Dans les profondeurs d’une caverne, armé d’une simple pioche, un ex-facteur aujourd’hui septuagénaire explore depuis près de quarante ans un gouffre découvert par hasard dans son pré en Bourgogne.
Le 5 janvier 1987, dans le village de Péronne, en Saône-et-Loire (est de la France), la jument Uriane grattait le sol enneigé quand la terre s’est dérobée sous ses sabots, révélant un fossé béant d’où émanait de l’air chaud. Appelés par le propriétaire de la prairie, Robert Brunet, des spéléologues évaluent la profondeur de la cavité à plus de 50 mètres, avec 200 mètres d’étroits boyaux. «Ils étaient impressionnés!», se souvient Robert, quelque 38 ans plus tard.
Facteur de métier, il ne connaît rien à la spéléologie, mais se fait explorateur, vite rejoint par un ami, Alain Musy, qui se dit amateur de «découvertes et de mystères». Au fil des décennies, les deux forçats du tréfonds ont découvert plusieurs salles, une rivière souterraine, de multiples stalactites et des centaines d’ossements préhistoriques.
«On a enlevé la terre qui recouvrait la roche sur cinq, six mètres», raconte Robert Brunet. «On a élargi les galeries là où, avant, on ne pouvait passer qu’en rampant.» Et «plus de 400 marches» de béton ont été coulées pour remplacer les échelles de bois des premières expéditions.
Le postier n’a que les moyens du bord. Dans les supermarchés, il récupère des sacs pour remonter à la seule force de ses bras jusqu’à 25 tonnes de glaise par an. À la déchetterie, il trouve des tuyaux pour l’aération, tenus par des mètres de ruban adhésif. Et avec des pots de confiture, il protège de l’humidité les ampoules de son système d’éclairage.
Je descendrai tant que je n’aurai pas besoin de déambulateur
Aujourd’hui retraité, Robert Brunet est souvent surnommé le «facteur Cheval de la spéléologie», en référence à Ferdinand Cheval, un autre postier qui a bâti seul dans la Drôme, pendant des décennies, son «palais idéal», un monument d’architecture naïve. Sauf que Robert, lui, ne construit pas : il creuse.
L’étroite brèche est ainsi devenue une gigantesque caverne accessible sur 51 mètres de profondeur grâce à 300 mètres de galeries. Passé l’entrée, un escalier en colimaçon ouvre sur un monde de merveilles remontant jusqu’à 450 000 ans. Des stalactites aux formes incongrues scintillent. Des parois rocheuses brillent de fossiles, de quartz ou de manganèse. Des crevettes aveugles nagent dans de minuscules piscines…
Au détour de ce labyrinthe féérique, Robert attaque au piolet de maçon une paroi de glaise, détachant centimètre par centimètre des pâtés de boue dégoulinante. Et quand piocher ne suffit plus, le marteau-piqueur est appelé à la rescousse. «J’en use trois, quatre par an», rit Robert Brunet, faisant fi du danger. «Oui, un effondrement peut arriver», reconnaît-il. «Mais ça serait vraiment de la malchance.»
«C’est l’aventure qui me pousse. On creuse parce que peut-être qu’il y a une salle derrière, ou un passage, ou une maxillaire d’Homo sapiens», comme celle fièrement exhibée dans le gouffre.
Dans sa folle épopée, l’infatigable retraité reçoit l’aide, tous les deux à trois mois, d’amateurs spéléologues. Mais d’autres aides, en particulier financières, Robert Brunet n’en a pas. Et n’en cherche pas non plus. Le gouffre lui appartenant – comme tout sous-sol sous un terrain dont on est propriétaire –, il préfère réserver les visites à des amis et amateurs, en se limitant à une cinquantaine par an seulement. Mais toujours gratuitement.
Cinq jours par semaine, lui et Alain revêtent toujours leur bleu de chauffe recouvert d’une épaisse couche de glaise. «Parfois, on se regarde et on se dit : on est fous», raille Alain. «Je me vois couché dans la boue (…) sous des tonnes de roches. Mais on a 66 et 75 ans!» «Je suis en pleine forme», répond en tout cas Robert Brunet. «Je descendrai tant que je n’aurai pas besoin de déambulateur.»