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[Littérature] Le «dandy trash» dépasse (encore) les bornes


Réalisateur, acteur ou encore professeur de cinéma, l’Américain John Waters signe à 77 ans un premier roman furieusement déjanté, « Sale Menteuse ». Pour le pape du mauvais goût, c’est un essai réussi !

Il a l’art de la formule («Tous veulent être des outsiders, alors je suis devenu un « insider » !») et est un maître de la provocation («Une fois qu’il y a eu Avatar, un pénis qui parle, c’est rien !», «Trump est mauvais et bête sans même être drôle»…). À 77 ans, l’Américain John Waters balade toujours une très fine moustache noire au-dessus de la lèvre supérieure – c’est sa marque de fabrique – et entretient à la perfection sa réputation de dandy trash.

Loufoque et chic, il s’autorise tout, même l’inconcevable, l’inimaginable; s’inspirant d’Alphonse Allais, il applique comme viatique la formule «passé les bornes, il n’y a plus de limites». Au cinéma ou sur scène, rien ne lui résiste. La bienséance? Connaît pas! Et le voilà qui se glisse, en ce printemps, dans les rayons des librairies avec un premier roman. Certains pratiquent la littérature «feel good», lui tord le cou à ce genre et embarque lecteurs et lectrices dans un texte qui «fait du mal»! C’est le moins que l’on puisse attendre d’un tel individu…

Interrogé sur les raisons qui l’ont amené à choisir la forme romanesque après avoir écrit quelques essais (dont l’inénarrable Monsieur Je-sais-tout, autobiographie parue 2021), le réalisateur de Pink Flamingos s’est expliqué : «J’aime me lancer des défis. À 66 ans, j’ai traversé toute l’Amérique en autostop pour écrire un livre, Carsick. À 70 ans, j’ai repris du LSD pour voir ce que ça donnait (…) Là, je me suis dit : « Osons, essayons d’écrire un roman. » J’ai imaginé un million de fictions pour mes films… Mais je n’avais jamais commencé de roman. J’avais cette idée qui me venait de loin pour un film éventuel, celle d’une femme qui vole des valises dans les aéroports. Je l’ai reprise pour en faire quelque chose de complètement différent, c’est Sale Menteuse

Cette menteuse invétérée s’appelle Marsha Sprinkle. Voleuse pathologique et arnaqueuse de génie, elle ne compte plus ses ennemis. «Marsha n’est pas sympa. Elle ne sollicite pas votre amitié mais votre intérêt amusé pour ce qu’elle traverse», explique l’auteur. Quelques-uns ont décidé de lui régler son compte et lui faire bouffer tous ses mensonges. Parmi ces individus, on trouve «sa mère et sa fille, son ex-complice lubrique Daryl et une sautillante bande d’hurluberlus, fétichistes du trampoline, tous lancés à ses trousses dans une rocambolesque et décadente course poursuite à travers le nord-est des États-Unis. Mais Marsha est intelligente, incroyablement fourbe et celui qui l’attrapera n’est pas encore né», nous assure son éditeur français.

Je n’attends pas d’un livre qu’il me réconforte mais plutôt qu’il me dérange

Voilà donc le livre le plus déjanté du moment. C’est aussi le (très) mauvais goût érigé en art ultime… Comme Joséphine, John Waters ose : il fait hennir les chevaux du plaisir, souhaitant que ne durent que les moments doux. Et à l’arrière des berlines, en compagnie du dandy trash, on est servi. Le natif de Baltimore se révèle grand fabricant d’OLNI (objet littéraire non identifié) et peint comme personne une mytho sadique poursuivie par une bande de désaxés. C’est le grand délire délicatement érotico-scato qui secoue à tous les étages. L’écriture est vive, hilarante, allumée.

Longtemps après avoir refermé le livre, on est encore en compagnie de Marsha Sprinkle, cette femme approchant la quarantaine, s’adonnant à un passe-temps comme un autre (du moins, selon John Waters), qui consiste à voler des bagages sur les tapis roulants dans les aéroports, ne se nourrissant que de deux crackers par jour! Jamais très loin, il y a aussi Daryl, le chauffeur de la dame – son salaire : la promesse d’une copulation une fois par an avec sa patronne. Et aussi Poppy, fille de Marsha, qui règne sur une secte d’adeptes du trampoline… Et puis Richard, le pénis qui parle et devient gay alors que son propriétaire, Daryl, est hétéro; John Waters dit faire ici référence au Sexe qui parle, un film porno français complètement loufoque sorti en 1975 dans lequel un vagin vocalise!

Dans cette aventure, le romancier pétillant évoque les plaisirs bondissants, la masturbation auriculaire ou encore l’anulingus consacré par un festival… Marqué à vie par les lectures de Jean Genet, Tennessee Williams, William Burroughs ou encore Marguerite Duras, l’icône «queer» a confié : «Je n’attends pas d’un livre qu’il me réconforte mais plutôt qu’il me dérange.» Une définition de la littérature «feel bad» par un artiste qui, après près de vingt ans sans tourner le moindre film, s’est lancé dans l’adaptation de ce premier roman pour le grand écran… Pour le pape du trash, «le monde est plein de gens bizarres qui ne vous ressemblent pas, et si j’étais vous, je trouverais ça génial!»

Sale Menteuse, de John Waters. Éditions Gaïa.

Quatre films indispensables

On connaît John Waters, né le 22 avril 1946 à Baltimore, avant tout comme réalisateur, notamment grâce à la longue collaboration avec sa muse, Divine, drag-queen iconique que le cinéaste a souvent mis en scène dans des fables trash qui se permettent tout. Entre 1968 et 2004, John Waters a réalisé douze longs métrages. Dont quatre essentiels et indispensables.

Pink Flamingos (1972)

À Baltimore, dans les années 1970. Divine, qui se fait appeler Babs Johnson pour se cacher de la police, vit dans une roulotte avec Edie, sa mère simple d’esprit, Crackers, son fils aux mœurs sexuelles particulières, et Cotton, leur amie adepte du voyeurisme. Objet de nombreuses convoitises, Divine use de tous les moyens pour défendre sa gloire et ce titre d’«être vivant le plus dégoûtant de la planète» décerné par un magazine. Mais Connie et Raymond Marble, un couple de fétichistes tout aussi abjects, vont chercher par tous les moyens à la détrôner…

Polyester (1981)

Les aventures d’une famille peu reluisante : maman est alcoolique, papa s’occupe d’un drive-in porno, le fils est fétichiste des pieds et la fille, nymphomane, tombe enceinte. La rencontre de Divine avec un play-boy sur le retour va bousculer l’équilibre précaire mais réel de cette charmante famille. Polyester, c’est la révolution «odorama», soit une carte à cases numérotées qui était distribuée aux spectateurs avant la projection du film; lorsqu’un numéro apparaît à l’écran, le spectateur gratte la pastille correspondante et peut ainsi sentir les mêmes odeurs que dans le film… Quand l’idée vient de John Waters, ça promet quelques surprises…

Cry-Baby (1990)

Wade Walker est le «bad guy» n° 1 de Baltimore. Chef de la bande des Frocs Moulants, il se venge de l’exécution de son père sur la chaise électrique en infligeant chaque jour un mauvais coup à la société. Si la bourgeoisie locale le tient pour le dernier des vauriens, toutes leurs filles craquent cependant pour celui qui prend les traits fins du jeune Johnny Depp. Et la belle Allison n’échappe pas à la règle, au grand désespoir de son petit ami officiel et de sa grand-mère qui, très remontés, ne comptent pas laisser les tourtereaux roucouler en paix : dans leur monde à eux, en effet, on ne se mélange pas.

Cecil B. Demented (2000)

Cinéaste underground et révolutionnaire à moitié punk, Cecil B. Demented est un puriste, il refuse les règles commerciales et morales imposées par Hollywood et a décidé de tourner son chef-d’œuvre absolu. Méchante, hypocrite et capricieuse, Honey Whitlock est, elle, une star dans toute sa splendeur. Logiquement, ils n’auraient jamais dû travailler ensemble. Pourtant, avec l’aide de son équipe, Cecil enlève l’actrice et compte bien la forcer à jouer dans son prochain film…

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