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À la Schluechthaus, le graffiti dans tous ses états


la Schluechthaus est devenue un lieu chargé d’histoire. (photos Julien Garroy)

En 1997, des graffeurs s’emparaient des murs des anciens abattoirs de Hollerich pour leurs créations. Ce week-end, l’ASBL I Love Graffiti a fêté les 25 ans de ce lieu mythique du graffiti.

Ils s’appellent Sumo, Stick, Monk, Cone ou Bungle Ced. Certains incarnent la crème de la crème du monde du graffiti au Luxembourg, les autres, tout aussi reconnus, sont originaires d’un peu partout en Europe, mais tous ont la Schluechthaus comme point commun, et s’y sont retrouvés, ce week-end, pour fêter les 25 ans du lieu comme berceau luxembourgeois de leur pratique.

«On ne fête pas les 25 ans du graffiti au Luxembourg, temporise d’emblée Sader, mais bien le 25e anniversaire des premiers murs peints sur ce spot, en 1997.» Lui est une figure incontournable du graffiti au Grand-Duché, et c’est avec I Love Graffiti – l’ASBL qu’il a fondée et qui se veut une vitrine du mouvement au niveau local, mais au rayonnement international –, en partenariat avec la Ville de Luxembourg, qu’il a ouvert grand les portes des anciens abattoirs pour deux jours de fête et de peinture.

Avec des amis et les bénévoles de son association, Sader a repeint, tout au long de la semaine dernière, tous les murs extérieurs de l’immense site afin d’accueillir les artistes invités dès samedi matin. En tout, ils étaient «une centaine» à s’exprimer sur les murs, et «tous ont déjà peint au moins une fois durant les 25 dernières années sur ce lieu». En un quart de siècle, la Schluechthaus est devenue un lieu chargé d’histoire, raconte l’organisateur. «Cet endroit, ce sont les artistes qui se le sont approprié. Les pouvoirs publics y ont laissé la place au graffiti, c’est une chance. Ce que l’on peut voir ici, c’est un véritable patrimoine culturel. Nous, on veut le mettre en valeur et on a envie qu’il perdure.»

Samedi, en début d’après-midi, le public commence à affluer dans les anciens abattoirs, à l’intérieur desquels se niche aussi le skatepark. Ni une ni deux, Sader s’empare d’une bombe de craie blanche et trace un cœur géant sur le sol à l’entrée du site, à main levée. Le but : inviter les visiteurs à y taguer leur prénom, pour une photo souvenir à la fin de l’évènement. Car ce qui rendait ce «meeting» si spécial, c’est son ouverture au public. «Le graffiti a toujours eu ce côté secret et mystérieux, mais on veut montrer aux gens que c’est aussi une communauté et une culture à part entière», détaille l’artiste, précisant, s’il le fallait, que tous, ici, font du «graffiti légal».

«L’endroit rêvé» pour créer

Seuls, en famille ou entre amis, tous se prêtent au jeu et redoublent de créativité, certains s’improvisant «style writers» : la petite Lisa vient tout juste d’apprendre à écrire et frappe déjà le sol de son nom, encouragée par ses parents. «Le geste qu’elle vient de faire, explique Sader, c’est ce qu’on trouvait à New York dans les années 1970. Signer son nom sur les murs, ça existe depuis la nuit des temps, dans les églises, les prisons… Et c’est la base du graffiti. Pour être graffeur, on n’a pas besoin de savoir dessiner des trucs de fou. Il suffit de savoir écrire.»

En donnant la possibilité de suivre un atelier sur un mur dédié, particulièrement prisé par les enfants – mais pas seulement –, les organisateurs espèrent-ils ouvrir des vocations? «Pourquoi pas! Si on y arrive, tant mieux», lance Sader, dont les propres enfants ont dessiné un t-shirt en vente sur place, pour un logo qui transforme le «Forever Dirty Handz» qui trône en hauteur sur un mur à l’entrée du lieu en «Forever Dirty Hollerich».

Parmi les artistes invités, certains n’hésitent pas à voir grand, avec des œuvres impressionnantes, d’autres préfèrent le tag «old school». À Hollerich, toutes les écoles du graffiti sont représentées. «Les artistes peuvent expérimenter comme bon leur semble», dit Sader, qui se souvient de l’époque où, à Metz, il «faisait ça dans des spots interdits» et «jamais de façon détendue». «En fin de compte, le travail ici n’a pas la même spontanéité ni la même intensité que quelqu’un qui peint à l’arrache dans la rue, mais la Schluechthaus est l’endroit rêvé si on veut prendre son temps pour ses créations.»

Le graffeur tient également à mettre les points sur les i : «Le graffiti et le street art, ce n’est pas la même chose ! On a tendance à associer les deux, mais on devrait dire que le street art découle du graffiti.» Et, bien que l’ASBL se défende de faire du street art, certains de ses membres pratiquent les deux, à l’image de Thomas Iser, également photographe derrière le projet «Universal Humanity», venu donner un coup de main, non pas pour peindre les murs, mais pour guider les visiteurs et les encourager à signer le cœur géant.

Casser les idées reçues

Ce week-end d’anniversaire est une grande fête, mais elle est aussi l’occasion parfaite de «tordre le cou aux clichés» sur le graffiti. À commencer par la musique qui résonne dans tout le lieu, assurée par des DJ qui se sont succédé deux jours durant. Si l’on pensait n’entendre que du rap, tout faux : on peint aussi sur du reggae, du ska, du punk et de l’electro.

«Beaucoup d’artistes de graff comme moi sont ouverts à plein de genres musicaux. Alors oui, le punk rend peut-être nerveux ceux qui pensaient ne travailler que sur du hip-hop», rigole Sader, mais si «cette idée reçue, ça n’est pas la fin du monde, on tenait aussi à la casser». Un peu comme lorsque, jeudi soir aux Rotondes, I Love Graffiti avait invité le très sérieux maître de conférences en philosophie Christian Gerini pour dresser une analyse historique et artistique du graffiti. Ou encore avec les œuvres visibles à l’intérieur des anciens abattoirs, qui ne sont plus sur les murs mais réalisées sur toile, sur panneaux ou encore sur papier de Chine et exposées et disponibles à la vente.

Depuis dimanche soir, le skatepark est donc embelli de plusieurs dizaines de nouvelles œuvres. Un beau cadeau pour un 25e anniversaire, offert tant par les artistes que par les visiteurs, qui ont bien aidé à remettre de la couleur sur le site. Renaître, c’est le propre du lieu : «Les nouvelles créations vont rester un certain temps, bien sûr, mais on est dans un endroit qui est perpétuellement en recréation», glisse Sader.

Et en saluant le concours de tous les participants, il rappelle que «cet endroit rayonne depuis 25 ans au-delà des frontières du pays». «De même que le Luxembourg est au carrefour de l’Europe, la Schluechthaus est un carrefour du graffiti qui a vu passer une quantité impressionnante d’artistes internationaux. J’espère qu’elle continuera à les accueillir pendant longtemps.»

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