Accueil | Culture | [Album de la semaine] Fousheé joue avec les extrêmes

[Album de la semaine] Fousheé joue avec les extrêmes


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter l’album de Fousheé softCORE, sorti le 18 novembre, sur le label Trackmasters/RCA. Critique.

Un premier album en guise de «closer» pour cette année 2022, où Fousheé s’est retrouvée dans tous les bons coups. Au beau milieu de softCORE, elle affirme dans un interlude que «rien de tout cela n’est réel, tout est faux, ceci est une simulation». Un rapport conflictuel à la réalité comme conséquence d’une ascension fulgurante et due en partie au hasard, après que sa chanson Deep End est devenue virale en 2020 sur le réseau social TikTok.

En un clin d’œil, l’artiste du New Jersey est invitée à poser sa douce voix soul chez Vince Staples (sur le superbe Take Me Home, en 2021) et Lil Wayne (le rêveur Gold Fronts), et est même courtisée par le rap français, le temps d’un refrain entre Nekfeu et Laylow (Spécial, sur l’album-concept de ce dernier, L’Étrange Histoire de Mr. Anderson). Puis de multiplier les apparitions, tout au long de 2022, aux côtés de Steve Lacy, JID, Kenny Beats, Killer Mike ou Ravyn Lenae. Autant dire que, du haut de ses 26 ans, Fousheé porte avec elle le titre officieux de nouvelle coqueluche du rap et du R’nB américains.

De toute évidence, elle est bien plus que cela. Alors que même ses projets précédents en solo, comme la très réussie «mixtape» Time Machine (2021), creusaient cette patte soul et R’nB que s’arrachent autant de rappeurs, softCORE propose une expérience radicalement différente. Un roulement de batterie qui file à toute allure, un riff de guitare qui crépite et un micro saturé dans lequel Fousheé hurle sans retenue : c’est du punk à l’état pur qui introduit l’album, avec l’explosif Simmer Down, qui a plus à voir avec les Stooges de l’époque Raw Power (1973) et The Runaways que n’importe quel artiste précédemment cité.

Rien de tout cela n’est réel, tout est faux, ceci est une simulation

Et poursuit son exploration d’une musique fracassante avec Bored et Die, dans lesquels la gracieuse chanteuse de R’nB s’est bel et bien transformée en crieuse. Sa voix caméléonienne et distordue par les effets est là le dernier élément d’une énergie punk alimentée par des compositions expérimentales, elles-mêmes orchestrées par un mélange d’instruments «live» et de consoles peu avares en «glitch», dans la lignée d’Atari Teenage Riot ou de Crystal Castles.

Simulation ou monde réel ? Difficile de départager les deux et de savoir à quoi Fousheé associe l’un et l’autre. Mais la rage qu’elle libère est l’indice qui dévoile tout : dans sa Matrice, la Fousheé à la voix angélique est sous l’effet d’une pilule bleue, d’un sens de la grâce complètement falsifié. C’est le camouflage sous lequel se cache le «monde réel», celui de la pilule rouge, destiné à être vécu avec le volume à fond. softCORE a beau résulter en un album un peu brouillon, c’est un projet très osé, qui n’a de cesse de faire des allers-retours entre deux extrêmes – «soft» et «CORE» –, qu’elle fait cohabiter à l’occasion au sein d’un seul et même morceau, tel Stupid Bitch, qui alterne entre refrains «screamo» et couplets à l’allure d’une comptine pour enfants, ou dans les sursauts metal qui agressent la ballade folk I’m Fine. Ailleurs, Smile se tient plus rigoureusement à une structure et à une sonorité pop, et Unexplainable et Let U Back In ne sortent pas des clous d’un R’nB joliment orchestré, rendant l’ensemble plus confondant encore. Même au risque d’être pris dans l’ombre des instants plus bruyants…

Impossible de deviner, en voyant le cliché onirique de la pochette, que la musique qu’elle renferme est l’un des projets les plus audacieux entendus cette année. On a souvent vu des artistes de hip-hop ou de R’nB explorer et tisser des liens avec d’autres genres – Kanye West avec la musique religieuse, Kendrick Lamar avec le jazz, Justin Timberlake avec la folk… –, mais Fousheé semble vouloir nous dire autre chose ici. Sa vision radicale du mariage des genres nous montre, en les outrepassant, les limites de ce que l’on a appelé les «musiques urbaines» (genres les plus écoutés et produits aujourd’hui dans le monde), en termes de réalisation mais aussi d’attentes du public. softCORE prouve que l’évolution est possible, et ouvre un chemin…

 

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.