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[Exposition] Malbrouck entre en résistance 


En se consacrant à la figure d’exception qu’est Madeleine Riffaud, le château de Malbrouck célèbre l’acte de résistance au féminin et confirme avec élégance son engagement pour le 9e art.

Force est de constater que depuis 2017, année où le château de Malbrouck a ouvert ses imposantes murailles au monde de la BD, tout n’a pas été à la hauteur. Et de Jack Kirby à Tintin en passant par Astérix ou Alix, certaines expositions manquaient de consistance et de savoir-faire. Mais la persévérance paie, surtout si l’on s’adjoint un partenaire de taille : le festival d’Angoulême, haut lieu du 9e art lié depuis l’année dernière au bâtiment historique en équilibre entre trois frontières. La toute première réalisation incarnant ce projet en commun, la rétrospective «René Goscinny, scénariste, quel métier!», démontrait l’envie d’une action plus ambitieuse. Idée qui se confirme avec «Elle résiste, elles résistent», d’une élégance implacable, à l’image de sa figure centrale : Madeleine Riffaud.

Déjà visible en janvier pour la cinquantième édition du festival d’Angoulême, cette version mosellane – et augmentée – remet en lumière un duo admirable : soit le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail, lauréats du prestigieux Prix Goscinny en 2022 pour le premier tome de Madeleine Résistante. Et entre les deux, leur sujet, une femme d’exception aux mille vies, aventurière quasi centenaire et increvable défenseur de l’humanité, résistante donc, mais également poétesse, écrivaine, correspondante de guerre et passeur de mémoire. Oui, Madeleine Riffaud est tout ça à la fois et pour se rendre compte de «l’ampleur de l’aventure», il suffit de suivre à la trace son destin unique, détaillé chronologiquement à travers moult dessins, photos, textes et vidéos.

Un «coup de pied au cul» qui change tout

Un expression sert ici de fil rouge, à saisir à deux mains comme l’on prend son courage : «Savoir dire non et à n’importe quel prix». Madeleine Riffaud en a fait sa philosophie à la suite d’un simple «coup de pied au cul» reçu d’un soldat allemand, croisé sur le chemin de l’exode en 1940. Humiliée, la jeune fille décidera alors de rendre, à lui et les siens, ce geste au centuple : elle sera résistante! Elle qui, enfant, échappe à l’explosion d’un obus abandonné (qui tuera ses camarades de jeu), au typhus et à la tuberculose, finit par rejoindre Paris où elle s’engage dans l’insoumis réseau du Front national des étudiants. Son nom de guerre : Rainer (en hommage à l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke). Sa maxime : «Je ne suis pas une victime, je suis une résistante. Je ne suis pas une martyre, je suis une combattante».

Je ne suis pas une martyre, je suis une combattante

À 19 ans, elle tue un officier allemand, puis est arrêtée et torturée par la Gestapo. Libérée, elle poursuit son engament et mène à bien plusieurs missions, parmi lesquelles l’attaque d’un train ennemi qui fait 80 prisonniers, jusqu’à la libération. Débute alors une autre vie : au sortir du conflit mondialisé, sous l’impulsion de Paul Éluard, elle publie ses poèmes (Le Poing fermé). Elle est ensuite embauchée au journal Le Soir et à L’Humanité sous l’impulsion de Louis Aragon. Elle devient correspondante de guerre, couvrant les conflits en Algérie, au Congo, au Vietnam, s’engageant auprès des peuples opprimés. Enfin, après «vingt ans de maquis», elle s’infiltre dans les hôpitaux parisiens et en dénonce les carences, notamment dans Les Linges de la nuit, vendu un million d’exemplaires en 1974.

Un processus de création singulier

Voilà pour les grandes lignes d’une existence qui donne le vertige, mais qu’elle a longtemps gardée pour elle, comme elle l’explique : «Je ne voulais pas repenser à tout ça. Je ne voulais pas retomber malade dans ma tête». Mais à partir des années 1990, elle va s’y replonger, répondant ainsi à la volonté de Raymond Aubrac de témoigner de ce que fut leur engagement clandestin. «Raconter, ça m’a donné une autre vie. Et ça m’a rendu la mémoire!» De ses confidences sortiront notamment un livre d’entretiens (On l’appelait Rainer), un documentaire (Les Trois Guerres de Madeleine Riffaud) et un film d’animation, déjà illustré par Dominique Bertail (Les Sept Vies de Madeleine Riffaud). Et donc une BD, prévue en plusieurs tomes (le second sort à la mi-août, à l’occasion des 99 ans de Madeleine Riffaud). C’est cet ouvrage qui, principalement, guide le visiteur dans une déambulation labyrinthique au cœur du château.

L’exposition dévoile ainsi le processus de création singulier qui unit Madeleine Riffaud, Jean-David Morvan et Dominique Bertail, dans lequel tout passe nécessairement par la voix, Madeleine Riffaud ayant perdu, avec l’âge, l’usage de ses yeux. À un rythme régulier, on tombe sur sa voix et son visage, dans une vieille émission de l’ORTF, dans une autre, plus récente, où elle déambule dans les rues de Paris, ou encore au sein d’un vrai-faux salon, où l’hôte avoue aimer savourer un bon whisky (coupé à l’eau) et tirer occasionnellement sur un cigarillo. C’est là que le scénariste a enregistré des centaines d’heures de conversation et a «relu» à la nonagénaire aveugle les planches de son compère, histoire de n’oublier aucun détail, jusqu’au plus douloureux des souvenirs (comme ce viol perpétré par un jeune collaborateur).

Madeleine Riffaud et ses sœurs d’armes

Le parcours de cette mémoire vivante et éminente ne pouvait que résonner avec force au château de Malbrouck, lieu à l’histoire tourmentée : malmenée durant la Seconde Guerre mondiale, occupée tour à tour par les soldats français et allemands (pour finalement être détruite à coups de bombes), la bâtisse rappelle ces moments difficiles par le biais d’affiches de propagande d’époque, qui parlent du «bon et gentil» Allemand et du «mauvais» Juif… Mais l’exposition, qui se veut instructive, surfe surtout sur le splendide dessin de Dominique Bertail, d’un bleu-gris hypnotisant, lui qui avait déjà mis en images le débarquement en Normandie du photographe Robert Capa. Et pour se donner encore plus de légèreté, elle emprunte parfois les mots, délicats et poétiques, de Madeleine Riffaud.

Mieux, pour justifier son titre, où le verbe «résister» est conjugué au singulier et au pluriel, une dernière section met à l’honneur d’autres figures de résistantes d’hier et d’aujourd’hui, toutes sœurs d’armes de Madeleine Riffaud. Des figures anonymes, aux révoltes intimes comme politiques, qui se nomment Simone Coqué, Anny Schulz, Germaine Tillion ou encore Gerda Taro. Elles sont mosellanes, allemandes, italiennes, afghanes, algériennes… Elles ont lutté, ou luttent toujours, à l’instar d’Oksana Leuta, professeur à Kyiv, muée en «fixeuse» au lendemain de l’invasion russe. Laissons à Madeleine Riffaud la conclusion, à la hauteur du personnage qu’elle est : «Je ne suis pas un symbole, je ne suis pas une femme extraordinaire. Ce que j’ai fait, des milliers d’autres dans le monde l’on fait». Et le font encore.

«Elle résiste, elles résistent»
Château de Malbrouck.
Jusqu’au 20 août.

Madeleine Résistante (t1),
de Jean-David Morvan 
& Dominique Bertail. 
Aire Libre (Dupuis).

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