Poulets, poulardes et chapons de Bresse forment le haut de gamme de la volaille. Un concours de beauté consacre chaque année les plus beaux spécimens.
Dernière ligne droite avant Noël, les éleveurs mettent les bouchées doubles pour bichonner leurs volailles. (Photo : AFP)
Seuls volatiles protégés par une AOP, l’appellation d’origine protégée de l’Union européenne, les poulets, mais surtout les poulardes et chapons de Bresse aux couleurs bleu (les pattes), blanc (les plumes), rouge (la crête), illustrent le triomphe du « Made in France » sur les tables de fêtes et des restaurants étoilés jusqu’au Japon. La journée d’une poule de luxe démarre aux champs quoi qu’il arrive, à raison de 10 à 15 m2 par volaille : obligation leur est faite par l’AOC/AOP de compléter pour un tiers leur régime en végétaux et vermisseaux et de se muscler en courant dans l’herbe. Chez Christian Chatard, à Viriat (Ain), au nord de Bourg-en-Bresse, on les retrouve picorant dans les sous-bois malgré la pluie battante. De sortie au lever du jour, elles regagnent spontanément le soir leurs cabanes, que l’éleveur déplace au gré de la prairie disponible. « Oui, c’est du travail », consent-il. Au poulailler, les règles sont aussi strictes : 50 m2 pour 500 volailles maximum (soit 10 au mètre carré contre 20 selon les normes européennes de bien-être animal). Mais le vrai luxe de ces poules haut de gamme, avec le grand air, c’est de vivre huit mois pour le chapon, cinq à six mois pour la poularde contre deux pour un poulet industriel (trois pour un labellisé).
> Une seule «maternité»
Car la volaille de Bresse est issue d’une souche de gauloise grise rustique (elle ne supporte pas le confinement) que seul le Centre de sélection de la volaille de Bresse, à Saint-Étienne-du-Bois, est habilité à reproduire. « C’est l’unique maternité de l’AOP », souligne Marcel Pépin, son ancien président. Le Centre délivre 1,5 million de poussins par an aux 180 éleveurs répertoriés, dont 80 produisent chapons et poulardes. Le chapon est un beau gosse à la vocation contrariée à 9 semaines par l’ablation de ses attributs. Opération aléatoire qui ne réussit pas à tous les coups : un tiers d’échecs environ, le chapon reste alors un coq ordinaire, moins moelleux, moins savoureux. La poularde est une cocotte encore demoiselle qui n’a jamais pondu, considérée comme la plus tendre et la plus délicate. Christian Chatard produit environ 500 de l’une, 350 de l’autre. Les quatre dernières semaines sont moins riantes cependant, enfermées dans les « épinettes », des cages en bois : c’est la phase d’engraissement avant le sacrifice. En décembre, l’élevage tourne à plein régime : depuis le 8, le patron a fait appel au renfort des tantes, cousines, grands-mères et voisines pour traiter quelque 150 volailles quotidiennes et fournir à temps les tables de réveillon. Après le plumage et un nettoyage au savon de Marseille, chapons, poulardes, et même poulets, reçoivent le sceau de l’AOC et le macaron de l’élevage, puis passent au mondage.
> Dans l’assiette du président
Une charlotte sur la tête, Tante Marie, 83 ans, finit d’épiler à la pince les volatiles à la peau fine. « C’est mes vacances ici», confie-t-elle, réjouie par cette ambiance d’atelier en fête. Parfois, on leur gratte même les pattes à la brosse à dents. Puis les volailles passent au roulage, l’opération qui signe l’originalité de leur provenance : ailes et pattes repliées bien serrées sur les filets, elles sont emmaillotées dans un carré de lin, fin cousu par les femmes pour ne laisser dépasser que la tête. Les hommes prennent ensuite la relève pour resserrer les épissures et contraindre les chairs à la manière d’un bas de contention avant de les masser longuement pour répartir la graisse. Elles devront reposer ainsi au minimum 48 heures, mais pourront se conserver jusqu’à 25 jours. «C’était d’ailleurs le but de l’opération autrefois, la conservation », assure Gaby, un ami de la famille, en caressant une poularde comprimée à travers la toile. Les chambres froides de l’élevage de Bon Repos présentent le drôle de spectacle de poules en maillot blanc, bien rangées sur les étagères. Avant de partir conquérir le monde, elles subissent une dernière retouche : un petit brushing au sèche-cheveux pour ébouriffer le toupet de plumes blanches soigneusement ménagé sur le sommet du crâne par les plumeuses. Les plus beaux spécimens sont alors présentés au concours des Glorieuses de Bresse, une institution qui consacre le dévouement et le savoir-faire des éleveurs – des « artistes », nuance le chef étoilé Georges Blanc. Les vainqueurs terminent par tradition à l’Élysée, à la table de la République.
AFP