Paul Galles, député CSV, a une riche expérience derrière lui qu’il veut mettre au profit de la politique. Parallèlement, il participe au renouvellement du CSV, où il construit des ponts.
Paul Galles a gravi les échelons au sein du CSV à l’allure d’un TGV quand on sait que le vice-président qu’il est devenu en mars dernier a adhéré au parti en 2016 seulement. C’est un homme pressé de proposer ses idées pour rétablir plus de justice sociale.
Vous êtes membre du CSV depuis 2016, élu au conseil communal de la Ville de Luxembourg en 2017, à la Chambre des députés en 2018 et enfin vice-président du CSV en 2021. Ce parcours répond-il à vos ambitions?
Paul Galles : Très bonne question. Ai-je des ambitions? Oui, certainement, parce que j’ai des idées et le grand saut a été de quitter Caritas pour entrer en politique, deux mondes bien différents. Chez Caritas j’ai beaucoup appris, au contact avec les plus pauvres et les réfugiés, dans le domaine de la justice sociale et je me suis dit qu’il fallait présenter mes idées au monde politique et pour moi cela signifiait le CSV, d’un point de vue idéologique. J’ai l’ambition de les mettre en pratique et j’essaie de les présenter d’une manière sérieuse, mais j’espère que c’est grâce à mes idées que j’ai réalisé un tel parcours.
Vous êtes donc allé toquer à la porte du CSV avec un catalogue d’idées?
Je suis allé effectivement toquer chez Marc Spautz qui était alors président du parti pour lui dire que j’avais envie de m’engager en politique et à ce moment-là, j’étais fasciné par la politique européenne. Marc Spautz m’a expliqué qu’au CSV on commençait par l’engagement local et en découvrant le local j’ai rencontré beaucoup de monde et c’est avec joie que j’ai commencé à ce niveau.
Comment comptez-vous vous y prendre pour remettre le parti d’aplomb?
D’abord le CSV est dans une phase de renouvellement, ce qui est tout à fait normal, puis il y a eu les « affaires » et le grand sujet derrière tout cela, c’était de savoir si nous étions un grand parti uni ou si nous mettions en concurrence le parti et la fraction. Comme j’ai assuré l’intérim du secrétariat général du parti et que j’étais également député, j’ai essayé de construire des ponts alors que l’atmosphère n’était pas bonne.
Je vois aujourd’hui que nous avons une grande opportunité de bien collaborer et cela donne une autre ambiance. On se sent motivés, engagés et, comme on est dans une phase de transition, il faut laisser aussi une place aux jeunes. La même chose m’arrivera un jour quand je vais céder ma place à une autre génération. J’essaie d’avoir l’humilité de me dire que je fais de mon mieux pendant une période où mes talents et compétences sont demandés.
Vous avez déclaré un jour qu’on pouvait être conservateur et progressiste. Auriez-vous voté favorablement pour l’euthanasie et l’avortement?
Non, ce n’est pas ça être progressiste à mon sens. Selon moi, il faut d’abord distinguer les deux terminologies. Conservateur, c’est pour moi conserver ce qui a de la valeur comme notre environnement naturel, notre contrat social, la dignité de chaque être humain, etc.
Progressiste, c’est être à l’écoute de notre époque, des besoins des gens. Je veux éviter de dire que je suis progressiste et qu’on comprenne que je veuille tout changer. Il ne faut pas tout faire parce que c’est nouveau, sauf si cela aide à conserver les valeurs que j’ai citées.
Puisque vous parlez d’avortement, je crois qu’aucune femme dans ce monde ne va avorter par plaisir et personne ne demandera l’euthanasie par plaisir non plus. Mais il y a un besoin et il faut l’encadrer pour ne pas tomber dans l’abus. Inversement, il ne faut pas ignorer ce besoin par pure idéologie. Les deux lois que nous avons pour le moment sont assez bonnes.
Je me souviens que la Commission nationale de contrôle et d’évaluation de l’application de la loi sur l’euthanasie et l’assistance au suicide avait fait de la publicité pour l’euthanasie, car il y en avait très peu. Mais c’est peut-être bon signe, cela signifie que nous avons de bons soins palliatifs et je ferais d’abord leur promotion avant tout.
Vous avez séjourné au Brésil et à votre retour, vous avez déclaré qu’à Luxembourg nous n’avions pas de favelas, mais que la pauvreté était cachée. Est-ce que vous la touchez du doigt cette pauvreté aujourd’hui? Est-elle plus visible?
C’est vrai nous n’avons pas de favelas, mais néanmoins des situations de privation matérielle sévère qui concernent 1,2 % de la population. Il n’y a pas que les sans-abri, personnes auxquelles on pense instinctivement, mais il y a aussi de la pauvreté cachée et pour ceux qui en souffrent, nous mettons déjà des moyens assez forts, comme les épiceries sociales.
La pauvreté au Luxembourg en tant que risque se rapporte plutôt à un déséquilibre social, une injustice. Ceux qui gagnent injustement peu d’argent, qui paient injustement trop d’impôts et où les transferts sociaux ne suffisent pas à les élever à un digne niveau de vie. Ce sont les inégalités sociales qui s’expriment dans l’indicateur du risque de pauvreté. Pour illustrer cette réalité, je la compare toujours à un automobiliste qui roule avec des pneus lisses à 130 km/h sur l’autoroute et qui doit un jour, pour une raison ou pour une autre, freiner brusquement par temps de pluie. Il partira dans le décor, il sera perdu. Ce n’est pas dit que l’accident se produira mais le risque est très élevé.
Dans un pays aussi riche que le Luxembourg, cette situation vous scandalise-t-elle?
Oui, cette pauvreté a un côté matériel mais aussi un côté dignité humaine. Ce risque conduit les personnes concernées à un très grand manque de participation dans la société. Elles se marginalisent et certaines subissent des discriminations, il y a des préjugés qui se renforcent et il y a toujours le risque de tomber dans une vraie pauvreté. Est-ce qu’ici, dans ce pays riche, j’ai le droit de participer à la société ou suis-je directement ou indirectement exclu?
Un pouvoir, c’est toujours un service; c’est un concept que je prends de ma foi
La politique sociale actuelle est donc défaillante?
Pour combattre le risque de pauvreté, il existe trois instruments : le revenu, les impôts et les transferts sociaux, mais cela ne suffit pas parfois. J’ai l’impression que l’on n’est pas suffisamment motivés pour aider à sortir ces gens du risque de pauvreté parce que l’on est toujours dans ce préjugé qui veut que si on aide trop, on fabrique des assistés paresseux.
J’ai rencontré récemment une personne qui travaille au niveau des professions sociales et qui m’a dit que les gens qu’elle formait ont très souvent peur d’être confrontés au sujet de la pauvreté. On a peur du sujet de la pauvreté parce qu’on ne sait pas trop ce que c’est, comment la décrire. On a aussi peut-être peur de ces gens. Ils ne sont pas pauvres uniquement au niveau matériel, mais aussi au niveau culturel.
Partagez-vous ce sentiment? Les gens ont-ils vraiment peur d’aborder le sujet de la pauvreté?
Oui, je le pense. Mais à cause du problème du logement, beaucoup de gens commencent à comprendre que leurs enfants et petits-enfants seront peut-être concernés par cette problématique et qu’ils entrent dans une phase paradoxale de pauvreté. C’est-à-dire qu’ils vivent dans un pays riche où ils gagnent de l’argent, mais malgré tout ils n’ont plus le droit, entre guillemets, ou la possibilité de vivre d’une façon digne au Luxembourg et de s’y sentir à l’aise.
J’ai regardé récemment une émission sur la politique de logement de ces trente dernières années qui posait clairement la question : habiter le Luxembourg, est-ce un droit ou un luxe? Pour moi, c’est un droit et on nous ôte ce droit. Dès lors, c’est une forme de pauvreté. Les gens commencent à comprendre que le système ne va pas profiter à leurs enfants et petits-enfants. Vous savez, un jour une personne m’a dit : « Je te souhaite que les pauvres soient tes amis. » C’est une phrase que j’ai retenue. Oui, je veux que les pauvres soient mes amis et j’aime l’idée de les avoir dans ma tête et dans mon cœur.
Justement, à mi-parcours de la législature, quelles sont vos impressions sur la marche du pouvoir, vous qui avez dit un jour que vous représentiez à la Chambre ceux que personne d’autre ne représentait?
Bon, je ne dirais pas « personne d’autre », mais peu de gens en tout cas. Mais je ne veux pas seulement représenter les gens pauvres, mais aussi la jeunesse, les familles. Ce qui est très intéressant en politique, c’est ce travail d’équilibre. Sur un sujet comme la pauvreté, je sais que si je présente mes idées, je cherche l’équilibre. Peut-être le patronat aura d’autres propositions, donc je vais essayer de parler aux patrons, essayer de les comprendre.
Un des groupes de travail au CSV se penchait sur l’économie et je m’y suis inscrit pour comprendre comment était mené ce travail d’équilibre au Luxembourg. Je veux proposer du social qui soit réaliste. L’idéologie, c’est de dire je m’empare de mes sujets et l’équilibre ne m’intéresse pas, contrairement au réalisme.
Pour moi, le pouvoir, c’est de comprendre, d’écouter, de dialoguer, de trouver des compromis tout en sachant ce que je veux défendre. Un pouvoir c’est toujours un service; c‘est un concept que je prends de ma foi. Ce serait intéressant d’avoir un jour la possibilité de proposer des idées dans un gouvernement, mais je ne veux pas me fixer sur cette idée. Pour l’instant, c’est le moment où je peux comprendre et apprendre. Je m’intéresse à des tas de sujets comme la vigilance des entreprises, les sujets d’immigration et d’intégration. Tout ce qui fait une société où on respecte les droits de l’homme afin que chaque être humain soit respecté et que l’on puisse vivre ensemble, voilà ce qui me passionne.
Comment allez-vous aborder la seconde partie de votre mandat, à la lumière de votre expérience?
J’ai décidé depuis quelques semaines de changer un peu mon approche politique en me disant que j’allais tout mesurer selon un critère primordial : cela va-t-il faire du bien à nos enfants? C’est cela la durabilité pour moi. On en parle tellement, on utilise ce terme d’une manière inflationniste alors que « durable », signifie pour moi le bien-être des générations futures. Le pouvoir ce n’est pas un poste, ni une position, c’est essayer de servir si possible tout le monde et avoir une vision de société. J’essaie d’avoir une vision, comment imaginer le Luxembourg en 2030. J’ai travaillé cela personnellement.
Entretien avec Geneviève Montaigu
Repères
Matheux polyglotte. Né à Luxembourg le 18 mai 1973, Paul Galles, fils d’enseignants en sciences, est passionné par les mathématiques. Il est aussi polyglotte : il parle français, luxembourgeois, allemand, anglais, espagnol, italien et portugais.
Brésil. Il quitte le cocon familial à 19 ans pour s’envoler vers le Brésil où il vivra une riche expérience dans les favelas qui bouleverse son existence. À son retour, un an plus tard, il se lance dans des études de théologie en Allemagne.
Curé. Devenu prêtre catholique en 1999, il termine son doctorat à Rome et devient curé à Esch-sur-Alzette et aumônier national des jeunes. Sa vision brésilienne de la foi se heurte à «une Église traditionnelle, centralisée, pompeuse, liturgique». Il met en place un projet en accord avec ses aspirations et qui dénote la modernité de son approche de l’Église : «Pimp my Church», qui vise à rendre l’Église plus participative.
Caritas. Après avoir quitté le sacerdoce quand s’est posée la question du célibat, il rejoint Caritas en 2011 pour construire le projet social de participation des jeunes «Young Caritas». Il est lauréat du «prix du citoyen européen 2016» pour son engagement auprès des réfugiés.
Politique. «Chez Caritas, j’ai réalisé que beaucoup de situations très difficiles dans lesquelles se retrouvent les gens sont dues à des décisions politiques.» Il franchit le pas et adhère au CSV en 2016. Il sera élu successivement conseiller communal de la Ville de Luxembourg, député et tout récemment vice-président du CSV.