Le débat sur l’instauration de deux jours de télétravail pour tous les salariés du Luxembourg a eu lieu ce mercredi matin à la Chambre, après le succès de la pétition qui a récolté plus de 13 892 signatures l’été dernier. Sans vraiment éclaircir la question.
C’était un débat attendu de longue date par beaucoup. Ce mercredi matin, des députés luxembourgeois se sont penchés sur la question du télétravail au Luxembourg, avec, face à eux, une adversaire de taille : Katia Litim. Cette jeune maman française travaillant au Luxembourg était en effet venue représenter les quelque 13 892 signataires de sa pétition (la plus signée sur le site de la Chambre pour l’année 2022) réclamant deux jours de télétravail par semaine pour tous les salariés du pays.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle avait pris son rôle à cœur : «C’était une grande première pour moi. Je voulais vraiment faire les choses bien et leur montrer que je maîtrisais le sujet», glisse-t-elle ainsi à la sortie de la Chambre, après deux heures de discussions. Powerpoint de présentation, flopée d’études sur le sujet, exemples concrets du quotidien… Katia a su argumenter avec brio sur la question du télétravail au Luxembourg et dans la Grande Région, aux côtés de l’ancien secrétaire général de l’Aleba, Laurent Mertz et face aux ministres des Finances, de la Sécurité sociale et du Travail.
«Le pays perd son attractivité»
En pointant du doigt d’emblée les déséquilibres du système mis en place actuellement. «Un résident luxembourgeois n’a aucune restriction, alors qu’un Belge ou un Français peut télétravailler six heures par semaine et un Allemand, quatre heures», explique-t-elle, schémas à l’appui. Des différences de traitement qui commenceraient, selon elle, à créer des tensions au sein des sociétés du pays.
Des inégalités qui vont surtout finir par poser un problème de taille au Luxembourg : son attractivité. «Beaucoup de personnes refusent actuellement des postes s’il n’y a pas de possibilité de télétravail. Des études récentes montrent que près de la moitié des 18-24 ans refusent un poste sans télétravail», argumente la banquière, en citant notamment celle de l’UEL, qui soulignait, il y a quelques jours, l’intérêt des entreprises du pays à offrir deux jours de télétravail à ses salariés. Des arguments soutenus par Laurent Mertz, qui met en garde les députés face à lui : «Si le Luxembourg ne fait rien, il y aura des délocalisations. Les conditions actuelles de travail ne correspondent plus à la nouvelle génération».
Une question «complexe»
Les pétitionnaires sont catégoriques : les nouveaux talents ne viennent plus au Luxembourg uniquement pour l’argent. Et ceux qui sont déjà là préfèrent repartir dans leur pays, las de subir des conditions de transport délétères ou faute de mesures de télétravail à la hauteur de leurs espérances. Un «phénomène nouveau depuis quelques années», dont les députés devraient s’inquiéter, pointe l’ancien secrétaire général de l’Aleba. Pour eux, le seuil de deux jours de télétravail par semaine semble être un «minimum incontournable», pour le bien de tous.
Des arguments entendus par les députés, mais qui se confrontent malheureusement au cadre communautaire. Oui, le Luxembourg peut mieux faire, mais cela ne dépend pas que de lui, se défendent les politiques. En plein cœur de la Grande Région, difficile en effet de trouver un consensus équitable et accepté par tous. «Idéalement, nous aimerions un niveau de télétravail plus élevé, identique pour les trois pays voisins. Mais c’est une question très complexe, je sais qu’il faut se moderniser et faire davantage», estime la ministre des Finances, Yuriko Backes.
«Un pionnier, un leader»
Difficile donc de trancher sur le volet fiscal, mais aussi sur l’aspect « Code du travail », qui concernent aussi les travailleurs frontaliers. Autant de points noirs qui laissent pour l’instant les négociations en suspens. Seule potentielle amélioration à venir : celle concernant le seuil de tolérance de la sécurité sociale, où là, l’espoir semble être permis : «La Belgique nous a assuré, de manière informelle, qu’elle suivrait notre voie si aucun accord européen n’était trouvé. Nous attendons encore des retours côté français. L’idée serait d’avoir un accord commun dans la Grande Région», glisse le ministre de la Sécurité sociale, Claude Haagen.
Une nouvelle qui «ravit» Katia Litim, qui attend beaucoup des prochaines annonces du ministre à ce sujet. Pour rappel, le Luxembourg et d’autres pays européens souhaitent relever ce seuil de 25 à 41%, afin de permettre davantage de journées en télétravail. «Les entreprises ne peuvent plus s’en passer : ce n’est plus seulement un atout, c’est un indispensable et le Luxembourg doit être un pionnier, un leader sur cette question», appuie la pétitionnaire, qui appelle à trouver un «juste équilibre», sans abuser du télétravail non plus.
C’est avec le sourire que Katia Litim a quitté la Chambre des députés ce mercredi matin, après des échanges avec les politiques qui auront duré près de deux heures. Une grande première pour elle, qui a passé ces derniers mois à enquêter sur le sujet du télétravail, interrogeant spécialistes, politiques ou encore psychologues sur la question. «Je suis satisfaite parce que les trois ministres concernés étaient présents et ce n’était pas vraiment prévu. Après, je comprends leurs arguments, mais les attentes des salariés, des entreprises sont là, et on doit trouver des solutions.»
Même si le débat est désormais derrière elle, Katia compte tout de même continuer son combat. «Je vais attendre le rapport de la sous-commission de télétravail et voir aussi les confirmations du ministre de la Sécurité sociale sur les accords avec les pays voisins. Je croise les doigts aussi pour que madame Backes nous annonce des bonnes nouvelles ces prochaines semaines. J’espère vraiment que ce débat aura un impact dans nos pays voisins, qu’il fera avancer les discussions et relancera peut-être l’ouverture des négociations.»
Un bilan plutôt positif donc, pour celle qui, à la sortie du Covid, s’est dit très frustrée par le manque d’initiative des politiques sur la question du télétravail. «Nous nous étions habitués à ce nouveau mode de travail, qui, je le conçois, a aussi ses effets néfastes. Je ne suis pas en faveur du 100% télétravail, il faut garder une cohésion sociale, une culture d’entreprise, c’est important. Mais le fait de ne voir aucune alternative pour prévoir le monde du travail de demain, pour développer ce mode de travail hybride à grande échelle, j’ai trouvé ça dingue.»
Deux ans plus tard, elle continue de défendre ce système, et espère vraiment que le Luxembourg aura un poids diplomatique assez fort pour mener ces discussions à l’échelle européenne. «J’ai contribué à mon niveau, c’est déjà bien», glisse-t-elle en souriant.
Chez nous, certains ont du télétravail depuis 2 ans (sans embouteillage, sans perte de valeur de la voiture, sans stress, et nourriture bon marché à la maison) et d’autres doivent conduire chaque jour au travail et prendre un menu du jour pour 10-15 euros. C’est quoi cette inégalité?
Il n’y a pas inégalité dans ce cas précis. Le principe d’égalité suppose que l’on traite de manière différente des situations différentes et de manière similaire des situations similaires. Traiter des situations différentes de manière identique reviendrait en effet à créer une égalité réelle mais celle-ci pourrait engendrer une inéquité, soit une situation injuste pour les personnes se situant dans l’une de ces situations.
Pour aller plus loin:
https://www.vie-publique.fr/dossier/276143-le-principe-degalite-droit-et-grands-enjeux-du-monde-contemporain
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2008-4-page-8.htm
Voilà comment une expérience « grandeur nature » (à savoir la pandémie) a chamboulé nos mentalités: Faut-il le rappeler, en 2019, ou même encore 2020, le télétravail était un tabou. Et même les entreprises commencent à s’en rendre compte que les salariés aussi peuvent poser des exigences!