Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
La tradition de la distillation dans le pays mosellan révèle bien des surprises. Ce whisky single malt 6 ans d’âge estampillé de la Gëlle Fra, produit par la maison Diedenacker, en est une belle!
LE PRODUIT
Camille Duhr est le premier distillateur à avoir produit un whisky au Luxembourg. «En 2005, j’avais distillé un rye malt (NDLR : whisky de seigle) que j’ai gardé dans un fût de pinot blanc de mon père pendant cinq ans. J’ai vendu ces 440 bouteilles en deux mois.»
Porté par ce succès qu’il n’attendait pas si éclatant, il passe à deux fûts par an dès 2010. Mais il faudra donc attendre 2015 pour voir davantage de bouteilles mises sur le marché chaque année. L’art d’élaborer des alcools est avant tout l’éloge de la patience.
Quand on lui demande pourquoi un whisky, il renvoie la balle : «Et pourquoi ne pas essayer puisque l’on a presque tout sous la main? Le seigle vient de l’Oesling, le malt d’Allemagne et l’eau d’une source de Niederdonven. Je ne fais pas ça pour me comparer à des distilleries écossaises ou irlandaises, juste pour faire un whisky luxembourgeois, forcément différent.»
Les méthodes employées, elles, suivent à la lettre les règles de la loi sur le whisky. Le moût fermente pendant trois à quatre jours avant de passer dans la colonne à distiller. Tout le talent du distillateur est de conserver le cœur de chauffe, la partie la plus élégante, qui titre entre 70 et 80 ° d’alcool. Il est mis en fût pendant cinq ans minimum. À la fin de ce sommeil, le distillat est allongé d’eau de source déminéralisée («elle est trop dure, ici») pour le ramener doucement à 45 ° d’alcool, où il sera mis en bouteille.
Il n’y a aucun processus industriel ici, tout est fait à la main
Produire du whisky prend du temps, puisque, avec 100 litres, Camille Duhr sort 7 litres d’alcool pur. En tout, six chauffes d’alambic sont nécessaires pour remplir un fût, à raison de deux fournées par jour. «Normalement, nous produisons le whisky entre février et mai, à la fin de la saison des fruits.»
La série spéciale Gëlle Fra (Gëlle Fra est une marque déposée par Will Kreutz) est arrivée un peu sans prévenir. Will Kreutz, homme de communication qui s’est pris de passion pour les meilleurs produits artisanaux luxembourgeois, avait fait la rencontre de Camille et Mariette Duhr dans le cadre de son café Roude Léiw. «J’en produisais des aromatisés et avec Camille, nous en avons élaboré un au whisky.»
Quelques années plus tard, le partenariat s’est donc créé naturellement, même si la Gëlle Fra a remplacé le Roude Léiw. «J’avais en cave depuis six ans un fût d’un single malt différent, créé avec une orge maltée plus fumée qui donne un whisky plus corsé, plus profond», avance Camille Duhr. «J’ai trouvé que ces caractéristiques correspondaient parfaitement à la Gëlle Fra, qui est un symbole de puissance et de force qui fêtera son centenaire en 2023», relève Will Kreutz.
Mais il n’y a que deux fûts. Il y a six ans, Camille Duhr n’en avait pas rempli d’autres… «C’est très bien comme ça, reprend le communicant. Quand les quelque 800 bouteilles seront vendues, on recommencera certainement, mais avec un nouveau whisky. La production de Camille est artisanale, intègre et sincère. Nous pouvons tout montrer si un client le désire, il n’y a rien à cacher.»
Cette exigence a un coût, puisque la bouteille de 50 cl coûte 62 euros. «Mais c’est un prix juste, assure Camille Duhr. Nous n’utilisons que les meilleurs ingrédients et nous ne comptons pas notre temps pour parvenir à ce niveau de qualité. Il n’y a aucun processus industriel ici, tout est fait à la main, de la cueillette à l’étiquetage.»
Les louanges venues d’Irlande, du Japon, du Canada et les commentaires publiés dans le Whisky Bible de Jim Murray (une référence) confirment la qualité de la production locale.
LE PRODUCTEUR
Camille Duhr a repris la structure familiale en 2000. Il représente la sixième génération de bouilleurs de cru de la distillerie Diedenacker (à Niederdonven, dans l’arrière-pays mosellan). La plus ancienne trace attestant la présence d’un alambic à la ferme est un formulaire de la douane daté de 1862.
Cela se sent tout de suite, Camille est un homme intègre qui agit selon ses convictions, à l’écart des effets de mode et des effets de manche. Il s’occupe de tous les travaux. Il taille et entretient les vergers, participe à la récolte manuelle des fruits mûrs et, devant l’alambic, il est le seul maître à bord. Il est solidement épaulé par son épouse, Mariette, qui gère l’entreprise et l’accueil des clients.
La ferme compte 45 hectares de prairie et de vergers (400 arbres en tout : pommes, poires williams, quetsches, coings, cerises…). Parallèlement, le couple s’occupe également d’un cheptel de vaches destinées à la production de viande.
OÙ LE TROUVER
La boutique de la distillerie propose la quarantaine de produits créés par la maison (environ 25 eaux-de-vie de fruits, quelques liqueurs, du gin et les whiskys). Elle est ouverte tant qu’il y a quelqu’un sur place, mieux vaut donc passer un coup de téléphone avant de venir. Quelques cavistes et épiceries fines ont également référencé ces alcools. Les supermarchés Cactus mettent en rayon une demi-douzaine d’eaux-de-vie ainsi que les gins et les whiskys (dont le Gëlle Fra).
À retenir
• Le whisky Gëlle Fra a évolué pendant six ans en fût de chêne ayant contenu du vin blanc luxembourgeois. Il est produit à base de seigle de l’Oesling, de malt allemand et d’eau de source de Niederdonven. Seuls deux fûts (environ 800 bouteilles) ont été produits.
• Le distillateur Camille Duhr produit une quarantaine d’eaux-de-vie, de liqueurs, de gins et de whiskys. Il s’agit d’un homme passionné, intransigeant sur la qualité. Toute sa production est artisanale, rien n’est mécanisé.
• Les produits de la distillerie Diedenacker sont disponibles à la boutique de production (Niederdonven). On peut également trouver une sélection de ces bouteilles, dans des vinothèques, des épiceries fines et dans les supermarchés Cactus (dont le whisky Gëlle Fra).