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[Bande-dessinée] Le mauvais «rêve chinois»


Elle comptait réaliser un film de fin d’études. Elle sera arrêtée par la police avec son équipe, et obligée de détruire les enregistrements. Luxi, jeune auteure et nouvelle voix féminine, témoigne des mécanismes de la répression chinoise. Sans concession.

Ce devait être un simple travail universitaire, sans prétention. Ce sera finalement une toute première BD, sorte de making-off d’un film qui ne verra jamais le jour. Il faut dire que l’histoire vaut d’être racontée, même si elle est «absurde», lâche Luxi dans un souffle. À ce moment-là, la jeune femme, alors étudiante, est enfermée dans une salle capitonnée, fatiguée des questions insistantes de ses gardiens. Elle n’a rien fait de mal, seulement en Chine, même à 1 600 kilomètres de Pékin, son équipe, sa caméra, ses interviews, ça dérange! La police l’a donc suivie, puis arrêtée. Juste comme ça, par suspicion. En voici le témoignage, à rebours, qui parle de répression, de peur et de mensonges.

Retour en arrière donc : d’abord en 2012, pour expliquer le titre. Le «rêve chinois» est le slogan du président Xi Jinping qui couvre les palissades et suggère un pays fort, en pleine construction, surfant sur la vague capitaliste. Certains parleront de devise, d’autres de propagande. Ensuite, en 2015, année où Luxi, installée à Paris pour ses études en cinéma et en arts plastiques, décide de repartir sur ses terres natales afin d’y réaliser un documentaire sur une amie. Cette dernière, Fanfan, vit dans une région rurale, pauvre et reculée, celle du Gansu (nord-ouest du pays). La ville de Pékin est loin, et inaccessible. Son homosexualité n’arrange rien, et cette jeune professeur des écoles doit subir les persécutions de sa famille, de ses voisins et collègues. Plus largement, celles du régime chinois.

Loin d’imaginer jouer à la journaliste, Luxi embarque dans son périple son compagnon (Jean), qui sera à la caméra, et une autre copine sur place (Ludong) au son. Elle aurait pu se méfier lors de son arrivée à Wuwei, devant cette statue d’un cheval en équilibre sur un œuf («Li Ma Gun Dan»). Le symbole d’une ville qui pourrait se traduire par «casse-toi tout de suite!», explique-t-elle à son ami français dans un rire. Ce qu’elle va découvrir sur place, au gré de ses balades et rencontres, sera moins drôle : les problèmes propres à la campagne chinoise, le conformisme, le durcissement politique du régime… Le tout sous la conduite de cette amie qui, en dehors d’être une guide imprévisible et peu fiable, perd tous ses moyens face à l’objectif.

Si le reportage semble mal embarqué, les découvertes foisonnent : Luxi dépeint, entre autres, l’urbanisation galopante (et hideuse), la corruption généralisée, le choc entre la modernité et les traditions, la répression des réfugiés (ouïghours), le mysticisme et l’influence religieuse, le poids de la famille ou encore l’homosexualité «immorale» (elle n’est plus considérée comme une maladie mentale depuis seulement 2001). Avec certaines spécificités encore plus étonnantes, comme ce «marché aux femmes» dans lequel les garçons (en surnombre en raison de la politique de l’enfant unique) négocient de potentielles épouses avec des intermédiaires. Et les enfants dans tout ça? «Ils n’ont pas le droit de grandir, juste de vieillir», résume Fanfan en conclusion.

Bien que son trait soit encore naïf et son découpage trop formel (normal pour une jeune auteure), Luxi réussit à décrire le climat ambiant, fait de méfiance et d’obéissance. Avec son groupe, elle croise régulièrement une voiture sans plaque d’immatriculation qui semble les surveiller. Il y a aussi les brimades, les humiliations, l’endoctrinement, la dévalorisation et les dénonciations, monnaie courante d’une société où l’autorité fait loi. En bout de course, si Les enfants du rêve chinois détaille l’ubuesque arrestation par une «armée» de policiers et les interrogatoires qui s’ensuivent, il célèbre également le courage d’une femme, bien décidée à défendre sa liberté d’expression, coûte que coûte. Ils auraient dû y réfléchir à deux fois avant de lui confisquer ses images.

Les enfants du rêve chinois, de Luxi. Sarbacane.

Les enfants n’ont pas le droit de grandir, juste de vieillir

L’histoire

En 2015, Luxi, étudiante chinoise à Paris, décide de partir dans son pays natal avec son compagnon français pour y réaliser son documentaire de fin d’études sur sa copine, Fanfan, professeure des écoles et lesbienne dans une région rurale très pauvre. Cette dernière est persécutée par sa famille, ses voisins, ses collègues et plus largement par le régime chinois, qui n’admettent pas son homosexualité. Sur place, alors que le tournage est sur le point de se terminer, ils se font arrêter par la police après avoir été dénoncés par des villageois…

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