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[Musique] Le jazz tout-terrain de Michel Meis


(Photo : eric engel)

Avec Lollipop Moment, son troisième disque, le batteur luxembourgeois touche à tout prouve, une fois de plus, qu’il aime l’improvisation, explorer les paysages sonores, jouer avec les ambiances et, au passage, dépoussiérer le jazz. Entretien.

Le Michel Meis 4tet aime étonner, et ça s’entend. Ainsi, dès les premières notes de ce Lollipop Moment, c’est un gros synthétiseur planant et anxiogène qui fait office de guide, la batterie, elle, étant résolument muette. Mais d’un seul coup, tout explose sous les effets d’un cuivre sauvage, accompagné de la furie du Luxembourgeois Michel Meis, qui semble avoir retrouvé ses baguettes. Adepte de la surprise comme l’attestent deux premiers albums réussis – Lost in Translation (2019) et Kaboom (2021) –, le collectif enfonce ici le clou avec cette nouvelle production aux paysages sonores sans limite. Et avec la manière, s’il vous plaît!

Bien décidé à ce que l’on ne l’enferme pas dans des cases, Michel Meis a plusieurs arguments à faire valoir : d’abord un passé qui l’a vu s’acoquiner avec la musique savante (Venerem) comme le hardcore (Everwaiting Serenade). Ensuite, de fidèles camarades de jeu qui le suivent partout dans ses expérimentations (Alisa Klein au trombone, Cédric Hanriot au piano et Stephan Goldbach à la contrebasse). Enfin, une aptitude pour l’improvisation qui l’amène, au gré des sessions, sur de nouvelles terres créatives. D’ailleurs, seulement trois morceaux de ce dix titres (d’une durée de 40 minutes) étaient en boîte avant d’arriver au Studio Holtz Sound à Luxembourg.

Il en résulte un disque qui prend ses aises sur des chemins de traverse, bien plus électronique que les deux précédents avec ses synthétiseurs et ses effets à la pelle. Sur un son hybride et spontané, Michel Meis se lâche, nerveux et technique, et avec ses musiciens, embrasse le swing, flirte avec la ballade, s’amuse avec l’EDM (Electronic Dance Music). De quoi le conforter dans son idée qu’il est nécessaire, aujourd’hui, de dépoussiérer le jazz. Mieux, de le rajeunir.

Dans quel état d’esprit êtes-vous avant la sortie d’un album?

Michel Meis : Comme d’habitude, à la fois excité et nerveux! Mais mes pensées et mon esprit sont déjà au concert de jeudi (NDLR : demain, au Gudde Wëllen). J’ai envie que tout se passe bien.

Avant les retours du public et des auditeurs, êtes-vous personnellement satisfait de ce disque? 

Plus que je ne pouvais l’imaginer. Rappelons-le : on est entrés en studio avec seulement trois morceaux déjà composés (Puff Puff Puff, Silberfell et The Madness) et on en est sortis avec un album complet! L’objectif est en tout cas réussi : faire un disque laissant une grande part à l’improvisation.

D’où vous vient ce parti pris?

Déjà, l’improvisation, c’est quelque chose avec lequel le groupe se sent à l’aise. Ensuite, avec ce procédé, on se sent totalement libre! Il y a moins de structure, plus d’ouverture, et la musique se crée dans le moment. En cinq heures, c’était réglé. On a fait de notre mieux!

Vous n’avez eu besoin que d’un après-midi?

Oui. On est arrivés le matin pour gérer le son et le matériel. La première note, elle, est sortie en début d’après-midi…L’important était d’être léger, et de ne pas se compliquer la vie! C’est vrai, c’est un sacré exercice : il faut être là, concentré sur sa musique et celle des autres, ne pas être dissipé. Il fait s’ouvrir à fond pour que ça fonctionne, et être confiant vis-à-vis de ce que font les autres. C’est essentiel!

Cela implique une importante connexion et sensibilité entre les membres du quartette, non? 

Absolument, mais c’est quelque chose qui nous suit depuis 2019 et notre premier album réalisé ensemble. C’est même moi qui, parfois, bloque cette dynamique avec mes structures et morceaux préparés en avance. Mais là, l’envie était de ne suivre aucun fil rouge, juste de faire de la musique. Bon, j’avoue, des fois, je proposais un petit truc plus construit. Je le jouais et le groupe sautait dessus. On ne se refait pas (il rigole).

En quoi Lollipop Moment apporte quelque chose de nouveau à votre discographie?

D’abord, l’instrumentation est différente, avec les différents synthétiseurs et les ajouts électroniques. Pour le coup, c’est très nouveau! Ensuite, et ça se rejoint, je trouve que notre musique sonne plus « jeune », plus fraîche, plus moderne. Disons, en un mot, qu’elle est actuelle.

Depuis 2019, vous êtes à la tête de votre propre quartette. En quoi était-ce nécessaire d’avoir un groupe en votre nom? 

À l’époque, déjà, je ne jouais pas beaucoup avec d’autres formations. Ma démarche, finalement, a été pratique, pragmatique même : je voulais jouer mes propres morceaux, mon programme et j’ai cherché des musiciens dans ce sens.

Cette démarche est-elle encore plus importante pour un batteur, souvent en retrait derrière les autres musiciens?

Non, c’est même le contraire! Je voulais seulement porter mon projet, mais pas mettre mon nom en évidence. Bon, ça reste une tradition dans le jazz : il faut que le nom du leader soit au devant. C’est comme ça. Mais je réfléchis sérieusement à changer l’appellation du quartette. Ça arrivera sûrement un jour!

Vous allez alors vous cacher à nouveau…

(Il rigole) Ça se peut! Et puis, avouons-le : avec un son plus frais, tourné vers un public plus jeune, il faut savoir remettre en cause les coutumes. Et Michel Meis 4tet, ça ne sonne pas moderne! Il faudrait trouver quelque chose de plus accrocheur, de moins traditionnel.

Peut-on dire que votre style est finalement de ne pas en avoir? 

C’est une bonne formule. Je n’aime clairement pas être enfermé dans une case, car mes envies débordent de toutes parts. J’aime faire des choses différentes. D’ailleurs, j’ai toujours du mal à dire que je suis musicien de jazz. D’accord, j’en fais, j’aime ce style, mais si on regarde aujourd’hui les groupes en festival, il est tout aussi difficile de donner une définition claire à ce qu’ils jouent. C’est une synthèse hybride de plein de styles : on y entend du rock, de l’électronique, du punk… Surtout que la période est propice : elle laisse derrière elle les trios romantiques et lyriques des années 2010. Désormais, les gens veulent danser! Quand on va aux États-Unis, de New York à Los Angeles, ça saute devant la scène!

Cette liberté est-elle essentielle pour vous?

Oui, tout à fait. Finalement, dans ma musique, le jazz n’existe qu’à travers l’improvisation. Mais pour le reste, les influences viennent de partout. Il ne faut pas oublier que je viens au départ du metal! Alors oui, je suis une sorte d’aimant qui attire tous les styles, pour après mieux les lier ensemble.

Malgré cette indépendance, il y a quand même deux choses importantes qui reviennent dans votre jeu : d’abord, cette énergie de tous les instants…

J’aime jouer fort, de manière dynamique, même sur des morceaux délicats, légers. C’est un vrai challenge! Pourtant, je ne suis pas quelqu’un d’énervé dans la vie (il rigole).

Ensuite, on n’est jamais dans la facilité avec vous. Est-ce un pied de nez aux remarques que l’on fait toujours au batteur, genre « reste dans la mesure« , « n’en fais pas trop« 

On peut changer les rôles, non? Pourquoi ce serait toujours au batteur de donner le tempo? Il a lui aussi le droit de s’amuser! Dans le dernier album, il y a même deux morceaux dans lesquels je ne joue pas. Et il n’y a pas de solo!

C’était déjà le cas sur les albums précédents, non? 

Je joue déjà beaucoup, et tellement vite. À quoi bon vouloir encore se mettre en avant? Je me demande franchement à quoi ça sert… De toute façon, je ne veux pas jouer quelque chose qui ne raconte pas une histoire. Si ça n’a pas de sens, autant alors s’en abstenir. Je ne suis pas là pour faire le show!

Lollipop Moment
du Michel Meis 4tet.

Gudde Wëllen – Luxembourg.
Demain à 20 h.

Garden Sounds – Wiltz.
Le 3 juin à 20 h 30.

Pourquoi ce serait toujours au batteur de donner le tempo? Il a lui aussi le droit de s’amuser!

Désormais, les gens veulent danser! Aujourd’hui, ça saute devant la scène

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