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Du Luxembourg au Brésil, une amitié de fer par-delà les frontières


Le Minas Gerais, aux allures de sud luxembourgeois tropical, a fait l’objet de plusieurs installations sidérurgiques à partir de 1920. (photo DR)

Les derniers chiffres du ministère de la Justice font état de 3 275 Brésiliens devenus luxembourgeois en 2022. Ces données couvrent une histoire entre les deux pays forgée par la conquête de l’acier et des dynamiques migratoires atypiques.

Les recoins de l’histoire du Grand-Duché, une fois déterrés et étudiés, offrent bien souvent des perspectives inattendues, des reliques d’un ancien temps et, par-dessus tout, des clés pour appréhender au mieux notre présent. Ainsi, son passé n’apparaît qu’à mesure que nous lui posons des questions, en prenant bien souvent appui sur les structures sociales et institutionnelles actuelles. Prenons, par exemple, les chiffres dévoilés par le ministère de la Justice, il y a de ça trois semaines, sur les personnes ayant obtenu la nationalité luxembourgeoise. Durant l’année 2022, un nombre total de 10 499 demandeurs ont bénéficié des procédures de naturalisation, d’option et de recouvrement, parmi lesquels de nombreux Portugais et Français.

Ils sont pourtant loin d’être majoritaires, puisque 3 275 Brésiliens sont devenus luxembourgeois, pour une large partie par le biais de la loi de 2008, modifiée en 2017. Sur la base de l’article 89, la nationalité luxembourgeoise peut être obtenue par recouvrement si le demandeur avait un ascendant en ligne directe paternelle ou maternelle qui était luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900. Plus de 4 200 personnes ont alors eu recours à cette procédure en 2022, dont 3 080 sont issues de la «terre d’avenir» (Georges Clémenceau).

Cet amas de données n’est autre que le totem d’une histoire commune entre les deux pays, forgée à l’origine par des dynamiques migratoires d’un autre siècle, ainsi qu’en témoigne la présence de Luxembourgeois au Brésil. Si les liens avec les pays limitrophes n’ont plus de secret, ceux avec une nation à plus de 9 000 kilomètres, qui n’ont pourtant rien d’un hasard, demeurent singuliers à bien des égards.

Les premiers contacts

L’exercice nous ramène au XVIIe siècle. Des jésuites originaires du territoire actuel du Grand-Duché se rendent au Brésil à des fins de prédication et établissent des pied-à-terre. Ces missionnaires sont particulièrement actifs, à l’instar de Jean-Philippe (João Felipe) Bettendorff, originaire de Lintgen et membre de la mission à Maranhão, qui bâtit une église à Santarém, en 1662. Presque deux siècles plus tard, des familles issues du Luxembourg, qui n’aura le régime de détermination d’un État qu’en 1839, se rendent au Brésil et y pérennisent leur présence : «Durant le XIXe siècle, des agents de migration circulaient à travers l’Europe pour recruter des migrants européens.

Les Bley, originaires de l’actuel Luxembourg, furent la première famille de la région détectée au Brésil en 1828, détaille Dominique Santana, cinéaste et historienne luxembourgo-brésilienne derrière le projet transmédia «A Colônia Luxemburguesa». Avec l’abolition de l’esclavage, le 13 mai 1888, il fallait également remplacer la main-d’œuvre gratuite dans le pays, tout en appliquant une politique de blanchiment de la population. C’est pour cela aussi que les migrants européens étaient intéressants.»

Ces migrations, essentiellement dirigées vers les régions méridionales de Santa Catarina et du Rio Grande do Sul, vont ainsi perdurer tout au long du XIXe siècle. Les Brésiliens qui ont obtenu la nationalité par recouvrement ces dernières années descendent d’ailleurs de ces familles, dont une large partie de la famille Bley. «Beaucoup de ces Brésiliens ignoraient leur origine luxembourgeoise et ont mis du temps à découvrir la loi de 2008. Certains pensaient être descendants d’Allemands, puisque de nombreux Luxembourgeois s’étaient intégrés à des réseaux transnationaux. Une fois que cela a été découvert, il y a eu un effet avalanche qui explique le nombre de procédures de recouvrement en 2022», relate Dominique Santana.

Des liens de fer…

L’intégration de ces Luxembourgeois du XIXe siècle au Brésil est vécue par eux comme une aventure à la fois dépaysante et déconcertante au regard du climat tropical et du contexte rural qui se présentent à eux. Les vagues de migrants luxembourgeois suivantes, au XXe siècle, connaîtront également un environnement pour le moins déroutant. Néanmoins, leur départ pour le Brésil est guidé par de nouveaux objectifs, de nouvelles perspectives. À partir de 1920, ingénieurs et contremaîtres luxembourgeois obtiennent des contrats à durée déterminée pour travailler dans le secteur sidérurgique brésilien, qui commence à prendre forme.

Cet essor découle principalement de nouveaux investissements dans la région du Minas Gerais, connue pendant la période coloniale pour l’or et le diamant qu’elle contenait. Son nom, qui signifie «Mines communes», fait d’ailleurs allusion aux exploitations qui dépendaient de la Couronne portugaise. «Le Minas Gerais va être le terrain d’installation et d’investissements de l’Arbed, aujourd’hui ArcelorMittal, qui va inaugurer sa filiale brésilienne Companhia Siderúrgica Belgo Mineira en 1921, chargée d’exploiter les minerais de fer», narre l’historienne, spécialiste de cette période historique.

En 1921, l’Arbed, aujourd’hui ArcelorMittal, inaugure sa filiale brésilienne, la Belgo Mineira. (photo Samsa Film)

Sous l’impulsion de Louis Jacques Ensch, fils d’un notaire luxembourgeois et deuxième directeur général de la société, la région va subir une envolée démographique et économique remarquable à partir des années 30. Parallèlement au mouvement massif de Luxembourgeois vers le Brésil, mais également d’Allemands et de Français, une frange de la population brésilienne choisit l’exode rural pour vendre sa force de travail à Belgo Mineira, dont les quartiers se situent à João Monlevade.

Peu à peu, une cité industrielle et cosmopolite voit le jour, où dômes géants et hauts-fourneaux tutoient des résidences modernes et confortables destinées aux ouvriers. «Cette petite communauté européenne a eu un impact immense sur le Brésil et son économie. La Belgo Mineira est encore aujourd’hui considérée comme une pionnière de l’industrie sidérurgique au Brésil et le complexe fut la première usine intégrée de l’Amérique latine», informe Dominique Santana, précisant que la ville de Monlevade, en tant que cité industrielle, commence à s’ériger à partir de 1935. On y trouvera un casino, une école, des hôpitaux et évidemment les infrastructures nécessaires pour une ville, qui n’était autre que la propriété privée de l’entreprise.» En somme, Monlevade devient une sorte de colonie luxembourgeoise de l’Arbed, où même le prêtre de l’église est un employé de l’entreprise.

… aux liens d’amitié

L’extraction des minerais de fer par Belgo Mineira et les autres sites sidérurgiques implantés tout au long du XIXe siècle dans le Minas Gerais restent tout de même encadrés par l’État, qui veille à ce que son exploitation profite en premier lieu au Brésil et à son développement économique. La condition alimente ainsi la collaboration avec le Luxembourg. À titre d’exemple, le président Getúlio Vargas, porté au pouvoir par la révolution de 1930, va entreprendre d’importants travaux ferroviaires, qui se solderont par l’inauguration d’une ligne de chemin de fer depuis Santa Bárbara vers Nova Era, en 1935. Les matériaux peuvent ainsi être acheminés plus facilement, favorisant ainsi l’expansion de la région minière, qui se connecte peu à peu aux centres névralgiques et économiques du Brésil.

Les installations sidérurgies dans le Minas gerais vont offrir à la région, un véritable essor démographique et économique. (photo Samsa film)

Dans le sillage de cette coopération, les liens industriels et économiques entre Brésil et Luxembourg se transmuent en une attache diplomatique : «Le premier consul honoraire luxembourgeois au Brésil est nommé en 1929, alors que les Pays-Bas et la Belgique géraient les relations diplomatiques pour le Grand-Duché jusqu’à cette date, fait état Dominique Santana. Les consuls qui se sont succédé avaient tous une ligne directe avec la Belgo Mineira, ce qui montre que l’entreprise a également assuré un rôle diplomatique.»

L’amitié, coulée dans l’acier, se confirme dans les décennies qui suivent par de nombreux déplacements officiels, tant de la famille grand-ducale au pays du bois de braise que des représentants politiques brésiliens au Luxembourg : «Il y aura aussi ce lien intime entre le Prince héritier, puis Grand-Duc Jean de Luxembourg, qui passera sa lune de miel à Monlevade», confie l’historienne. Juscelino Kubitschek, le président du Brésil de 1956 à 1961, se rendra également au Luxembourg où il déclarera, enthousiaste : «Nous sommes de vieux amis. Quand je suis arrivé ici, j’ai dit à son altesse, la Duchesse (NDLR : la Grande-Duchesse Charlotte), que je trouvais que je me rencontrais chez moi-même.»

Belo Horizonte, Porto Alegre, Rio de Janeiro, São Paulo… Toutes ces villes disposent désormais de consulats luxembourgeois, au nombre de huit aujourd’hui. En 2018, tout juste deux cents ans après la signature du traité d’amitié entre Guillaume Ier, Roi des Pays-Bas et Grand-Duc de Luxembourg et Dom Pedro I du Brésil, Jean Asselborn, le ministre des Affaires étrangères, inaugure, à Brasília, la première ambassade du Luxembourg en Amérique du Sud : «Ceci marque un renforcement des relations bilatérales dans tous les domaines», avait alors déclaré l’organe représentatif du Grand-Duché au Brésil.

Sur le plan industriel, ArcelorMittal demeure solidement implanté dans la région minière et sa production ne cesse d’augmenter. Dernièrement, en juillet 2022, l’histoire commune entre les deux pays s’est matérialisée en un jumelage entre les villes de João Monlevade et d’Esch-sur-Alzette grâce au projet de Dominique Santana : «Il y a cette volonté de tisser des liens davantage culturels et sociaux qu’économiques entre ces deux régions, qui partagent plus de cent ans d’histoire et de patrimoine», conclut-elle.

Les étapes clés de la relation entre le Brésil et le Luxembourg

Au cours du XVIIe siècle : Des missionnaires jésuites originaires de la Grande Région se rendent au Brésil à des fins de prédication.

1828 : Dans le sillage du traité d’amitié entre Guillaume Ier, roi des Pays-Bas et Grand-Duc de Luxembourg, et Dom Pedro I du Brésil, une première famille originaire du Luxembourg est détectée au Brésil. 

1921 Inauguration de la filiale brésilienne de l’Arbed, la Companhia Siderúrgica Belgo Mineira, à Monlevade.

1927 : Le Luxembourgeois Louis Jacques Ensch devient le directeur de la Belgo Mineira.

1929 : Installation du premier consul honoraire du Luxembourg au Brésil.

1930 : Révolution de 1930, déposition du président Washington Luís et investiture de Getúlio Vargas.

1935 : Pose de la première pierre de la cité industrielle de Monlevade et inauguration de la ligne ferroviaire entre Santa Bàrbara et Nova Era.

1964 :  Coup d’État et fin du gouvernement démocratiquement élu du président João Goulart.

2008 : Loi sur le recouvrement.

2018 Inauguration de la première ambassade du Luxembourg au Brésil.

2022 : 3 275 Brésiliens ont obtenu la nationalité luxembourgeoise grâce au processus de recouvrement.

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