Les journalistes du service des sports du Quotidien reviennent sur un ou plusieurs faits marquants d’une année 2020 transfigurée par la pandémie de Covid-19. Dernier épisode de notre série, aujourd’hui.
Mon année 2020 débuta sous les meilleurs auspices. Mi-janvier, premier reportage à l’étranger depuis belle lurette. Ordinateur sous le bras, direction l’Espagne et Calpe pour la présentation officielle de l’équipe cycliste Deceuninck Quick-Step d’un certain Bob Jungels. Depuis l’hôtel Suitopia, sa chambre luxueuse à la salle de bains aux dimensions de chambre de bonne parisienne, sa terrasse avec vue sur le Peñón de Ifach et une Méditerranée apaisante, le titre d’«envoyé spécial» me paraît déplacé. Peut-être aussi parce que bien qu’une carte de presse en poche, mon théâtre d’opération est bien éloigné de cet horizon où la houle charrie quotidiennement son lot d’embarcations de fortune et de corps sans vie.
Loin aussi de ces premiers bruissements, de ce qui s’avérera être le premier battement d’ailes d’un papillon de mauvais augure. Nous sommes le 11 janvier et, quelques instants après la présentation officielle dans la salle de conférences de l’équipe n°1 mondiale, les 73 journalistes et photographes accrédités (un record) sont invités à rejoindre le Sky Bar et sa terrasse panoramique afin de recueillir la sainte parole de Patrick Lefevere, son manager, et de ses poulains, parmi lesquels Julian Alaphilippe et Remco Evenepoel. Aux portes des quatre ascenseurs, en direction du 29e étage, ça joue des coudes.
La veille, cinq jours après un premier bulletin faisant état des flambées épidémiques liées au nouveau virus apparu officiellement le 31 décembre à Wuhan, l’Organisation mondiale de la santé récidive et se veut rassurante : «Il n’y a pas de transmission interhumaine ou alors celle-ci est limitée.» Bref, pas de quoi s’inquiéter. La Chine, c’est loin, et on ne mange ni chauve-souris ni pangolin… Fin janvier, les premiers cas de contamination à un virus au nom de code étrange (SARS-CoV-2) apparaissent officiellement en Europe. Pas de quoi affoler alors les esprits et notamment ceux des sportifs qui ne songent pas un instant à voir leur calendrier complètement bouleversé.
Le journalisme consiste tout de même à rapporter des faits, mais que dire lorsque l’actualité sportive est au point mort et que tout ne tourne qu’autour d’un seul mot : Covid-19 ?
Jeudi 26 février, Gymnase de la Coque. Dans notre édition du jour, on s’interroge sur les éventuelles mesures sanitaires prises par les responsables de l’enceinte et les dirigeants de la Fédération luxembourgeoise de handball. Les deux camps se renvoient alors la balle avant de botter en touche vers le ministère de la Santé. Croisé dans les couloirs, un dirigeant me lance, le regard moqueur, « Alors, vous n’avez pas oublié votre gel et votre masque ? » C’est que, pour beaucoup, à cette époque, ce virus n’est qu’une « petite grippe » et il va disparaître aussi vite qu’il est venu. Le 28, aux dépens de Berchem, les Eschois célèbrent leur victoire en Coupe de Luxembourg – la septième du club – dans l’euphorie et l’insouciance, loin d’imaginer que leur espoir de réaliser le doublé Coupe-championnat, une deuxième année de suite, est sur le point de s’envoler…
Le 10 mars, pour fêter mes 40 ans, j’embarque pour Dublin. Pubs et musées bondés, la Guinness coule à flots. Mais dans les colonnes de l’Irish Independent, une virologue fait état d’un possible confinement. Le lendemain, l’OMS utilise officiellement le terme de pandémie. Une semaine plus tard, l’Irlande ferme ses frontières, annule la réception de l’Italie dans le cadre du Tournoi des VI Nations mais aussi les festivités de la Saint-Patrick. L’heure est grave.
Au Grand-Duché, tout s’accélère avec l’annonce par le gouvernement d’un confinement et donc la fermeture des centres sportifs. Peu importe, l’optimisme est de rigueur. « Pour le championnat, je ne m’inquiète pas. Je ne me fais pas de souci », confie alors Marc Fancelli, le manager du HB Esch. Romain Schockmel, le président de la FLH, est sur la même longueur d’onde : « Ce virus va voir son agressivité diminuer au fil des saisons et avec l’arrivée des beaux jours. Je suis persuadé que d’ici quelques semaines, cette histoire va se terminer. » Avec le recul, la critique serait facile, mais y céder reviendrait à oublier le caractère exceptionnel de la situation et de ses perspectives qui demeurent encore aujourd’hui pour le moins absconses.
Le printemps, particulièrement clément, n’a rien changé. Tout juste a-t-il rendu le confinement moins pénible. Enfin, pour ceux qui jouissent d’un balcon, d’une terrasse ou alors d’un jardin (le graal !). Durant cette période, me voici en télétravail et assigné à résidence. Au-delà de la mise en place d’une nouvelle organisation, le journalisme consiste tout de même à rapporter des faits, mais que dire lorsque l’actualité sportive est au point mort et que l’essentiel se résume en un seul mot, Covid-19 ? À la recherche de sujets, il faut se triturer les méninges et jouer du carnet, mais clairement, mes interlocuteurs ont la tête ailleurs et une phrase revient inlassablement : « Oh, tu sais, le sport ce n’est vraiment pas la priorité. Il y a d’autres choses plus importantes en ce moment… »
Très vite, les fédérations annoncent tour à tour l’arrêt définitif des championnats. La FLH et la FLVB décident de ne pas désigner de champions. Durant l’été, les équipes se préparent comme elles le peuvent et passent, surtout, le plus clair de leur temps dans les bois. Mi-août, des questions demeurent quant à la date d’ouverture du championnat d’AXA League. « Si on doit jouer tout le mois de septembre à huis clos, pourquoi ne pas repousser le début du championnat à début octobre ? », suggèrent plusieurs dirigeants de clubs. Finalement, la saison débute le 5 septembre. À la veille de l’ouverture officielle de ce nouvel exercice, Romain Schockmel livre son sentiment : « Le but est de finir le championnat… »
Mais, très vite, des cas de Covid-19 sont détectés. Notamment au Standard – de retour parmi l’élite à la faveur d’un référendum validant le passage de la DN à 10 clubs – et à Schifflange qui devront patienter de longues semaines avant de commencer leur saison. Aucune discipline n’est épargnée et, surtout, les cas se multiplient. Comme à Käerjeng où quinze des seize joueurs de l’équipe première sont diagnostiqués positifs. À Berchem, une dizaine de cas sont détectés via l’équipe réserve. Le 29 octobre, Dan Kersch, le ministre des Sports, annonce l’arrêt de tous les championnats à l’exception du sport dans les « divisions supérieures » avec pour « obligation absolue dans les semaines à venir la prudence et la précaution ».
Dans la foulée, la FLBB décide de suspendre son championnat jusqu’au 31 décembre, rapidement imitée par la FLH et la FLVB. « La majeure partie de nos joueurs nous ont demandé de ne pas jouer », confie alors John Scheuren, le président des Red Boys Differdange. Manager de Berchem, Tom Majerus lâche ceci : « Je ne sais pas si le championnat ira à son terme. Je suis assez sceptique… » Sceptique, je le suis aussi après la décision de la fédération européenne d’annuler les qualifications du Mondial-2021 dames prévues du 4 au 6 décembre à la Coque mais de maintenir un 3e tour de Coupe EHF à Vienne que Berchem ne franchit pas, mais qu’il honore de fort belle manière malgré 59 jours sans compétition et une préparation réduite à des séances de renforcement musculaire via Zoom…
La prémonition de Tom Majerus se confirmera-t-elle ? Depuis, de nouvelles mesures ont été prises et les compétitions ne reprendront, au mieux, qu’en février. Cela fera alors près d’un an que je suis «envoyé spécial» depuis mon salon. Alors, en ce jour de réveillon du Nouvel An, que puis-je souhaiter d’autre que de voir cette année 2021 se présenter sous d’autres auspices ? Ah, j’oubliais : bonne année !
Charles Michel