Retrouvez la critique de l’album de la semaine.
C’est une histoire qui arrive à beaucoup de groupes, vite mis en lumière, et tout aussi rapidement broyés et recrachés par l’industrie musicale. Ada Oda n’a pas su y échapper. Ainsi, il y a un mois, sa chanteuse, Victoria Barracato, annonçait arrêter les frais, dans la foulée de sa compère de L’Impératrice qui a pris la même décision quelques semaines auparavant. Les raisons invoquées se rejoignent : une folle pression en interne, des tournées éreintantes et, au bout, la voix, la tête et le corps qui ne suivent plus. Mais avant de tourner la page, et après avoir annulé toutes les dates prévues pour 2025 (il devait passer par le Gudde Wëllen fin mars), le groupe a décidé de sortir son second disque, Pelle d’Oca. Comme prévu.
Un chant du cygne au goût amer, vu la qualité et de la singularité de cette formation à la trajectoire éclair. Pas besoin, en effet, de remonter très loin pour en développer la genèse. On est en 2020 quand César Laloux (entendu notamment chez BRNS) voit, comme tant d’autres musiciens, son métier mis soudainement entre parenthèses. Un grand flou dont il va toutefois tirer parti… en contactant une chanteuse rencontrée sur Tinder! Attention, ses intentions sont autres que d’obtenir un rendez-vous galant. Son idée? Trouver une inconnue capable de transposer et chanter ses textes en italien. Il apprendra par la suite que Victoria Barracato n’est autre que la fille de Frédéric François, chanteur-crooner qui a connu le succès en France et un peu plus loin dans les années 1970-1980.
Que cela soit sur de douces ballades ou dans un rock expéditif, Ada Oda est à son aise
Qu’importe : entre les deux, ça matche, et le résultat est aussi improbable que leur rencontre. Imaginez tout de même : d’un côté, la Belgique, terreau connu pour son rock rageur et inspiré, fait de guitares énergiques et de chants scandés. De l’autre, l’Italie et sa langue ronde et charmeuse. Ada Oda, c’est cela : du post-punk aux racines anglo-saxonnes, rocailleux et énervé à souhait, qui se mélange à de grandes envolées mélodiques propres à la variété italienne. Un mariage assez dingue que la chaine Arte, qui a filmé la formation lors d’un concert, résume de la sorte : «Quand l’Angleterre pluvieuse de Dry Cleaning rencontre la dolce vita romaine». Concrètement, l’alliage aboutit à un rock sautillant, binaire et minimaliste du plus bel effet.
C’est vrai, le duo, rejoint par trois autres musiciens, n’a pas son pareil et tape logiquement dans l’oreille des professionnels. En peu de temps, il investit les scènes européennes et autres grands festivals (avec, au bout, plus de 200 concerts donnés dans une vingtaine de pays). Que dire de leur premier album, Un Amore Debole, sorti en novembre 2022 et encensé par les critiques? Une petite bombe, idéale pour passer l’hiver au chaud, avec ce rock jovial porté par un chant imparfait et teinté de romantisme transalpin. Deux ans plus tard arrive donc son double, Pelle d’Oca (soit «chair de poule»), qui partage certaines vues avec son ainé : une passion pour les tatouages (sur la pochette) et pour les histoires d’amour qu’Ada Oda matérialise dans ses chansons, décortique, met à nu.
Si sa discographie n’ira sûrement pas au-delà de deux disques, elle reste parfaite de bout en bout. Que cela soit sur de douces ballades ou dans un rock expéditif, Ada Oda est à son aise. Sa toute dernière production s’en veut le témoin, avec douze titres qui défilent sur à peine une demi-heure. Suffisant, toutefois, pour convaincre une nouvelle fois. Les arguments ne manquent pas, que l’on évoque l’accrocheur La Gioventù, le fédérateur Figlia d’Europa ou encore le touchant Ho Amato Tutto, qui s’entend aujourd’hui comme une ultime déclaration d’amour. Aux âmes chagrines, rappelons néanmoins que le nom Ada Oda vient de l’argot italo-américain et se rapproche de l’expression «demain est un autre jour». Et le soleil brillera toujours pour les audacieux.