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Quand le 7e art fait son cinéma


Plongée dans un coma, l’héroïne de Leonor Will Never Die doit s’inventer la fin de son propre film d’action pour retrouver la réalité.

Au LuxFilmFest, le cinéma porte un regard sur soi. Tendres, décomplexés, intellectuels ou sensibles, les films sur le cinéma dévoilent une tendance très actuelle.

Le Luxembourg City Film Festival se définit, entre autres choses, comme un festival «panorama» offrant à son public la diversité des cinémas du monde, d’où se dégagent des tendances et des formes nouvelles.

Cette treizième édition ne déroge pas à la règle, et l’on peut, dans l’ensemble de la programmation, et à la lumière de l’actualité, lier plusieurs œuvres autour de mêmes thèmes, questionnements et problématiques.

C’est ainsi qu’après deux ans de pandémie et une fréquentation des salles qui n’a toujours pas retrouvé son allure de croisière, le LuxFilmFest a de quoi plaire à son public cinéphile avec une sélection de films qui rendent hommage au 7e art sous toutes ses formes.

Le cinéma comme microcosme de la vraie vie ou comme porte d’entrée vers d’autres mondes, réflexions sur les techniques et les métiers, il est surtout célébré pour ce qu’il a de plus libre et réjouissant. Attention : un film peut en cacher un autre…

Dès son ouverture, ce 13e LuxFilmFest proposait avec Mon crime, de François Ozon (hors compétition), une variation sur le jeu : Madeleine (Nadia Tereszkiewicz), une actrice accusée à tort de meurtre, décide d’avouer le crime et comptera sur ses talents pour s’en sortir au tribunal.

L’extravagance de l’objet tient en partie au fait qu’Ozon retourne les conventions : dans son quotidien, Madeleine cabotine, en harmonie avec le reste d’un casting qui pousse l’exubérance à un niveau supérieur. C’est l’imposture à laquelle elle est contrainte – un rôle à jouer – qui l’oblige à la rendre naturelle, alors que c’est bien le mensonge qui lui demande de la concentration.

Vecteur de transformation

De ce masque, elle tire donc un pouvoir, que Shakib, le protagoniste de World War III (compétition officielle), aura lui aussi entre les mains. Le film de l’Iranien Houman Seyyedi (lire ci-dessous), étrange mélange de drame social, de comédie noire et de thriller, se déroule sur le tournage d’un film sur l’Holocauste, où Shakib, travailleur journalier, aide à la construction des décors.

 

D’abord figurant engoncé dans un pyjama à rayures, il est propulsé du jour au lendemain, par un réalisateur fantasque et intransigeant, dans le rôle d’Hitler. Le costume a beau être ridicule, Shakib y voit un double avantage, financier d’abord, et moral : la confiance qu’il gagne grâce à son rôle lui permet de braver les interdits pour faire le bien et aider celle qu’il aime. En devenant le double d’un monstre, il retrouve une énergie positive et un courage dont il avait été auparavant vidé. On n’est pas très loin de Chaplin (The Great Dictator, 1940)…

C’est encore à la transformation qu’amène le cinéma dans le film fantastique Piaffe, d’Ann Oren (Late Night Bizarre) : une jeune femme embauchée pour créer les bruitages d’une publicité est fascinée par le cheval dont elle doit doubler le trot… et découvre qu’une queue de cheval lui pousse en bas du dos.

Œuvre à la beauté renversante, bien que dérangeante, Piaffe amène son héroïne sur le chemin vers son idéal, sublimé à l’écran, qu’elle cherche désespérément à devenir.

L’explosif Leonor Will Never Die, de Martika Ramirez Escobar (compétition officielle), abolit plus fortement encore les frontières entre réalité et fiction lorsque la protagoniste, ancienne réalisatrice star du cinéma d’action philippin, se rêve en vedette de son prochain film inachevé.

Un voyage dans le subconscient où tout est possible, mais qui ne peut s’achever en inventant, au fur et à mesure, le déroulement et le dénouement de son film : son seul moyen de retrouver la réalité.

Quant à la grosse sucrerie du festival, elle fait honneur à son titre : I Like Movies (hors compétition). Petite production canadienne signée Chandler Levack, on pense en la voyant à Paul Thomas Anderson, et l’on y voit surtout l’amour d’un cinéma pop avec une bonne dose de nostalgie, activée par son principal décor, un vidéoclub.

Images manquantes, images retrouvées

Le cinéma sait aussi retourner la caméra sur lui-même. Le documentaire choc De Humani Corporis Fabrica (compétition documentaire) a incité ses réalisateurs, les anthropologues Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel, à mettre au point une nouvelle caméra, permettant de capter au mieux leur sujet pour le cinéma : l’intérieur du corps humain, filmé ici comme un fascinant paysage.

Dans sa démarche, le duo boucle une boucle ouverte lorsque la médecine a utilisé les techniques du cinéma au profit de la science; aujourd’hui, ces mêmes techniques sont augmentées pour retrouver leur qualité cinématographique originelle. Le tout dans le but de défier les règles et de montrer sur grand écran ce qui est invisible à l’œil.

 

Deux œuvres luxembourgeoises, enfin, proposent leurs variations sur le cinéma qui pourrait ou devait être, et sur ce qu’il est devenu : le film en réalité virtuelle Missing Pictures, coproduit avec la société grand-ducale Wild Fang Films, propose une immersion fascinante dans les films jamais tournés de cinq célèbres auteurs (Naomi Kawase, Lee Myung-se, Catherine Hardwicke, Tsai Ming-Liang et Abel Ferrara).

Le photographe et documentariste Fabrizio Maltese, lui, avait cherché à reprendre le projet inachevé de Pol Cruchten, mort en 2019, avec le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako : L’Invitation deviendra, par la force des choses, son propre film, hanté par la question de la réappropriation d’un projet, de l’hommage qu’il devait être et de l’entreprise intime qu’il est finalement devenu.

En réfléchissant sur lui-même, le cinéma arrive toujours à la conclusion qu’il est un miroir déformant de la réalité. Godard nous avait prévenus : avec lui, «on arrive à tout».

La liste des films à l’affiche du LuxFilmFest est à retrouver (avec les bandes-annonces) ici.

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