[Album de la semaine] L’été sera chaud avec Kaytraminé

Kaytraminé

Kaytraminé

Sorti le 18 mai

Label CLBN / Kaytranada / Venice

Genre rap

À gauche, Kaytranada, chemise bariolée ouverte sur le tatouage religieux qu’il porte sur le torse et cigarette magique coincée entre les doigts; à droite, l’air malicieux d’Aminé est à peine caché par le bonnet en laine qu’il a vissé sur le crâne – et finit d’être trahi par sa coupe de champagne.

Une amitié et une bonhomie affichées pour les deux artistes, qui se sont rencontrés en 2014, longtemps avant que leurs carrières respectives n’aient pris leur envol; l’année suivante, Kaytranada scelle le pacte de confiance en offrant au rappeur une série de «free beats» concoctés par ses soins, et sur lesquels Aminé donnera de son «flow» de caméléon sur sa deuxième mixtape, Calling Brio.

Leurs chemins se sont éloignés mais jamais séparés. Avec sa house infusée de soul et de funk, qui ont fait de lui l’un des DJ et producteurs les plus chauds du moment, Kaytranada s’est fait sa propre place dans les paysages du hip-hop, ralliant à sa cause Kendrick Lamar, Anderson. Paak, Thundercat, The Internet ou Kali Uchis, tout en perpétuant, à la grâce de deux excellents disques (99,9 % en 2016 et Bubba en 2019), sa réputation d’enfant terrible de la «dance music».

Derrière son humour graveleux de sale gosse et ses yeux de cocker, Aminé, lui, a des capacités tellement élastiques qu’il est apparu aux côtés de Disclosure, Slowthai ou encore Injury Reserve, et a continué de briser les codes et sa propre image avec Limbo (2020), un deuxième album en forme d’autoportrait mental, entre ombre et lumière. Les deux compères ont concrétisé l’idée de faire un album ensemble en 2020 puis, quelques mois plus tard, ont loué une villa de luxe à Malibu, où ils se sont confinés et ont créé intensément durant deux semaines.

Le résultat s’appelle Kaytraminé, nom qui baptise aussi leur duo, comme pour finir de souligner que l’on est là en présence de deux âmes fusionnelles. Mieux : le premier single issu de cet album commun, 4EVA, convoquait dès début avril les envies de soleil et de farniente, sur une instrumentation diablement chaloupée et avec la participation – qui ressemble à un adoubement – d’un certain Pharrell Williams. Normal, quand on entend dans les compositions de Kaytranada des réminiscences de The Neptunes.

Mais le duo, plus facétieux que jamais, se fend là d’un titre (et d’une pochette) en trompe-l’œil : dans ce disque, il y a bien Sossaup, qui reprend la recette de la chanson dansante, et surtout Rebuke, qui mélange un chœur aux voix éthérées aux scintillements étouffés d’une guitare électrique, déconstruisant la bossa nova pour y laisser se glisser un Aminé nonchalant. En réalité, le producteur québécois et le rappeur de Portland, Oregon montent, en 35 minutes seulement, une entreprise plus grande que ce que l’on attendait d’eux.

Car Kaytraminé, bien qu’il soigne une atmosphère estivale (et peut déjà se targuer d’être l’un des principaux disques de l’été), n’est pas une simple célébration de la fête éternelle, des après-midi champagne-piscine et d’une vie «carpe diem» sous 35 °C à l’ombre. Kaytranada cultive son «groove» différemment, toujours avec cette habitude d’aller puiser des «samples» au kilo dans des lieux secrets, en les utilisant cette fois dans une pure démarche hip-hop des origines, tout en construisant un son plein de lumière et de couleurs.

Aminé s’engouffre la tête haute dans l’ego trip avec Master P et son refrain qui évoque Nate Dogg, les synthétiseurs tout droit sortis d’un tube R’n’B des années 2000 guident Eye, l’art du «beat» saccadé de Ugh Ugh donne envie de bouger la tête à l’infini, et le duo s’offre même un final aux accents soul, simplement titré K+A.

Dans leur méthode de travail, Kaytranada et Aminé expliquaient fonctionner à tour de rôle : le producteur composait en journée, le rappeur hantait le studio à la tombée de la nuit. Le résultat est témoin de cet effort commun parfaitement réussi, qui risque de tourner en boucle dans nos têtes et nos écouteurs pour les mois de chaleur à venir. Un joli contrepied, à la fois moderne et intemporel, au Silk Sonic formé par Bruno Mars et Anderson .Paak. Si, en plus, il vient à l’idée du tandem de partir en tournée, l’été sera vraiment chaud.