Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Avec Sundown, Eddie Chacon affirme franchir la vraie première étape d’une renaissance inattendue, mais absolument charmante.
Qui peut résister à une belle histoire de come-back ? La gloire, la chute, l’oubli, la lutte avec ses propres démons et, finalement, une rédemption ou une renaissance : c’est un schéma qui se déroule toujours à l’identique, mais dont tous ne font pas la même expérience. Alors qu’on l’a vu débarquer en musique avec un premier album en 2020, à 56 ans, Eddie Chacon a vu sa première vie se rappeler à lui. Certains se souviendront de ces deux hommes, au top de la «sexytude» des premières années 1990, assis sur les marches d’un immeuble de Brooklyn en chantant Would I Lie to You?, à zieuter les jeunes nymphes qui, apparemment, étaient les seules âmes vivantes de cette impossible rue new-yorkaise. Eh bien, celui au style piqué à Bobby Sixkiller, l’Indien de la série Le Rebelle – crinière incluse –, c’est Eddie Chacon, du duo Charles & Eddie.
Avec leur seul tube pop-soul en 1992, ils ont eu un succès planétaire, mais éphémère, abandonnés au plus haut de leur succès par leur maison de disques. Malgré un deuxième album prêt à sortir, qui ne verra jamais le jour. La suprématie du rock alternatif et la montée en force du rap et du R’n’B les enverront définitivement aux oubliettes. Et la mort prématurée de Charles Pettigrew, en 2001, laissera Eddie Chacon seul et perdu : les deux travaillaient à un retour, et Charles n’avait jamais alerté son binôme sur son cancer.
Adieu à la musique ? Eddie Chacon s’est tenu loin des studios pendant près de vingt ans, s’est reconverti en photographe et directeur artistique dans le domaine de la mode, jusqu’à sa rencontre fatidique, par le biais d’un ami commun, avec John Carroll Kirby, claviériste et producteur à la liste de collaborations prestigieuses longue comme le bras (Solange, Frank Ocean, Miley Cyrus, Sébastien Tellier…). Qui produira Pleasure, Joy and Happiness (2020), un premier album cathartique pour Eddie Chacon, dans lequel il exorcise ce qui l’a rongé durant toutes ces années. Et qui a déclenché l’envie de revenir à son domaine de prédilection.
La première étape d’une renaissance inattendue, mais absolument charmante
Avec Sundown, son superbe deuxième album solo, il affirme franchir la vraie première étape d’une renaissance inattendue, mais absolument charmante. Jugez plutôt : celui qui soufflera ses 60 bougies cet été en paraît quinze de moins, a coupé ses cheveux et a laissé pousser sa barbe, qu’il porte dans un poivre et sel parfaitement réparti. Son falsetto, surtout, n’a pas pris une ride, et parvient sans effort à jouer sur un double effet, convoquant l’intimisme et la puissance. Pour preuve, le morceau Sundown, qui donne son titre à l’album, est un petit bijou sur lequel on laisse vagabonder son esprit, alors que la délicatesse du chant se confond avec les nappes éthérées du synthétiseur – John Carroll Kirby himself est derrière le légendaire piano électrique Fender Rhodes, qu’il est allé dégoter chez les hippies d’Ibiza, où les deux ont conçu l’album.
En ouverture, Step By Step pose le ton : un paysage sonore qui pousse au rêve, rythmé par la voix presque chuchotée d’un chanteur au charisme ébouriffant. Sundown s’y tiendra tout au long de ses 35 minutes, tout en déroulant l’envie constante d’expérimenter et de jouer avec les genres. Minimaliste, oui, mais pas farouche pour un sou. Chacon et Kirby laissent poindre des touches de jazz dans Holy Hell et le renversant «closer» The Morning Sun, et prouvent que la pop doucement sucrée qu’ils fabriquent répond à une règle : faire le maximum avec le minimum. En résulte un disque merveilleusement «feel good», qui met l’auditeur en immersion dans un univers qui lui est immédiatement familier, mais qui se plaît à changer constamment de forme, alternant les compositions aux mélodies finement ciselées et les envolées abstraites, toutes liées dans une unité sonique que la voix d’Eddie Chacon rend entière. Un début de carrière irrésistible, simplement.
Eddie Chacon, Sundown. Sorti le 31 mars. Label Stones Throw. Genre pop
