une élève « extrêmement motivée et fort bien intégrée dans sa classe », une adolescente qui, « poussée par son désir de progresser », est toujours « présente, préparée, motivée, attentive et active en classe ». Qualifiée d' »aimable », « disciplinée et appliquée », elle est même « un maillon indispensable » dans sa classe, « toujours prête à aider les autres ».

Et pourtant, c’est à se demander comment la jeune fille a réussi depuis 2010 à réaliser un tel parcours, à jongler avec les trois langues officielles auxquelles elle ajoute des notions de portugais, à afficher de bons résultats dans les matières scientifiques tout en ayant rejoint le système scolaire luxembourgeois à l’âge de 14 ans et en ayant connu une succession de foyers.

> L’anglais avec les soldats

« J’ai pleuré en arrivant et maintenant je vais pleurer quand il faudra repartir », raconte la jeune fille. Elle n’a jamais caché ni ses origines ni sa situation à personne. « Je n’ai pas honte contrairement à certains autres qui sont gênés de dire au lycée qu’ils sont des demandeurs d’asile. J’ai une histoire, une vie et des problèmes que j’expose », exprime Maria.

Elle débarque au Luxembourg avec ses deux frères et ses parents en juillet 2010, quelques jours après son quatorzième anniversaire. Le premier hébergement qu’elle connaîtra sera le foyer Don Bosco. On comprend qu’elle ait pu verser des larmes dans cette unique chambre que se partage la famille. Elle a laissé derrière elle son village du sud du Kosovo qui ne lui offrait aucun avenir.

C’est sans doute pendant ces deux mois passés au foyer Don Bosco au Limperstberg que la jeune adolescente a décidé de redoubler d’efforts pour s’intégrer dans cette société qui évoluait sous ses yeux. Toutes les caméras qui tapissent les murs des résidences des demandeurs d’asile ne captent pas cette farouche détermination. Maria en a fait l’expérience à Weilerbach, pendant trois ans et demi. Depuis, la famille vit dans un hôtel à Bollendorf.

En septembre 2010, Maria passe des tests scolaires et intègre une classe « normale » du LTC, sans passer par une classe d’intégration. « Je parlais un peu l’anglais que j’avais appris avec les soldats américains de la Kfor (NDLR : Force pour le Kosovo) », raconte Maria. Aujourd’hui, il y a toujours cinq mille hommes appartenant à la Kfor, dirigée par l’OTAN, qui s’emploient à « maintenir un environnement sûr et sécurisé et à préserver la liberté de circulation de l’ensemble des citoyens et des communautés du Kosovo », selon les termes de leur mission.

> Comme un numéro de dossier

Parfaitement intégrée, Maria a du mal à s’imaginer que tout le travail qu’elle a fourni va être réduit à néant. « Je ne pourrai pas reprendre une scolarité au Kosovo, c’est sûr. J’ai déjà 18 ans et il est impensable pour moi de reprendre un cycle complet chez moi. Non, mes études sont tout simplement fichue », déclare-t-elle tout en refusant toujours d’y croire.

Elle garde un infime espoir en se disant qu’elle ne peut pas être traitée comme un numéro de dossier. Pas après quatre ans et demi d’efforts. Son père et son frère aîné ont présenté une promesse d’embauche en CDI et pour le prouver, elle étale sur la table une copie des contrats qu’elle sort d’une chemise qui contient également une copie de son dernier bulletin et des lettres de soutien envoyées par ses professeurs et la direction du LTC. Son plus jeune frère est excellent à l’école primaire, selon ses dires.

Les yeux de Maria ont vu les rafles dans les foyers qu’elle a fréquentés. « Je connaissais la fille qui a été embarquée avec sa famille la semaine dernière », dit-elle d’un ton neutre. Elle a vécu cette expérience une dizaine de fois déjà. « Je sais qu’un jour les policiers vont débarquer avec leurs gants blancs et nous dire de faire nos valises ».

Elle retournera alors dans son village, retrouvera la maison abandonnée depuis cinq ans, située à vingt kilomètres d’un lycée qu’elle ne pourra jamais fréquenter.

Ses professeurs et ses amis invitent les autorités à la laisser poursuivre ses études au Luxembourg. Elle ne sait même pas si elle sera toujours là après les vacances de Noël. Voilà l’histoire de Maria, une jeune lycéenne intelligente qui n’est pas maîtresse de son destin.

De notre journaliste Geneviève Montaigu

 

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