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Marc Hilger : «Donner à l’enfant le sentiment qu’il peut être un géant»


«Les écoles internationales sont un débat marginal à mes yeux. Ce qui m’importe, ce sont les valeurs que les adultes transmettent aux élèves, les enseignants comme les parents.» (Photos : hervé montaigu)

Marc Hilger est instituteur, il a été président du comité d’école Eis Schoul à sa création, en 2008 jusqu’en 2018, avant de se consacrer entièrement à l’enseignement, dans cette école inclusive. Leçon de bonnes pratiques.

Les penseurs du projet Eis Schoul voulaient montrer qu’une autre école était possible… Après des débuts laborieux, l’objectif a-t-il était atteint ?

Marc Hilger : Oui, nous avons pu démontrer qu’une autre école est possible, en revanche, l’inclusion est un objectif que l’on n’atteint jamais. C’est un chemin à parcourir et on avance chaque année un peu plus, mais avoir une inclusion à 100 %, c’est difficile, ne serait-ce qu’à cause des infrastructures pour des enfants en fauteuil roulant. Nous avons visité à Berlin une école inclusive, mais il y avait de très gros moyens pour des élèves, par exemple, qui pouvaient suivre le cours, alités. C’est possible, bien sûr, mais il faut des moyens, un concept et donc des expériences.

Justement, acquérir de l’expérience, c’était l’ambition d’Eis Schoul qui était « un projet de recherche réalisé par le ministère de l’Éducation nationale et l’université du Luxembourg pour développer des nouvelles formes d’apprentissage, d’enseignement et d’évaluation… »

C’est un projet d’école qui pourrait servir d’exemple. Mady Delvaux disait qu’elle n’avait pas l’intention de créer une telle école dans chaque village, mais on peut imaginer une telle école dans chaque région, au moins, ou multiplier les exemples de bonnes pratiques. Les exemples de bonnes pratiques, ce sont les piliers de notre concept, élaboré et peaufiné ces 14 dernières années. À nos yeux, ce sont de bons exemples, mais il faudrait qu’une institution externe les considère comme tels.

Pour cela, il faudrait un accompagnement et une évaluation. Il était effectivement prévu de faire une évaluation dans la loi instituant Eis Schoul, et elle a été faite il y a dix ans par la Hochschule für Heilpädagogik de Zurich. Elle a défini des chantiers sur lesquels nous avons continué à travailler et c’était un bilan très fructueux. Puis, pas mal d’experts sont passés nous voir, qui nous ont amenés à réviser notre plan de développement scolaire, surtout dans le domaine de l’inclusion.

L’élève doit avoir en face de lui un adulte qui lui montre qu’il peut réussir. C’est ça le plus important.

La pratique montre que les enfants à besoins spécifiques peuvent vivre leur scolarité avec les autres enfants, à condition que l’enseignement soit adapté, l’encadrement aussi et il faut des ressources humaines, comme deux personnels dans une salle de classe, un enseignant et un éducateur, parce qu’il y a toujours des moments où on ne sait pas réagir.

Quel est le rôle des éducateurs dans la classe ?

Les éducateurs offrent une assistance en classe en veillant à ce que l’enfant puisse participer à 100 % à la vie de classe et au travail dans la classe. Ils essayent de rendre l’enfant le plus autonome possible.

L’école applique le programme du système scolaire luxembourgeois, mais ce sont les méthodes d’apprentissage qui diffèrent…

Au niveau didactique, on essaie d’adapter les activités de manière à ce que tous les enfants puissent participer. Ce qui nous rend intéressants, c’est la manière dont on vit ensemble, la manière avec laquelle on règle notre communauté. Du cycle 1 jusqu’au cycle 4, on voit vraiment qu’à la fin de la scolarité, les enfants ont appris à régler les conflits eux-mêmes sans avoir à se plaindre ailleurs. Ils sont outillés pour se débrouiller dans la vie, grâce à l’échange entre l’enseignant et l’éducateur. Les jeunes enseignants apprennent beaucoup au contact des éducateurs en passant par chez nous.

L’école en continu, la coopération entre les équipes d’enseignants et les éducateurs des maisons relais, sont autant de pratiques que le ministre Claude Meisch veut mettre en place. Vous avez de l’expérience dans ce domaine, comment ça marche ?

Je suis très fier de constater qu’à Eis Schoul, on parle d’école à journée continue, on ne parle plus de maison relais, mais d’une seule équipe pluridisciplinaire, notion intégrée plus tard dans la loi sur l’enseignement fondamentale. Des réunions et des formations communes sont prévues, et tous les personnels font partie intégrante du staff de l’école. Le fait d’être ainsi constitué facilite énormément la collaboration, même au niveau administratif. Les éducateurs du Paradiso, qui est le nom de notre « maison relais intégrée« , interviennent aussi dans les classes où ils aident les enfants à travailler sur des projets, à organiser des ateliers, à aider dans la préparation du théâtre, etc.  Ce sont des activités qui font sens et qui sont intégrées dans notre concept pédagogique. Inversement, des enseignants assurent des cours d’appui pendant les plages horaires du Paradiso.

Un tel concept est-il difficile à généraliser ou jouissez-vous d’un réel luxe ?

Pour moi, c’est sûr, c’est un luxe, mais on travaille pour l’obtenir. Le plus important, ce sont les valeurs du personnel qui travaille à l’école. Il faut être à l’écoute des enfants, les amener à participer, à faire valoir leurs idées. La valeur de la transparence exige que la journée soit ritualisée et que les enfants sachent à quoi s’attendre. Oui, c’est un luxe d’avoir deux personnes dans une salle de classe, mais si la politique parle d’inclusion, on ne peut pas l’avoir au tarif zéro. Si on dispose des ressources, il faut les former pour avoir des personnels bienveillants avec les enfants, exigeants aussi, mais qui soient compréhensifs, c’est cela le plus important.

La relation adulte-enfant, enfant-enfant et l’ambiance au sein d’une communauté, c’est le plus important. Il faut développer un environnement où l’enfant aime venir, aime travailler, c’est le point crucial pour chaque établissement. Concernant le plan d’étude, il faut trouver pour chaque élève, une voie d’apprentissage faisable et exigeante, mais sans stresser l’enfant. Cela demande énormément de présence en classe, beaucoup de préparation et d’évaluation. Il faut donner à l’élève le sentiment qu’il est capable et même s’il se trouve devant un problème insurmontable, il y a toujours une solution. C’est un message important à faire passer aux enfants. C’est dans la collaboration qu’on arrive à avancer, à condition qu’elle soit bien organisée. Le « tous capable« , c’est notre identité.

Tous capables

Eis Schoul est une école fondamentale publique. Elle a pour mission de développer de nouvelles formes d’apprentissage et d’enseignement et fonctionne selon les principes d’une pédagogie inclusive. Les enfants vivent ensemble en groupes multiâges aussi bien dans les cycles 1 à 4 qu’au sein de l’encadrement périscolaire. Tous les enfants sont acceptés dans leur diversité et apprennent, chacun à leur rythme, à devenir autonomes, responsables, capables d’interagir avec les autres et de faire valoir leur opinion tout en respectant celle d’autrui.

Eis Schoul est une école en journée continue. Ainsi, les enfants peuvent être encadrés de 7 h 30 le matin jusqu’à 18 h 30 le soir dans une seule enceinte scolaire par une seule équipe d’adultes.

Tous les élèves sont suivis, y compris ceux en difficulté d’apprentissage et à besoins particuliers grâce à l’équipe pédagogique et une équipe multiprofessionnelle. Composée d’un assistant social, d’une orthophoniste, d’une pédagogue, d’une psychologue et d’une psychomotricienne, celle-ci assure une permanence dans l’école et peut assurer un suivi personnalisé moyennant l’accord des parents.

Vu notre expérience à Eis Schoul, pour moi, l’exigence serait que chaque école puisse avoir les moyens de fonctionner de cette façon. Enseigner ne veut pas dire prendre un manuel scolaire et l’étudier de la première à la dernière page. Il faut tenir compte des intérêts des enfants, de leur personnalité, de leur quotidien. Il faut être flexible au niveau de l’organisation.

Chaque école pourrait donc bâtir une communauté comme la vôtre, sans forcément disposer de gros moyens financiers…

Oui, mais ce qu’il faut, c’est disposer des institutions à l’école, comme le conseil de classe, le parlement des élèves, le conseil d’encadrement périscolaire. Pour qu’une communauté puisse bien fonctionner, il faut que tout le monde puisse se rencontrer pour régler les différends, mais surtout pour élaborer des projets ensemble.

Les réunions et les rencontres se pratiquent au niveau des enfants comme des adultes et elles sont fréquentes. Nous avons aménagé un coin dans l’école qui est la table de médiation et qui permet aux élèves de résoudre leur problème dans un endroit plus protégé. Si cela échoue, un conseil de classe se saisit de l’affaire et tous les élèves recherchent alors une solution au problème. Il y a un cahier du conseil de classe où chaque élève, chaque adulte, inscrit ses doléances et elles sont traitées en conseil. Cela va du chewing-gum collé sous la table, à une plainte concernant la domination du football par rapport aux autres sports dans la cour.

Si le problème dépasse le conseil de classe, le parlement des élèves prend le relais. Les enfants apprennent aussi la hiérarchie, ils apprennent les contraintes financières d’un projet qu’ils voulaient réaliser, ils apprennent aussi à écrire au bourgmestre.

Quels genres de projets proposent les élèves ?

Toutes sortes. Dernièrement, ils ont voulu repeindre les bancs dans la cour de récréation avec une couleur spécifique pour un banc destiné aux élèves qui n’ont pas de partenaire de jeux. Les autres enfants sont dans l’obligation de l’inviter à jouer avec eux. Un autre projet qui émane du parlement des élèves, c’est la « cool box« . Dans le temps, nous n’avions pas assez d’espace pour les jeux, donc les élèves ont voté pour l’acquisition d’un conteneur. Ils ont appris à suivre toute la procédure, devis et demande d’autorisation compris. Pour ce genre de réunion et de rencontre, je pense que nous consacrons plus de temps que dans les autres écoles, presque une heure par jour.

«Il faut développer un environnement où l’enfant aime venir, aime travailler, c’est le point crucial pour chaque établissement.»

À vous écouter, le problème majeur de l’enseignement au Luxembourg ne concerne pas la langue d’alphabétisation, problème contourné par la création des écoles internationales, mais la manière d’enseigner…

Pour être bons, il faut, bien sûr, certains outils didactiques, des savoirs acquis avec la formation, mais ce n’est pas le plus important. Il faut des adultes qui considèrent les enfants comme des êtres humains, capables de surmonter des défis. L’adulte, avec sa posture et les valeurs qui l’animent, doit donner à l’enfant le sentiment qu’il peut être un géant.

Avec cette attitude, il y a dans chaque enfant un potentiel énorme. L’école et les institutions, pour moi, ont la tâche d’accompagner les enfants, de les aider à connaître leurs forces, de leur apprendre à avoir confiance en eux, et surtout les aider à se connaître eux-mêmes pour leur donner la possibilité d’évoluer dans des domaines où ils sont forts, pour les tirer vers le haut.  L’alphabétisation demande des outils didactiques, mais l’élève doit avoir en face de lui un adulte qui lui montre qu’il peut réussir.

C’est ça le plus important. Les écoles internationales sont un débat marginal à mes yeux. Ce qui m’importe, ce sont les valeurs que les adultes transmettent aux élèves, les enseignants comme les parents, avec qui la collaboration compte énormément. On les voit régulièrement pour leur montrer comment on travaille.

Que deviennent les élèves à la sortie d’Eis Schoul ?

D’abord, ils reviennent nous rendre visite régulièrement, ce qui est toujours bon signe. Ils viennent nous raconter comment ils se sentent, ce qu’ils font. Il était prévu d’assurer un suivi des élèves, selon le projet de l’ancienne ministre Mady Delvaux, mais cela n’a pas été fait.

Comment résumez-vous le métier d’enseignant ?

Le métier d’enseignant, c’est surtout un métier éducatif qui nécessite un échange, une relation, et elle ne peut être bonne que si l’enseignant et l’élève se sentent bien dans leur peau. Il faut veiller à ce que l’ambiance dans les écoles soit positive et optimiste. Ce n’est pas évident, je sais, vu le monde qui nous entoure et les nouvelles alarmantes qui inondent les médias et qui effraient les enfants, comme certains nous le confient.

Un enfant ne sera pas un adulte qui protège la nature parce qu’on lui a inculqué une peur ou une angoisse, mais il protégera l’environnement s’il a eu l’expérience de la beauté de la nature dont il a fait son terrain de jeux. Il faut éloigner les enfants des nouvelles négatives, ils n’y sont pour rien, c’est une affaire d’adultes, ce qu’ils ne sont pas, précisément.

2 plusieurs commentaires

  1. Tous ces pédagogismes oublient une donnée de base: toute cette logorrhée ne sert à rien si les élèves ne savent ni lire ni compter. Si l’on trouve encore des élèves quis achent compte ceux qui savent vraiment lire (pas juste ânnoner sans comprendre) sont de moins en moins nombreux.
    Or la lecture développe des connexions neuronales complexes qui seront utiles pour le dévelopement global de l’enfant. A l’inverse de la passivité devant des écrans.

  2. sauf que 9/10 ne seront jamais 1 géant, ni privé ni professionnel ! mais la moyenne, ou moins…

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