Accueil | Culture | [Cinéma] « Le otto montagne » : celui qui reste, celui qui part

[Cinéma] « Le otto montagne » : celui qui reste, celui qui part


Amis depuis l'enfance, Bruno (Alessandro Borghi, à g.) reste fidèle à sa montagne. Pietro (Luca Marinelli), le citadin, est celui qui va et qui vient. (Photo : Alberto Novelli)

Première coréalisation des Belges Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, Le otto montagne est une histoire d’amitié portée par la délicatesse de ses acteurs et la splendeur de ses décors naturels.

Alors que l’âge d’or du cinéma italien fonçait irrémédiablement vers son crépuscule, Bernardo Bertolucci peignait avec Novecento (1976) une fresque étourdissante ancrée dans l’amitié turbulente, mais immortelle entre l’héritier d’un riche propriétaire terrien et le fils d’un paysan.

La fraternité de l’enfance se délite quand les deux grandissent, chacun suivant le chemin assigné par sa condition sociale : Alfredo profite de son statut bourgeois pour vivre une vie oisive à proximité des milieux fascistes, tandis qu’Olmo se découvre en militant socialiste et futur résistant.

Face au grand roman du XXe siècle de Bertolucci, les cinéastes belges Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch font de leur nouveau long métrage, Le otto montagne, une sorte de pendant apolitique, dans lequel l’amitié entre les deux protagonistes n’est plus conditionnée par la dimension historique, mais par des questionnements existentiels.

Ce qui a touché au cœur le jury du dernier festival de Cannes, qui lui a remis le prix du jury (ex æquo avec EO, fable animalière de Jerzy Skolimowski), et le festival du Film italien de Villerupt, où il a reçu les honneurs des jurys exploitants et de la critique.

L’adaptation du livre éponyme de Paolo Cognetti

Dans cette première coréalisation – Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch avaient déjà signé ensemble le scénario de The Broken Circle Breakdown (2012), réalisé par le premier –, le duo raconte «une amitié entre deux jeunes garçons qui deviennent des hommes. Les choix différents qu’ils font dans la vie les inspirent, ils sont comme un miroir l’un pour l’autre, qui les pousse à s’interroger sur ce qu’ils veulent vraiment dans la vie. C’est une amitié tendre, fondée sur le respect mutuel, et où la compétition n’a pas sa place.»

Enfant, Pietro (Luca Marinelli) et ses parents quittent Turin l’espace d’un été, direction le Val d’Aoste, loin du tumulte de la ville et du monde industriel, dans un village isolé. Bruno (Alessandro Borghi) y est le seul gamin, qui ne connaît rien d’autre que la montagne et son mode de vie traditionnel.

Ensemble, chaque été, ils font de ce lieu oublié leur royaume, dont la nature sauvage rend ses secrets impénétrables. Puis, en grandissant, la vie les éloigne, sans toutefois réussir à les séparer. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro, l’âme vagabonde et sauvage, est celui qui va et vient.

En couple à la ville, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch ont aussi écrit ensemble le scénario, adapté du livre de Paolo Cognetti couronné par le prix Strega (l’une des plus prestigieuses récompenses littéraires en Italie).

Une histoire d’amitié abordée comme une histoire d’amour

Au premier confinement, au printemps 2020, alors que leur couple «traversait une phase difficile, à un niveau profond», les deux Belges ont repris et développé ensemble le scénario, dont Felix Van Groeningen avait déjà écrit un premier jet.

«D’une certaine façon, nous nous doutions qu’adapter cette histoire, si belle et si pure, pourrait nous permettre de guérir. Et ce fut le cas. C’est une histoire d’amitié, mais nous l’avons abordée comme une histoire d’amour.» Avec son lot de séparations déchirantes et de retrouvailles qui réchauffent le cœur, tant du spectateur que des protagonistes.

Le film fait de la montagne un personnage à part entière. Capturée dans l’œil des cinéastes dans toute sa splendeur – et dans un format presque carré, qui la rend encore plus dense –, elle est explorée dans ses «aspects aussi bien romantiques que mélancoliques», mais aussi dans «sa réalité, qui peut être dangereuse et sans pitié».

«En montagne, on est face à soi-même, c’est un environnement qui ne triche pas et qui ne fait pas de cadeau. Pourquoi s’imposer de grimper jusqu’au sommet? C’est souvent douloureux, mais pourtant nous grimpons. Pour finalement redescendre, émerveillés.»

Des décors naturels saisissants

Cette randonnée, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch ont d’abord dû l’imaginer, eux qui ont écrit le film confinés, en ville. «Les grands espaces nous manquaient terriblement (…) En écrivant, nous avons eu la chance de vagabonder entre les montagnes dans notre imagination», confient-ils. En étrillant même, au détour d’une scène où Pietro invite ses amis de la ville à découvrir la montagne, le rapport conflictuel des citadins avec la nature.

Porté par le jeu tout en nuances d’Alessandro Borghi et Luca Marinelli, épatants, Le otto montagne est tout à la fois un récit d’apprentissage, une histoire d’amitié étalée sur plusieurs décennies, une exploration des relations père-fils – au centre du conflit entre Pietro et Bruno – et une ode à la montagne et aux décors naturels saisissants.

Pour le couple de cinéastes, cette aventure italienne est leur «plus belle collaboration» artistique. Et même face à un Avatar qui abonde d’images à couper le souffle, Le otto montagne reste le spectacle cinématographique, certes plus traditionnel, de cette fin d’année.

Le otto montagne,
de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.