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[Musique] Un grand olé pour Rocío Marquez !


Dans Tiercer Cielo, les univers et les cultures se mélangent, se répondent, sans chercher à prendre le dessus sur l’autre. (Photo Viavox)

Rocio Marquez s’allie avec le producteur Bronquio autour de Tercer Cielo, une improbable union où le flamenco trouve une fraîcheur réjouissante et une liberté insoupçonnée.

Sur Niña De Sangre, un joyeux fandango qui, d’apparence, semble respecter la recette traditionnelle (avec ses palmas et sa guitare qui claquent), surgissent sans prévenir des bruits de moteurs. Comme dans un rodéo urbain, les motos grondent et fument. Au cœur de l’agitation, le flamenco, déboussolé, perd ses repères, laissant échapper des sonorités vrombissantes et des voix trafiquées. On se dit sans savoir que c’est un nouveau pied de nez de Rosalía, star mutante, mi-femme, mi-machine, reine de la pop latine depuis El Mal Querer (2018) et Motomami (2022). Il n’en est rien.

Elle n’est pas la seule dans l’arène à agiter la cape rouge au nez et à la barbe des conservateurs. Rocío Marquez, 37 ans, le fait depuis quelque temps déjà. Et elle n’a pas perdu la main, comme en atteste cet étonnant Tercer Cielo. Si on a pu la voir cette année à Esch-sur-Alzette dans ses habits de militante, réinterprétant d’anciens textes au contenu peu flatteur pour les femmes, d’un point de vue musical, elle n’en est pas à son premier fait d’arme. On l’a ainsi vue, en 2018, dépoussiérer la viole de gambe. L’année d’avant, sur Firmamento, elle avait fait disparaître la guitare au profit du piano et des cuivres.

Un des disques les plus importants des dernières décennies

Toujours motivée à transposer son univers pour orchestres ou à se laisser séduire par l’énergie du rock, la chanteuse andalouse, qui a reçu une Victoire de la musique en 2020, pousse encore plus loin l’audace en se tournant ici vers les vibrations électroniques. Le fruit d’une rencontre avec le producteur Bronquio (Santiago Gonzalo de son vrai nom). Un duo qui, durant le confinement, va apprendre à s’apprécier, puis à découvrir les rares points communs qui unissent leurs styles, comme le dit Rocío Marquez : «Il y a une similitude dans les rituels, qui impliquent le corps, la fête, la foule».

Un mélange d’une autre dimension et d’un autre temps, que le public des dernières Trans Musicales de Rennes a pu apprécier début décembre, sans toutefois en être totalement convaincu. Par contre, Tercer Cielo, sorti le soir même de la représentation, est lui plus marquant. La presse espagnole parle carrément d’un des disques les plus importants des dernières décennies. Pourtant, accoucher d’une bouille indigeste aurait été facile, mais c’est ne pas connaître le talent du tandem qui évite le piège comme on évite l’estocade du matador.

Un mélange d’une autre dimension et d’un autre temps

À travers cette improbable union, le flamenco trouve une fraîcheur réjouissante et une liberté insoupçonnée. Car pour ce sixième album de Rocío Marquez, il ne s’agissait pas, bêtement, de coller une voix, aussi belle soit-elle, sur des rythmes binaires. Comme le reconnaît Bronquio, il fallait «faire passer la pulsation du monde du flamenco à l’ordinateur». Chose dite, chose faite : ici, les univers et les cultures se mélangent, se répondent, sans chercher à prendre le dessus sur l’autre. On se retrouve alors avec un objet non identifié, en équilibre entre tradition et modernité, entre ombres et lumières.

Si parfois, la techno s’impose en maître (notamment sur le plus long titre du disque, El Corte Más Limpio), l’ensemble est bien moins transparent et facile. Percussions, samples, bruitages et nappes de synthétiseurs s’associent dans un naturel déconcertant, tout comme cette voix claire, parfois modifiée, naviguant à l’aise dans cette galaxie électro-acoustique et mélodique.

Du potentiel tube De Mí à d’autres innovations, Tercer Cielo ouvre un nouveau champ des possibles. Pour se convaincre que les choses changent, on peut toujours aller la semaine prochaine au Grand Théâtre de Luxembourg voir danser Patricia Guerrero qui transcende elle aussi, à sa façon, les codes du flamenco, rappelant au passage une évidence : il est bon, parfois, de savoir vivre avec son temps.

Rocío Marquez & Bronquio, Tercer Cielo. Sorti le 9 décembre. Label Viavox / L’Autre Distribution. Genre world / electro

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