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Sarah Bernhardt, «divine» et «scandaleuse»


Sarah Bernhardt à 21 ans, en 1865, photographiée par Félix Nadar.

Plus grande comédienne française des XIXe et XXe siècles, Sarah Bernhardt demeure un «monstre sacré», comme l’avait défini Jean Cocteau. Un siècle après sa mort, livres et expositions lui rendent hommage.

Une triste anecdote : le 22 février 1915, souffrant d’une tuberculose osseuse, cette femme de 71 ans est amputée de la jambe, au-dessus du genou. Et, légende ou réalité, les médecins de s’exclamer : «Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour qu’on parle d’elle!». Cette femme, alors au crépuscule de sa vie, c’est Sarah Bernhardt, née en 1844 d’une mère courtisane néerlandaise et d’un père inconnu.

Ce 26 mars, on fêtera le centième anniversaire de sa mort. Un siècle déjà, mais elle demeure encore et toujours la plus grande comédienne française. Mieux : la comédienne ultime. Celle pour qui Jean Cocteau lança le qualificatif «monstre sacré».

Enfant, elle a grandi en Bretagne avec une nourrice qui ne parlait que breton. Adolescente, elle revient en région parisienne et se retrouve au couvent, à Versailles. En parallèle, son éducation est complétée par l’amant de sa tante, le duc de Morny, qui l’initie à la sculpture et à la peinture.

Elle découvre le théâtre lors d’une représentation au couvent – elle sait alors que c’est sa vocation. Après le Conservatoire d’art dramatique de Paris, elle entre à 18 ans à la Comédie-Française et en est renvoyée, quatre ans plus tard, pour avoir giflé une sociétaire.

«Je veux être extraordinaire!»

Elle devient mère de Maurice, né d’une liaison avec un noble belge  – il sera son fils unique. Elle signe un contrat avec le théâtre de l’Odéon, s’y fait connaître avec le rôle de la reine dans Ruy Blas, (de Victor Hugo). En 1870, dans un Paris assiégé, elle transforme l’Odéon en hôpital militaire. Petit gabarit de 1,54 m, elle place sa vie sous une formule définitive : «Je ne veux pas être normale. Je veux être extraordinaire!».

Elle revient à la Comédie-Française, y reste jusqu’en 1880, date à laquelle elle fonde sa compagnie. Elle joue à Londres, à Copenhague, en Russie, aux États-Unis. Elle ne craint rien, interprétant même des rôles d’homme.

Le succès est au rendez-vous, à chaque pièce, à chaque représentation. Sarah Bernhardt, c’est «la Voix d’or», «la Divine», «la Scandaleuse». Elle inspire des pièces, dont L’Aiglon d’Edmond Rostand, devient en 1893 directrice du théâtre de la Renaissance, puis du théâtre des Nations qu’en toute modestie elle ne manque pas de renommer théâtre Sarah-Bernhardt!

Son jeu sur scène est emphatique, tant dans la pantomime que dans la déclamation, et les modulations de sa voix filent volontairement loin du naturel.

Une réputation d’excentrique

Au sujet de cette «comédienne ultime», qui tentera, dès 1900, l’expérience du cinéma (Le Duel d’Hamlet de Clément Maurice), tout a été dit, et n’importe quoi, parfois. Ainsi, il se raconte qu’elle aurait fait le tour du monde habillée du costume de Phèdre, qu’elle dormait dans un cercueil, qu’elle collectionnait les fauves et les amants (dont Victor Hugo), qu’à une comédienne l’interrogeant sur le trac, elle aurait répondu : «Ne vous en faites pas, ça viendra avec le talent»…

Trimballant une réputation d’excentrique, réputée menteuse, elle brillait par sa forte personnalité. Un historien du théâtre est catégorique : «Côté provocations, à côté de Sarah Bernhardt, c’est de la roupie de sansonnet!».

L’Histoire retient aussi son soutien à Émile Zola dans l’affaire Dreyfus, sa défense de la militante féministe et anarchiste Louise Michel, et son combat contre la peine de mort. En 1914, Sarah Bernhardt reçoit la Légion d’honneur; l’année suivante, amputée de la jambe droite, elle joue encore au théâtre, mais assise, et rend visite aux soldats, au front, en chaise à porteurs…

Lors du tournage de La Voyante, le film de Sacha Guitry, elle meurt le 26 mars 1923 d’une insuffisance rénale dans son appartement du 56, boulevard Pereire dans le XVIIe arrondissement de Paris. Elle meurt dans les bras de Maurice, son fils unique, finalement le seul et vrai amour de sa vie.

Des rivales en pagaille

Aussi star que scandaleuse, Sarah Bernhardt n’avait pas que des ami(es) dans le monde du spectacle. Et elle ne cherchait pas à s’y faire apprécier. De toutes ses rivales, trois furent particulièrement virulentes. D’abord Marie Colombier (1844-1910), qui s’en donnait à cœur joie en affublant Sarah Bernhardt de multiples surnoms.

En 1880, Sarah Bernhardt l’emmène pour une tournée de huit mois outre-Atlantique, et elle en tire deux pamphlets : Voyage de Sarah Bernhardt en Amérique (1881), puis Les Mémoires de Sarah Barnum (1883). Scandale! De retour en France, Sarah Bernhardt entraîne son fils et le poète Jean Richepin dans une expédition punitive pour saccager l’appartement de Marie Colombier.

Une autre rivale est italienne. Et est surnommée «la Duse». De son vrai nom Eleonora Duse (1858-1924), elle est considérée comme l’une des plus grandes comédiennes de son époque. En Italie, elle joue Victorien Sardou, Alexandre Dumas fils, Henrik Ibsen… Son jeu est tout en intériorité brisée, aliénée, névrosée (un registre semblable à celui de Sarah Bernhardt).

S’ensuit une rivalité entre les deux comédiennes qui divise les critiques, qui sera exacerbée par le dramaturge Gabriele D’Annunzio, qui s’éloignera de «la Duse» pour se rapprocher, tout près, de Sarah Bernhardt.

Enfin, Jeanne Julie Regnault, dite Julia Bartet ou encore «Mademoiselle Bartet» (1854-1941). À 25 ans, elle entre à la Comédie-Française où, très vite, elle brille par sa polyvalence, aussi à l’aise dans les pièces de Hugo ou Musset que de Racine – on la surnomme alors «la divine Bartet».

Elle s’impose comme une des meilleures rivales de Sarah Bernhardt. Ce qui n’empêchera pas les deux de se respecter et même de devenir amies.

Deux livres, deux expositions

Pour célébrer au mieux le centième anniversaire de la mort de Sarah Bernhardt, paraissent deux livres (aussi bons l’un que l’autre) et arrivent deux expositions à Paris. Revue de détail.

Scandaleuse Sarah, d’Elizabeth Gouslan. L’Archipel.

Biographe remarquée de Jean-Paul Gaultier, Ava Gardner, Marcello Mastroianni ou Grace de Monaco, Elizabeth Gouslan évoque la grande comédienne côté cœur et côté cour. Elle dévoile une Sarah Bernhardt surdouée et culottée, mais pas que… «Sarah provoque, choque, anticipe les modes», complète-t-elle. L’auteure transpose lectrices et lecteurs dans les coulisses du Second Empire, de la Belle Époque et des Années folles. Et de rappeler que Sarah Bernhardt a été une femme d’engagement, s’impliquant dans de nombreuses grandes causes dont l’affaire Dreyfus.

Sarah quand même, de Régine Detambel. Actes Sud.

Romancière de belle réputation (avec, entre autres, Platine), Régine Detambel dit en ouverture de son livre : «Il y a quelques années, juste avant la guerre, elle jouait encore Jeanne d’Arc. Et le public se déplaçait pour aller la voir parce que Sarah Bernhardt sur scène a toujours été un choc». Quelle énergie, lui fallait-il, à cette comédienne, près de 70 ans et qui flottait dans une informe robe de bure… Voilà, on a là tout Sarah Bernhardt qui avait placé sa vie, sous une formule en deux mots : «Quand même…».

«1923-2023. Hommage à Sarah Bernhardt»

Musée national Jean-Jacques-Henner – Paris. Du 22 mars au 26 juin.

Première star internationale et reine du tout-Paris, la comédienne a vécu de longues années dans la Plaine Monceau, proche de l’hôtel particulier devenu le musée Henner. Ce printemps, on pourra y découvrir des archives en lien avec la comédienne, des œuvres de Louise Abbéma et des portraits photographiés. Seront également, tout au long de l’année, organisées de nombreuses festivités au musée : conférences, lectures, cours de dessin, concerts, visites…

«Sarah Bernhadt. Et la femme créa la star»

Petit Palais – Paris. Du 14 avril au 27 août.

À travers plus de 400 œuvres, on y parcourra la vie et la carrière de ce «monstre sacré», et découvrira des pans de sa vie moins connus, comme son activité de peintre, d’écrivain et de sculptrice.

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