Sarrazin l’islamophobe « triomphe » à Echternach

Thilo Sarrazin, ancien membre du conseil d’administration de la banque centrale allemande et auteur d’un ouvrage islamophobe, a fait salle comble dans la ville millénaire, mercredi.

Membre du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), l’économiste a été contraint de quitter son poste, après la publication de son livre L’Allemagne disparaît.

Dans les rues longeant l’enceinte du lycée classique d’Echternach, beaucoup de grosses cylindrées, sièges en cuir clair et tableaux de bord en bois, la plupart avec des plaques d’immatriculation allemandes, familières : Bitbourg, Wittlich… Au loin résonne une chanson de Bob Dylan. Apparaissent ensuite des hommes en combinaison blanche, avec des masques à gaz : on se croirait à Fukushima. Ce sont les membres de l’Action antifasciste (Antifa) qui, aux côtés d’autres, notamment déi Lénk, sont venus manifester contre la venue du toxique Thilo Sarrazin à Echternach.

Après la publication de son livre L’Allemagne disparaît (2010), vendu à 1,5 million d’exemplaires, dans lequel l’économiste, après avoir comparé la fertilité de la population allemande et celle de la population musulmane immigrée, estime que cette dernière finira par devenir majoritaire dans l’Allemagne de la fin du siècle, Thilo Sarrazin a été décrit tantôt comme islamophobe, tantôt comme eugéniste et théoricien de l’hygiène raciale.

Ceux, en tout cas, qui voulaient accéder au lobby du Trifolion, qui accueillait mercredi l’homme controversé, pour une discussion avec le juriste allemand Manfred Osten, devaient traverser d’abord la barrière des manifestants. Sur des tracts distribués, on pouvait lire : «Attention : le racisme tue» et des questions : «Qui fête son anniversaire aujourd’hui? Adolf Sarrazin, Thilo Hitler, Jésus ou vous-même?». La coïncidence du jour où Thilo Sarrazin devait parler à Echternach avec le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler avait sauté aux yeux de certains. En conséquence, mercredi, les manifestants ont entonné un «Joyeux anniversaire, cher Adolf» devant les policiers qui sécurisaient l’accès au Trifolion.

À l’intérieur, les suspects habituels : Timon Müllenheim, connu pour avoir défilé avec le lion rouge à Pegida, Georges Dessouroux, ancien du mouvement national vert, mais également Fernand Kartheiser, député de l’ADR, pour cette soirée à 30 euros le billet, dans une salle remplie jusqu’au dernier siège. Thilo Sarrazin, pour être tout à fait à l’aise avec son public, aura néanmoins eu la précaution d’installer quatre agents de sécurité de chaque côté de la salle, dont deux qui ne cessaient de fixer le public.

Le grand éclat a su être évité

La première partie de la soirée a consisté en une soporifique discussion autour de la crise de l’euro. Et elle aura surtout servi à Thilo Sarrazin à déballer ses thèses développées dans un livre antérieur à L’Allemagne disparaît , antérieur au scandale Sarrazin. On se demande donc pourquoi Manfred Osten a choisi de procéder ainsi, vu que cela installait le spectateur non encore intoxiqué par le poison Sarrazin en situation de promiscuité avec lui. Car c’était Thilo Sarrazin l’économe, l’ancien de la Bundesbank qui dès lors pouvait parler, alors que, concernant ses opinions véritables, beaucoup depuis longtemps ne lui accordent plus le bénéfice du doute.

Ce n’était pas la seule erreur de son interlocuteur, qui paraissait d’ailleurs fournir des occasions pour s’exprimer à son invité plus qu’il ne maîtrisait ce dernier. Ainsi, le grand éclat a su être évité et Thilo Sarrazin n’a jamais eu à devenir explicite. Son discours, qui pourtant ne sera pas tombé dans l’oreille d’un sourd, suggère davantage qu’il ne montre et ne démontre. Un peu comme Hitchcock a pu dire que lui réalisait des films et que ses spectateurs avaient peur. L’un sert l’autre.

Tout au long de la soirée, Thilo Sarrazin a donc eu les rires, tantôt gras, tantôt étouffés, de son côté. Ainsi, quand il racontait que la Wehrmacht, qui n’a pourtant pas été «bien gentille avec certains peuples européens », avait été très efficace dans le prélèvement de l’impôt qui finançait partout l’occupation. Oui, partout, «sauf en Grèce» . Et de préciser qu’un rapport nazi sur la manière de réformer l’administration fiscale grecque attendrait dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand depuis 1945.

Concernant la thèse du surpeuplement musulman en Europe, qui constitue son fonds de commerce, Thilo Sarrazin s’est contenté de remarquer que jusqu’à ce jour il n’avait pas encore vu «un seul calcul» qui contredirait cette vision qui vaudrait également pour l’Allemagne, la Belgique et la France. «Et le Luxembourg?» , a demandé Manfred Osten? «Mais vous n’avez que des Portugais, ce ne sont pas des… c’est différent», a rassuré l’ex-banquier, sous les rires complices.

Frédéric Braun