Pour de nombreux salariés, le bien-être au travail s’est dégradé en 2022 : près d’un quart d’entre eux ont ainsi l’intention de changer d’emploi, dans des secteurs où le recrutement est déjà en tension.
En moins de dix ans, l’enquête annuelle Quality of Work, menée auprès de travailleurs résidents et frontaliers par la Chambre des salariés (CSL) et l’université du Luxembourg, s’est imposée comme un outil de référence. Publiés hier, les résultats 2022 vont, à coup sûr, alimenter les débats préélectoraux de ces prochains mois : ils témoignent de profondes mutations sur le marché du travail et mettent le doigt sur les défis que les employeurs luxembourgeois devront relever pour rester attractifs.
S’il grappille un point par rapport à 2021, l’indice de qualité du travail 2022, qui s’établit à 54,9, évolue de manière négative sur les neuf dernières années. Sans surprise, parmi les 2 700 salariés interrogés, ce sont les employés des catégories les plus valorisées qui se disent satisfaits : avec des horaires normaux, dirigeants, professions intellectuelles et scientifiques, employés du secteur tertiaire ou agents de l’administration publique bénéficient d’un cadre de travail qu’ils jugent agréable.
À l’opposé, les salariés exerçant un métier plus pénible, souvent avec des horaires décalés, dans les transports, l’industrie, le commerce, la santé, l’action sociale ou l’hôtellerie-restauration – secteurs qui excluent toute possibilité de télétravail – sont davantage en difficulté.
Et les barrières qui les décourageaient de changer d’emploi en 2020 ou 2021 ont désormais sauté, avec un marché du travail plus dynamique : ainsi, un quart d’entre eux disent avoir l’intention de postuler ailleurs. Phénomène qui concerne davantage les frontaliers que les résidents, précise l’étude.
La rémunération y est pour beaucoup. Les salariés n’ont jamais été aussi nombreux à s’en plaindre, faisant plonger l’indice correspondant à son plus bas niveau depuis 2014, mais ce n’est pas la seule source de crispation : les conflits entre vie personnelle et vie professionnelle, qui n’ont fait que s’accentuer ces dernières années, pèsent lourd.
«C’est une tendance de fond, avec des salariés qui ont de plus en plus de mal à trouver un équilibre», confirme David Büchel, psychologue du travail à la CSL. «Les femmes sont les plus concernées – même si la part d’hommes est en constante augmentation –, tout comme les personnes vivant en couple ou ayant des enfants à charge», poursuit-il, précisant qu’en 2022, les salariés privés de télétravail ont rapporté d’importants soucis d’organisation.
Le télétravail plébiscité par 55 % des salariés
Alors qu’en 2021, le recours au télétravail avait percé, avec jusqu’à 40 % de salariés travaillant régulièrement à distance, en 2022, l’enquête note un léger recul, sans pouvoir parler d’un retour à l’avant-crise où seuls 21 % étaient concernés : «Avec 35 % des sondés en télétravail, on constate que le phénomène s’est installé durablement, en particulier pour certains groupes comme les professions intermédiaires, les agents administratifs ou les activités financières et d’assurance», commente le psychologue.
L’enquête mentionne aussi que les résidents sont plus nombreux à accéder à ce mode de travail (40 %) par rapport aux frontaliers (29 % de Français, 24 % d’Allemands, 32 % de Belges), les dispositions fiscales exceptionnelles accordées pour ces derniers lors de la pandémie ayant pris fin.
Et quand on les interroge sur le sujet, c’est un plébiscite : au total, 55 % des salariés sont pour le télétravail, 29 % plaidant même pour travailler de chez eux plus de la moitié du temps. Ils n’y voient que des avantages – moins de trajets, horaires plus souples, autonomie – alors que la CSL reste vigilante. Pour les représentants des 570 000 salariés, apprentis et retraités du pays, la porosité entre vie personnelle et professionnelle est problématique, car elle peut s’avérer compliquée à gérer – d’ailleurs, 10 % des salariés en télétravail préfèreraient être au bureau.
L’enquête révèle que ceux qui sont parents sont 18 % à devoir s’occuper de leurs enfants durant leurs jours de télétravail. Un chiffre qui monte à 25 % pour les parents isolés. De quoi alimenter les soucis à mener travail et vie de famille de front, voire augmenter le risque de burn-out, alerte la CSL.
Pour mieux s’en sortir, les salariés aspirent à la réduction de leur temps de travail hebdomadaire : 51 % souhaitent, en effet, effectuer moins d’heures par semaine que ce que prévoit leur contrat (contre 33 % en 2018), les 25-34 ans et les 35-44 ans en particulier. Les temps pleins notamment estiment que 34,4 heures serait plus adapté à leur quotidien, alors qu’ils en effectuent 40,8 en réalité.
«Se poser les bonnes questions»
À la lumière de ces nouveaux chiffres, Nora Back, la présidente de la CSL, estime que la société doit se pencher d’urgence sur la transformation du travail : «Le salaire ne fait pas tout, on doit être attentif au bien-être des travailleurs, surtout en période de crise et de pénurie de main-d’œuvre. Il faut se poser les bonnes questions», prévient-elle. «L’évolution sur la durée est effrayante, les facteurs négatifs explosent tandis que les positifs se réduisent. Les gens recherchent plus de qualité de vie, souhaitent travailler moins, ce que nous soutenons depuis longtemps», poursuit-elle, attaquant le gouvernement sur son immobilisme sur le plan des réformes. «Nous avons un accord sur le droit à la déconnexion, mais on attend toujours une loi», pointe-t-elle.