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[Critique] Patricia Guerrero, un rêve à elle seule


Photo : © Claudia Ruiz Caro

Partout où elle passe, elle laisse une empreinte sensible, durable. Un parfum d’encens, incrusté jusque dans les sièges avec Catedral. Celui, encore, de la douleur d’une vie brisée dans Distopía. Deux œuvres où il est aussi question d’affranchissement, de se défaire des carcans d’une société qui emprisonne, qu’elle soit moyenâgeuse ou tyrannique.

Un terme cher à Patricia Guerrero pour qui la liberté vient du corps et ne se négocie pas. Pour preuve, ce nouveau flamenco qu’elle impose ces dernières années, brisant les codes et les traditions comme on casse un verre d’un coup de talon. Ce n’est pas pour rien que la «bailaora» andalouse est l’une des stars de sa discipline, lauréate du Prix national de la danse 2021 en Espagne. Malgré tout, aucun trône n’est assez grand pour son art. Car elle vise une autre dimension. 

Dans sa quête de mondes parallèles, d’un autre espace-temps, il était d’une logique sans faille qu’elle s’empare un jour de l’histoire de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, ou plutôt qu’elle s’inspire de son étrange atmosphère surréaliste. Sa toute dernière création, Deliranza, présentée au Grand Théâtre de Luxembourg mercredi et jeudi, en porte l’influence.

Sur scène, Patricia Guerrero, sans l’aide de champignon magique, succombe à l’appel du rêve suite à une répétition éprouvante. De l’autre côté du miroir, des personnages hauts en couleurs, comme dans le livre : cinq musiciens perchés, dominant de leur plateforme sept danseurs-danseuses aux airs hybrides. Au point qu’ici, même les hommes portent la robe, et avec tenue, s’il vous plait !

Photo : © Claudia Ruiz Caro

Un univers imaginaire où les genres sont donc caducs, et où se croisent, dispersés, des reines, d’étranges personnages portant des canes en équilibre sur la tête (clin d’œil à Magritte), des pantins et autres ballerines de boites à musique, des bêtes également. D’ailleurs, s’il fallait trouver un lapin blanc comme chez Alice, ce serait sûrement celui des piles Duracell qui, comme dans la publicité, fait du sur place tout en battant des pieds d’un rythme frénétique.

Patricia Guerrero et son collectif débridé agitent la danse, qui prend alors, à l’image de ces insurgés, différentes formes : urbaine dans ses figures hip-hop, légère quand elle est associée au ballet, imaginative dans ses élans contemporains. Mais un seul mot réunit tous ces qualificatifs : total. 

Oui, chez la chorégraphe et danseuse, les visées sont larges et tout tient au défi. Celui, par exemple, de mettre en retrait la sacro-sainte guitare pour laisser la place aux percussions ou à un piano jazz (la musique originale de Dani de Morón est tout bonnement envoutante). Celui, encore, de mettre sur un pied d’égalité les hommes et les femmes, et de ne parler que d’êtres.

Celui, enfin, de voir la danse comme un geste ample, tantôt grandiloquent (les robes), tantôt fusionnel (les duos), tantôt intimiste, des discrets frottements de pied aux souffles courts sur le plateau, perceptibles jusqu’au fond de la salle. Pour tout ça, Patricia Guerrero et ses révoltés méritaient bien du public un tonnerre d’applaudissement, à s’en faire rougir les mains comme après une séance de palmas.

Finalement, Deliranza n’a de délires utopiques que le nom : le flamenco nouveau, lui, est bien réel. Il n’y a que ceux, trop conservateurs pour entendre ses coups de talon et voir son sourire, qui peuvent encore affirmer le contraire.

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