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Face à une culture durable, tous «éco» ?


Le directeur de la Kulturfabrik, René Penning, a prononcé le discours d'ouverture. (photo archives LQ)

Une matinée de conférences sur le thème de l’écoresponsabilité, organisée par le ministère de la Culture, jeudi, a surtout brillé par le manque de thèmes abordés et la place laissée à l’autocongratulation, au détriment de questions plus urgentes.

C’est une matinée thématique très attendue qui s’est tenue, jeudi matin, dans la grande salle de la Kulturfabrik. Esch-sur-Alzette, capitale européenne de la culture, était en toute logique le théâtre de l’ambitieux «workshop» organisé par le ministère de la Culture autour du thème on ne peut plus actuel de l’écoresponsabilité. La nécessité – mais, avant cela, la possibilité – de pratiques durables et écologiques dans le milieu culturel est un sujet qui préoccupe artistes et institutions du Luxembourg depuis un certain temps, avec, certes, un sens de l’urgence plus affirmé depuis la pandémie de Covid-19. Le directeur de la Kulturfabrik, René Penning, l’a martelé dans son discours d’inauguration : «La question n’est pas de savoir ce qui se passera quand on changera nos habitudes, mais de se demander ce qui arrivera si on ne les change pas.»

Quand arrive le sujet de l’écologie, en culture comme ailleurs, agir est le maître-mot… Encore faut-il comprendre quels actes sont réalisables et mesurer leur valeur écoresponsable en fonction de leurs effets. Matthieu Gillieron, chargé de coordination en matière de développement durable et d’action climat au sein d’Esch 2022, a pointé du doigt le manque de rigueur qui accompagne parfois les bonnes volontés : «Les conditions écologiques doivent conditionner un projet ou un évènement dès le tout début, avant même la moindre mesure supplémentaire.»

Lui a mis en œuvre une charte répondant à une stratégie durable pour l’année culturelle, mais regrette d’avoir rejoint l’équipe trop tard, à un moment où nombre de projets avaient déjà atteint un stade avancé, et qui ne répondaient donc pas aux conditions de cette charte. On peut élargir la question à tout le secteur culturel : la conjoncture actuelle laisse-t-elle la possibilité à la mise en place de bonnes pratiques écoresponsables qui conditionneraient, avec effet immédiat, tout évènement ou projet artistique ?

Les Francofolies en «zone grise»

Malgré les dizaines de milliers de gobelets en plastique qui font illusion, il semble que l’on en soit encore loin. Pour le metteur en scène luxembourgeois Stéphane Ghislain Roussel, «la remise en question doit être systémique!». Difficile de lui donner tort, en particulier quand un évènement comme les Francofolies d’Esch-sur-Alzette, qui veut faire de la durabilité l’un de ses piliers, commet l’erreur de ne pas se renseigner au préalable sur la législation concernant le traitement des déchets des toilettes sèches.

Une «zone grise», selon Isabelle Schummers, de l’Oekozenter, qui précise qu’il «n’existe pas de code» au Luxembourg pour ces déchets… qui dorment, enterrés au Grand-Duché depuis juin, dans l’attente de pouvoir être évacués. Les Francofolies «ont au moins le mérite d’avoir soulevé cette question», sourit-elle…

Aussi optimiste qu’elle soit, la refonte du système sur des bases écoresponsables est un chantier trop imposant à mettre en œuvre. Mais pas impossible… Et lorsqu’on glisse comme théorie l’arrêt des subventions pour les lieux et les projets qui ne se plieraient pas aux conditions d’une grande charte de durabilité, les rires épars suffisent comme seule réponse. L’idée est radicale et difficile – impossible ? – à réaliser, mais elle a de quoi faire réfléchir sur son hypothétique efficacité…

Tout ce que demande Isabelle Schummers, qui, avec le projet Green Events, crée des ponts entre les ministères de l’Environnement et de la Culture, c’est «qu’un évènement vert soit aussi simple à organiser qu’un autre évènement». Si l’on n’a pas encore dépassé ce cap, il est donc plus que temps de se poser les bonnes questions. D’autant plus que, pour des raisons évidentes, c’est à la culture de montrer l’exemple sur un tel sujet.

Brillantes absences

L’erreur majeure de ce «workshop» a été de se focaliser, dans sa première moitié, sur «quelques bonnes pratiques» écoresponsables déjà adoptées par des structures culturelles du Grand-Duché, là où il aurait été carrément nécessaire de mettre en exergue les manques et difficultés dans ce domaine. Par ailleurs, deux des trois structures représentées – Esch 2022 et la Ville d’Esch – ont présenté des mesures déjà en vigueur, mais dont il est encore impossible d’observer les effets.

Un autre problème, au moins aussi important, est de n’avoir parlé, la majeure partie du temps, que pour le théâtre, effleurant à peine la musique ou les beaux-arts. La question de l’écoresponsabilité dans la culture – au sens large ! – touche bien tous les domaines, et il y aurait eu beaucoup à dire, à titre d’exemples, sur les déplacements des artistes en concert ou les dépenses énergétiques d’un musée d’art contemporain. Bref, des montagnes de questions passées sous le tapis, et personne pour représenter l’un ou l’autre domaine, en dehors du théâtre.

Et que dire encore du manque cruel d’artistes sur scène, en écrasante minorité, quand ce sont eux, le plus souvent et surtout au Luxembourg, qui insufflent une conscience écologique à leurs créations et à ceux qui les soutiennent ?

On retiendra volontiers le discours de Béatrice Josse, destiné à réveiller les consciences avec son titre provocateur («Les institutions culturelles participent-elles à retarder la fin du monde ?»), mais qui a toujours touché dans le mille. La curatrice et ex-directrice du FRAC Lorraine se demande notamment, dans ce concept de durabilité qui veut tout et rien dire, «ce qu’il s’agit de faire durer». Les réclamations de la costumière et scénographe Peggy Wurth, qui a toujours travaillé dans un souci de durabilité (en réutilisant costumes et décors), et la création de ressourceries chez nos voisins français – des lieux de collecte de déchets provenant notamment de décors de théâtre, de défilés de mode ou de cinéma, remis en état puis prêts pour une seconde vie – offrent un début de réponse, mais toujours dans un mode de fonctionnement alternatif.

Et Béatrice Josse d’y aller franchement : «Que font les institutions culturelles dans le sens de la planète ? Il semble qu’elles veulent surtout réduire leur facture énergétique…» Voilà qui a le mérite d’être clair : le grand désavantage d’avoir commencé la journée par un tel discours, c’est qu’elle aurait pu s’arrêter là…

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