Accueil | A la Une | [Musique] Nos dix albums de l’année 2022

[Musique] Nos dix albums de l’année 2022


Avec Cate Le Bon, il faut accepter de se perdre, d'oublier ses repères géographiques et temporels pour se laisser guider par cette Galloise au charme brûlant. (Photo Mexican Summer)

D’un côté, des femmes au charme fou : Rosalía, Lizzo, Cate Le Bon, Weyes Blood. De l’autre, deux hommes tout aussi enchanteurs : Tim Bernardes et Jonathan Jeremiah. Au milieu, le soleil de la Méditerranée, des fantômes d’Amérique du Sud, des délires transalpins, du rap intimiste qui claque et du rock qui débouche les oreilles. Voici nos albums préférés de 2022.

1. Motomami, de Rosalia

Casque vissé sur la tête, ongles-griffes affûtés, Rosalía, femme mutante, entre à nouveau dans l’arène. Chez elle, qu’importe la tradition et les critiques. D’un coup de hanche, elle envoie tout ça valser. Le message est clair : c’est elle qui édicte les règles du jeu et qui gagne à la fin !

Reine de la pop latine depuis El Mal Querer (2018), elle continue pourtant de se réinventer et fait avancer son style hybride, fusion de flamenco, de hip-hop et d’électronique. Motomami (qui se traduit par quelque chose comme «meuf-moto») confirme son génie à travers seize titres en équilibre entre mélodies accrocheuses et rythmes taillés pour faire bouger les corps – les pistes de danse estivales s’en souviennent encore…

Un univers fait de collages qui brassent large : flamenco, jazz, R’n’B, musiques des Caraïbes et latines, et surtout le reggaeton, qui s’impose ici en maître. Oui, Rosalía, créature d’une autre dimension, a toujours une longueur d’avance, et évite les pièges comme on évite l’estocade du matador. Olé !

Lire notre critique

Rosalía, génie mutant

2. Pompeii, de Cate Le Bon

D’emblée, une précision : avec Cate Le Bon, il faut accepter de se perdre, d’oublier ses repères géographiques et temporels pour se laisser guider par cette Galloise au charme brulant. À l’écoute de l’évasif Pompeii, l’impression se vérifie.

Sa pop, quasi spirituelle, ne donne aucun indice : où sommes-nous ? À quel endroit ? À quelle époque ? Rien ne l’indique, en dehors peut-être ces synthétiseurs à la saveur «eighties», mais dont l’écho ramène au néant. Place à ce sixième album, voulu mélancolique, comme s’il portait tout le poids du monde sur ses fragiles épaules.

Mais pour se donner un peu légèreté, Cate Le Bon garde alors la recette de sa pop racée : un saxophone compagnon de tous les instants, des éclats de guitare, une rythmique bancale sur la défensive, sans oublier cette voix à la douceur crépusculaire. De la beauté et un sens de l’émerveillement qui arrivent à propos après deux années insensées, aux silences lourds. Pour les combler, aux mots, parfois impossibles, préférons la musique.

Lire notre critique

Cate Le Bon à combustion lente

3. Special, de Lizzo

Il y a eu d’abord Lizzobangers (2013), où elle se découvrait, suivi de Big Grrrl Small World (2015), disque qui l’a encouragée à accepter ses formes généreuses et ses excentricités. Puis est arrivé Cuz I Love You (2019), album récompensé par trois Grammy Awards. Oui, Lizzo va mieux, au point d’être devenue la reine de l’estime de soi aux États-Unis.

Une philosophie qu’elle applique à sa propre évolution : soit apprendre à se connaître pour mieux se tourner vers les autres. Special en est une généreuse démonstration. Des hymnes dansants, faits de pop, rap, funk, soul et disco (à l’image d’About Damn Time, pépite qui a cartonné sur TikTok), ponctués d’éclats de rire, voilà la méthode Lizzo!

Derrière les appels du dancefloor, l’artiste n’oublie pas les valeurs qu’elle défend : optimisme, acceptation, progressisme, féminisme… Lizzo sème l’amour et sa joie de vivre en proclamant, pétillante et bienveillante, que «chaque jour est un anniversaire» (Birthday Girl). Voilà le plus joli des cadeaux.

Lire notre critique

Lizzo, love symbol

4. Mil Coisas Invisiveis, de Tim Bernardes

Un peu de délicatesse dans un monde de brutes ? Face au chaos, voilà une proposition qui n’est pas de trop. Elle vient d’un jeune homme à lunettes et aux cheveux longs, Brésilien dans l’âme : Tim Bernardes. Même si à domicile, il a déjà collaboré avec les plus grands (Tom Zé, Gal Costa), lui s’est affranchi du lourd poids des traditions en se tournant vers la pop et le folk-rock anglo-saxons.

Un pas de côté qui se remarque dans Mil Coisas Invisiveis, soit quinze chansons où se mêlent amoureusement harmonies baroques et orchestration chatoyante. Le résultat? Un merveilleux alliage, sorte de bossa-nova 2.0 sur laquelle, c’est une habitude, s’étale des sentiments en pagaille : la passion, la souffrance, l’émerveillement, l’apaisement et la nostalgie.

Omniprésent, à la fois à la guitare, au synthétiseur, au piano, à la base et aux percussions, Tim Bernardes maitrise er transmet ses bonnes vibrations à qui veut bien les recevoir. Faire la fine bouche, surtout aujourd’hui, serait regrettable.

Lire notre critique

Dans la bulle de Tim Bernardes

5. Diaspora Problems, de Soul Glo

C’est un fait, le hardcore fait comme tous les autres genres : il mute, plus réceptif à ce qui se fait autour de lui. Tout récemment, les exemples ne manquent pas (Turnstile, Gouge Away). Dans un autre registre, bien plus démonstratif, Soul Glo apporte lui aussi sa pierre à l’édifice, et de quelle manière !

Diaspora Problems pourrait s’écouter dans une machine à laver que l’effet serait le même : on en sort lessivé et décrassé par autant de puissance et d’inventivité. Un enchaînement véloce de douze chansons où se côtoient (sans fausse note) le noise, le punk et le rap, avec un penchant pour les années 1980 (Bad Brains, Dead Kennedys). Une ronde à laquelle s’invite aussi une demi-douzaine de rappeurs et chanteurs (avec une place de choix donnée aux femmes).

Le quatuor de Philadelphie, dont trois membres sont Afro-Américains, en profite pour raconter l’état de leur communauté au cœur d’une Amérique rongée par un racisme institutionnel. Un coup de gueule, au sens propre comme au figuré, décoiffant.

Lire notre critique

Soul Glo sonne la révolte

6. Horsepower for the Streets, de Jonathan Jeremiah

L’année 2022 n’a pas été dingue pour ce qui est de la soul, alors que les nouveaux représentants, inventifs, ne manquent pas (Lee Fields, Durand Jones, Monophonics, Black Pumas…). Remercions alors Jonathan Jeremiah qui, d’un geste plein de grâce, fait oublier la disette du moment.

Comme son nom le suggère, Horsepower for the Streets est un disque qui cherche à mettre des mots d’espoir et d’optimisme dans les temps instables que l’on connaît. Sans violence, ni poing levé, ses arguments sont toutefois d’un tranchant implacable : il y a cette voix de baryton qui s’impose au premier plan. Il y a ensuite, chez le musicien londonien, cette propension à la ballade facile.

Il y a enfin toutes ces références qui nourrissent son univers, Scott Walker et Serge Gainsbourg en tête de liste avec leurs orchestrations luxuriantes. Dans des arrangements à l’ancienne, Jonathan Jeremiah mêle la folk intimiste à l’outrance de la pop symphonique, pour l’un des plus beaux résultats de ces douze derniers mois.

Lire notre critique

Jonathan Jeremiah au grand galop

7. Ants from Up There, de Black Country, New Road

Black Country, New Road est un adepte de la surprise. Estampillés «post-punk» après des singles démoniaques, les Londoniens, il y a un an, livraient un étonnant premier disque (For the First Time) qui prouvait qu’à sept, on pouvait viser bien plus large, jusqu’à faire de la musique klezmer !

Ants from Up There, toujours chez Ninja Tune, confirme l’impression, avec un plein d’instruments (cuivre, violon, piano), des mélodies superbes en suspension et de bonnes idées «arty». Une belle œuvre à fleur de peau, qui sera aussi la dernière du chanteur-guitariste Isaac Wood. Étonnant jusqu’au bout !

8. Bar Mediterraneo, de Nu Genea

Massimo Di Lena et Lucio Aquilina, duo curieux de Naples, se sont trouvés une passion commune pour la scène locale, période 1970-80, et pour toutes les sonorités de la Méditerranée. Sur leurs platines se mélangent ainsi, à l’envi, sonorités maghrébines, turques, grecques et italiennes, pour un voyage sans frontières.

Bar Mediterraneo ne s’en cache pas et délivre un cocktail savant aux multiples couleurs fait de disco, de funk, de boogie, de jazz et encore d’électronique. Un bouillon de culture à écouter les pieds dans le sable avec, en main, un spritz glacé. Car avec Nu Genea, c’est toujours l’été !

9. And in the Darkness, Hearts Aglow, de Weyes Blood

Weyes Blood est une valeur sûre, plus de raison d’en douter. En effet, depuis quelques années, Natalie Mering cumule les louanges avec sa voix d’une beauté à pleurer, ses mélodies poignantes, son écriture intemporelle et, en contrepoint, son regard aiguisé sur un monde qui s’effiloche.

Après Titanic Rising (2019), bijou pop, elle rappelle, à sa manière, qu’il faut se mobiliser pour que la planète respire mieux. Devant la «catastrophe imminente», elle sort les airs baroques et multiplie les bonnes trouvailles afin de prendre de la hauteur et, qui sait, d’atteindre comme elle des sommets de grâce.

10. Wilderness of Mirrors, de The Black Angels

Rien qu’avec la pochette, on plonge directement dans le psychédélisme «made in Austin», porté depuis deux décennies par The Black Angels, qui ravivent à un rythme régulier les fantômes des Doors, des MC5 et du Velvet Underground.

Moins ténébreuse qu’avant mais fidèle à ce son rutilant qui a fait son succès, la bande d’Alex Maas garde ses élans nostalgiques pour les pionniers du genre (Arthur Lee, Syd Barrett, Roky Erickson) qu’elle combine à un sens imparable pour les mélodies. Les ailes déployées, The Black Angels dominent la mêlée. Et vu le chaos en bas, ils ne risquent pas d’atterrir de sitôt.

Lire notre critique

Aux anges avec The Black Angels !

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.