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Frontaliers, des mineurs de fond aux comptables de fonds


Des vidéos intimistes se mêlent aux photos des lotissements des frontaliers. Photo : Alain Rischard

Une exposition immersive, actuellement en place à la Massenoire, propose une plongée au cœur du quotidien des frontaliers français travaillant au Luxembourg.

Des choix de vies. Voilà en trois mots comment résumer l’exposition immersive réalisée par Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff, actuellement présentée dans le bâtiment de la Massenoire, à Belval.

On y découvre une partie du quotidien d’une douzaine de frontaliers français, qui ont accepté d’ouvrir leurs portes aux deux artistes, ces deux dernières années. Leurs rapports à l’eldorado luxembourgeois (existe-t-il encore aujourd’hui?), leurs temps de trajet, leur travail, mais aussi le choix de leurs habitations, parfois très similaires aux corons de l’époque minière… Car c’est un peu ça, cette exposition «Frontaliers, des vies en stéréo» : une histoire qui semble se répéter au fil des décennies. Une mise à disposition de travailleurs pour un pays en plein essor.

Avant, ils étaient mineurs de fond. Aujourd’hui, ils sont comptables de fonds. Le travail n’est, certes, pas le même, mais la dynamique reste identique. Des usines des temps modernes, des bureaux éclairés à toute heure, où les frontaliers s’emprisonnent presque d’eux-mêmes. «Nous sommes invisibles mais hyperimportants», témoigne ainsi cette frontalière, femme de ménage dans une grande entreprise luxembourgeoise.

C’est là toute la magie du travail de Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff : donner une voix, une vie, retranscrire à l’écran, une réalité, celle d’une société moderne où l’argent prédomine souvent sur la qualité de vie. Oui, travailler au Luxembourg permet d’avoir un meilleur salaire, mais à quel prix ? La question est clairement posée à travers ce projet.

Le paradoxe luxembourgeois

Mais l’exposition n’est pas simplement une succession de photos. Les deux artistes français ont choisi une approche multimédia très intéressante. Au-delà des clichés, des plans vidéo ont également été réalisés pour immerger totalement le public dans le quotidien de ces travailleurs.

Un casque audio géolocalisable permet ainsi d’écouter le récit de ces frontaliers et comprendre leurs choix de vies. «Nous avons vraiment pensé l’exposition avec cette perspective d’écoute en déambulant, un peu comme des airpods en fait», glisse en souriant Mehdi Ahoudig.

«Le Luxembourgeois, il ne fait pas mon métier», «Je pars à minuit, je reviens à 7 h», «Je sais que c’est se tirer une balle dans le pied, mais je ne veux plus y retourner». Les témoignages sont forts et symptomatiques de ce paradoxe luxembourgeois, cette «prison dorée» qui continue d’attirer au-delà de ses frontières (la dernière étude du Statec fait état de 212 000 frontaliers actuellement dans le pays), mais qui, plus que jamais après la crise sanitaire et l’essor du télétravail, pose réflexion.

Au-delà de l’aspect «stéréo», rendu possible grâce à cette immersion auditive et visuelle, l’exposition va encore plus loin, en nous invitant à prendre place dans des voitures, comme de «vrais frontaliers», qui y passent plus de deux heures par jour, minimum. Des morceaux de vies et des témoignages sont projetés sur les parebrises, nous emmenant sur leurs routes, matin et soir.

Une manière d’entrer complètement dans l’intimité de ces frontaliers, avec des vidéos brutes (on y voit, par exemple, cette maman infirmière déposer son enfant à la crèche à 5 h 45) tout en gardant une certaine distance, en restant ce «spectateur» immergé.

Au final, quelles traces les régions françaises frontalières ont-elles gardées de l’époque minière, où le Luxembourg n’était qu’un simple voisin? À cette question, Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff ont tranché : «La survie économique et l’accomplissement individuel ont balayé les luttes collectives. Le burn-out a remplacé la silicose.»

Entrée gratuite du 22 au 30 octobre. Accès par le Visitor Centre d’Esch 2022, 3, avenue des Hauts-Fourneaux, Esch-sur-Alzette. Tarif : 7 euros.

Il était une fois dans l’Est

«Nous avons commencé notre travail début 2020, un mois avant le confinement. Il ne s’agissait pas de produire une étude « représentative » au sens scientifique, mais plutôt d’entreprendre un voyage documentaire prenant la forme d’une étude de terrain audiovisuelle», expliquent les deux artistes.

[caption id="attachment_394542" align="aligncenter" width="1000"] Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff ont réalisé cette exposition immersive.[/caption]

Plus de 80 frontaliers ont participé à cette expérience, mais seulement une douzaine figure dans l’exposition. «Notre principal défi, c’était le temps. Les frontaliers n’ont pas le temps, alors les revoir régulièrement a été assez compliqué», souffle Samuel Bollendorff, qui explique s’être intéressé aux «nouveaux lotissements frontaliers», notamment dans les communes d’Aumetz et de Tressange.

Cette exposition a été produite dans le cadre d’Esch 2022 – capitale de la culture, en collaboration avec «les films du Bilboquet». Un documentaire complémentaire, d’une soixantaine de minutes, fait aussi partie du projet et décrit les lieux où se déploient «les destins des frontaliers». Intitulé Il était une fois dans l’Est, il sera diffusé à la télévision française, le 10 novembre, sur France 3 Grand Est, ainsi que dans différents cinémas.

Plus de vidéos sur la chaîne Youtube d’Esch2022.

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