Ouvriers qui sniffent, traders qui boivent pour tenir la barre ou encore journalistes au bout du rouleau : les risques psychosociaux au travail font des ravages. La Chambre des salariés tire la sonnette d’alarme.
La CSL repasse à l’attaque. Après son colloque de lundi dernier au cours duquel son président, Jean-Claude Reding, a plaidé pour un instrument légal destiné à lutter contre le stress au travail, l’institution persiste et signe. Elle édicte, en effet, un cahier de doléances à l’intention des autorités, à qui elle enjoint de légiférer sur la question du stress, mais aussi plus globalement sur ce que l’on dénomme les risques psychosociaux au travail (RPS).
La CSL a constaté que les risques psychosociaux font l’objet d’une évaluation obligatoire dans la plupart des pays européens. Au Luxembourg, par contre, il n’existe aucune définition juridique de ces risques, ni de politique de prévention des risques (lire encadré bleu).
Invité par la CSL à tenir une conférence mercredi soir, l’éminent psychiatre et psychanalyste français Christophe Dejours s’est attaché à faire toute la lumière sur la notion complexe de «risque psychosocial».
«Le suicide au travail est la nouveauté du siècle»
«Traditionnellement, la santé au travail était uniquement perçue d’un point de vue physique de la santé du corps et l’on distinguait les accidents du travail et les maladies professionnelles», indique le psychanalyste. Puis, de nouvelles questions ont littéralement explosé au cours des dernières décennies, liées à la santé mentale au travail. De nouvelles pathologies sont dès lors progressivement apparues : pathologie de la surcharge, dont le burn-out et le dopage, mais aussi pathologie de la violence au travail, pathologie du harcèlement et dans les cas les plus radicaux, dépressions, tentatives de suicide et suicides sur le lieu de travail.
Concernant ce dernier point, le psychanalyste a tenu à mettre les points sur les i. «Si les suicides en relation avec le travail existaient bien évidemment déjà, les suicides commis sur le lieu de travail sont véritablement une nouveauté du XXIe siècle», a-t-il spécifié. Par ailleurs, Christophe Dejours a évoqué le fait qu’il n’y avait plus de milieux professionnels davantage à risques que d’autres.
Des ouvriers «qui sniffent de la coke sur les chaînes de montage» aux «traders et avocats d’affaires hyper-stressés et alcooliques», en passant par les «nombreux journalistes anxieux qui souffrent» qui défilent dans son cabinet, tous subissent ce mal du siècle. «Le pire, ce sont les journalistes de la télévision qui tremblent en permanence», souligne encore le psychanalyste, qui a confié qu’une étude sur les conditions de travail à Mediapart était en cours.
Quant au coût social des dépressions au travail, il est estimé à près de 617 milliards d’euros par an au niveau de l’UE.
Les propositions de la CSL
Pour tenter d’endiguer le phénomène, la CSL a élaboré un cahier de doléances, ou plutôt de propositions, qui sont au nombre de quatre, à savoir : contribuer à une démarche globale de prévention et d’évaluation des risques par le biais notamment de l’information aux salariés, soutenir la recherche en matière de projets et d’expérimentations et intégrer les bienfaits dans les plans de prévention en multipliant les expérimentations au sein des entreprises et en s’appuyant sur l’indice «Quality of work» pour évaluer et améliorer les politiques en la matière, proposer des espaces de dialogue entre les différents acteurs concernés agissant au niveau de la prévention et la nécessité d’impliquer davantage différents services étatiques en renforçant, par exemple, le rôle et les missions de la médecine du travail, afin d’assurer un meilleur suivi des salariés en entreprise ou en renforçant les contrôles de l’Inspection du travail et des mines (ITM) au sein des entreprises.
Bref, si le message semble être passé du côté du ministère du Travail et de l’Emploi, il reste toutefois au ministre, Nicolas Schmit, à répondre favorablement aux doléances de la CSL, en élaborant un projet de loi.
Claude Damiani
Le Luxembourg en retard
La Chambre des salariés a initié, en 2012, le projet «Quality of work Index», en partenariat avec l’unité de recherche Inside de l’université du Luxembourg, qui porte sur une évaluation du climat de travail en entreprise. Il ressort de l’enquête 2015 de ce projet qu’environ un tiers des salariés sont touchés par un niveau élevé et fréquent de stress lié au travail.
Dans ce contexte, la CSL constate que les risques psychosociaux font l’objet d’une évaluation obligatoire dans la plupart des pays européens, mais qu’au Luxembourg, il n’existe pas de définition juridique. En plus, les risques dont il est question ne sont pas recensés systématiquement.
Dans ce sens, la CSL plaide pour l’introduction d’une politique de prévention des risques qui comprend une évaluation des risques psychosociaux au sein des entreprises, première étape du processus de prévention devant permettre d’éviter des accidents et des maladies.
Six types de risques psychosociaux
Les risques psychosociaux (RPS) peuvent être regroupés, selon la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques du ministère du Travail en France (Dares), en six groupes :
›Les risques liés aux exigences de travail regroupent les risques liés à l’exécution du travail en termes quantitatifs et de contraintes de temps et de rythme de travail.
›Les risques liés aux exigences émotionnelles portent sur le maintien de bonnes relations sociales et émotionnelles au travail, surtout en lien avec la clientèle ou un public en difficulté.
›Les risques liés à l’autonomie et aux marges de manœuvre concernent le degré de liberté que le salarié possède dans son activité professionnelle pour développer ses compétences.
›Les risques liés aux rapports sociaux visent la qualité des relations sociales entre les différents collaborateurs de l’entreprise et de la qualité des relations managériales.
›Les risques liés aux conflits de valeurs ont trait à l’adéquation entre les valeurs des salariés et celles prônées par l’entreprise et à la notion de qualité empêchée, à savoir l’inadéquation entre la qualité voulue et les moyens nécessaires.
›Enfin, les risques liés à l’insécurité de l’emploi et aux perspectives futures correspondent à l’impuissance ressentie à préserver la continuité souhaitée dans une situation de menace de l’emploi, mais aussi en lien avec la pénibilité, et/ou avec la crainte de ne pas pouvoir tenir son poste à moyen terme. Dans les faits, il peut s’agir de stress, mais aussi de violences internes (harcèlement moral, harcèlement sexuel) ou de violences externes.
L’alcoolisme au travail est depuis longtemps une préoccupation majeure de sécurité, mais d’autres addictions, les drogues et les médicaments psychotropes, sont venues s’ajouter aux facteurs importants qui menacent la sécurité des travailleurs, et les consommateurs excessifs de drogues occupant un emploi ne représentent plus un phénomène marginal : les addictions sont devenues un problème de sécurité au travail d’importance croissante : La prévention des addictions aux drogues au travail : http://www.officiel-prevention.com/sante-hygiene-medecine-du-travail-sst/service-de-sante-au-travail-reglementations/detail_dossier_CHSCT.php?rub=37&ssrub=151&dossid=342