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[Théâtre] Never Vera Blue, dans le ventre du loup


Never Vera Blue a été écrit par Alexandra Wood à la suite d’une série de discussions auprès de survivantes de violences conjugales. (Photo : antoine de saint-phalle)

Sortir du labyrinthe mental dans lequel la violence d’un mari l’a enfermée : c’est ce qu’essaie de faire l’héroïne de Never Vera Blue, monologue d’Alexandra Wood mis en scène par Aude-Laurence Biver, dès ce jeudi soir au TOL.

L'histoire

Au fil des années de mariage, une femme se met à douter d’elle-même, jusqu’à ne plus être capable d’affirmer combien elle mesure : «1 m 75, 1 m 78, qu’est-ce que ça change?» Prisonnière, comme le Petit Chaperon rouge dans le ventre du loup, elle se pose cette question vitale : comment (se) sortir de là?

Monologue en escalade où s’entremêlent plusieurs mondes, la pièce d’Alexandra Wood Never Vera Blue questionne le pouvoir des mots ou plutôt la perversité du langage qui conduit le mari de la narratrice à l’enfermer lentement dans un doute absolu et protéiforme. Never Vera Blue retrace le combat d’une femme désorientée, à la recherche d’un ultime espoir pour se reconstruire.

Après la mise en scène, le mois dernier, de Chanson douce, d’après le roman de Leïla Slimani, le TOL continue d’explorer la figure du monstre ordinaire, cette fois à travers la figure de la femme victime de violences conjugales. C’est Never Vera Blue, monologue de la dramaturge britannique Alexandra Wood mis en scène par Aude-Laurence Biver.

«C’est la première création en langue française de cette pièce», glisse cette dernière. Le texte, elle l’a découvert par l’intermédiaire d’un ami comédien qui avait assisté à une lecture de l’œuvre par la comédienne Isabelle Carré, à l’été 2020, à l’abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson. «Il m’a dit : « Ce texte, il est pour toi! »», se souvient la metteuse en scène. «Et il avait raison.»

«La pièce est écrite comme un labyrinthe»

Sur scène, la comédienne Émeline Touron incarne cette femme sans nom dont le monologue défile comme le cheminement de ses pensées. «C’est son histoire, racontée de son point de vue. On est dans sa tête», explique Aude-Laurence Biver. Dans ce «texte à tiroirs» se mêlent ainsi réflexions au présent, souvenirs, réécritures du réel, vérités et contre-vérités, et la présence de deux personnages, un soldat caché dans une grotte et le Petit Chaperon rouge. Aude-Laurence Biver prévient : «La pièce est écrite comme un labyrinthe.» Dès lors, il est primordial pour le personnage d’en trouver l’issue, et ainsi se défaire de l’emprise de ce mari dont le comportement violent va jusqu’à dérégler le bon fonctionnement de son cerveau.

Never Vera Blue a été écrit par Alexandra Wood à la suite d’une série de discussions auprès de survivantes de violences conjugales. Un travail de recherche doublé par l’équipe – majoritairement féminine – de la pièce. «Comprendre, c’est très important. Il y a un cliché du mari violent qui tabasse sa femme et ses enfants, tout comme il y a un stéréotype de la femme battue, et on devait en sortir. On entend surtout parler de violence physique, mais on ne met pas assez en avant la violence psychologique. Pourtant, ce qu’on peut prendre pour des histoires de couples, des disputes privées, font partie d’un schéma que suivent et reproduisent les auteurs de violences conjugales», souligne la metteuse en scène.

Émeline (Touron) a fait un travail de titan. Elle est excellente!

Les recherches ont été menées aux côtés du Planning familial – qui sera présent pour une table ronde à l’issue de la représentation du 20 janvier – et du CID Fraen an Gender. «C’était dur, mais ça nous a éclairées. Ce mécanisme est tellement insidieux qu’il peut mettre des années à se mettre en place. Et, bien sûr, il est difficile à déceler. La violence psychologique est impossible à prouver, d’autant plus que, souvent, les auteurs de violences sont des personnes charmantes, qui brillent en société… C’est la raison pour laquelle on tombe amoureuses.»

Au cœur de la pièce, on trouve la violence du langage, le «gaslighting» ou détournement cognitif, l’injonction paradoxale – «Exemple : « Je t’ai amené un pain au chocolat. Tu as grossi, quand même! »» –, la diminution et l’infantilisation de l’autre… Face à ces techniques de la violence qui confinent la victime à la folie, le chemin qu’emprunte le monologue est aussi celui, pour la protagoniste, d’une réappropriation du langage et du sens des mots.

Mais il est semé d’embûches : «Quand elle s’approche d’une vérité, elle fait marche arrière. Elle essaie d’obtenir la preuve qu’elle est maltraitée en même temps qu’elle croit complètement dérailler.» Par ailleurs, Aude-Laurence Biver note que «l’endroit d’où elle raconte ce monologue n’est pas déterminé, et on ne sait pas à qui elle s’adresse. Ce pourrait être une amie, un policier, un avocat, un juge… Ou peut-être qu’elle se raconte ça toute seule, dans sa grotte.»

Je craignais qu’on dise : « Encore un sujet féministe, un truc à la mode qu’on ressasse », mais (…) c’est un fait, et ces violences sont banalisées

Alors que le Petit Chaperon rouge symbolise, selon la metteuse en scène, «l’intuition» du personnage – «la petite fille voit bien que ce n’est plus sa grand-mère dans le lit; pourquoi y est-elle quand même allée?» –, le soldat, lui, apparaît comme «une métaphore d’elle-même». Plane alors le thème de la guerre, dans laquelle on est soit bourreau, soit victime, soit observateur. Tour à tour, elle est les trois : «Ce sont des états par lesquels on passe. Prise au piège, elle a la volonté de se battre mais n’y arrive pas. Alors, elle change de posture…

Malgré tout, ce combat, elle n’a pas d’autre choix que de le mener.» Une lutte pour le contrôle de soi contre le pouvoir dominant qui n’est pas sans prix à payer, rappelle Aude-Laurence Biver, qui énumère les différentes formes de violences post-séparation : le risque de ne pas obtenir la garde des enfants, la peur, dans le cas contraire, de les laisser chez l’homme violent, l’augmentation des violences conjugales depuis la meilleure libération de la parole des femmes… «Je craignais qu’on dise : « Encore un sujet féministe, un truc à la mode qu’on ressasse », mais ce qu’on nous a dit au Planning familial, c’est que c’est un fait et que ces violences sont banalisées.»

Une immersion dans la psyché de la protagoniste

Pour autant, Never Vera Blue dépasse le cadre de l’œuvre ancrée dans le réel en proposant une immersion dans la psyché de la protagoniste, pour une véritable expérience que partagent comédienne et spectateurs. Aude-Laurence Biver : «Le texte est très morcelé. C’est une succession de blocs qui suivent une narration différente et qui n’ont pas toujours le même narrateur. Pour travailler avec plus de clarté, on a repris tous ces blocs et on les a remis dans l’ordre, bout à bout.» Elle précise que «pour la comédienne, la façon dont se présente le texte rendait son apprentissage compliqué, mais Émeline a fait un travail de titan. Elle est excellente!».

Quant au public – que le texte «ne permet pas d’être passif» –, Aude-Laurence Biver promet que ce texte aura une résonance particulière : «Il y aura peut-être des gens qui se reconnaîtront en tant que victimes, mais il y aura à plus forte raison encore des gens qui se reconnaîtront comme amis de victimes, et qui feront un transfert sur ce qu’ils ont vu ou entendu. C’est beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense.»

Never Vera Blue au TOL – Luxembourg. Première ce jeudi à 20 h. Jusqu’au 3 février.

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