Nous publions ci-dessous la tribune libre de Màrio Lobo, qui se définit comme « un Portugais du Luxembourg ».
« Avec près d’un résident sur cinq, la communauté portugaise constitue la plus grande minorité du Luxembourg. Une si grande communauté ne peut que ne pas être uniforme et le Portugais typique ne peut, par définition, que tout simplement ne pas exister. Il n’empêche que nous, Portugais, sommes devenus des «luxembourgeois d’ailleurs» et avons, dans ce long processus, fait voyager nos coutumes avec nous.
Petit à petit, nous devenons de plus en plus des citoyens de ce pays qui nous a accueillis les bras ouverts. Mais cette citoyenneté ne se construit pas du jour au lendemain et, surtout, ne se construit pas en nous enlevant ce que nous sommes, à savoir des portugais.
Il est impossible d’oublier toute notre âme pour la remplacer par une autre purement luxembourgeoise. Pourquoi? Parce qu’en faisant cela, nous nous retrouvons vides d’esprit, incapables d’intégrer n’importe quelle communauté. L’âme humaine n’est ni échangeable ni jetable.
On ne peut tout simplement pas télécharger de nouveau logiciel et devenir quelqu’un d’autre. Non. Le développement de l’immigrant en tant que citoyen se fait par fusion avec la communauté d’accueil. Dans ce processus, c’est à l’immigrant d’aussi bien recevoir que de donner à la communauté qui l’entoure.
Non, nous ne voulons pas changer votre pays. Vous dites de vous-mêmes : «Mir wëlle bleiwen, wat mir sinn.» (NDLR : Nous voulons rester ce que nous sommes). Sans vouloir manquer de respect, il faut dire que votre devise est bien normale. Connaissez-vous un pays ou un peuple qui ne veuille pas rester ce qu’il est ?
La différence, c’est que vous en êtes tellement fiers qu’il s’agit de votre devise nationale. Et contre le sentiment collectif d’un peuple, il n’y a rien que l’on puisse faire. «Mir wëlle bleiwen, wat mir sinn», et pourtant, je me permets de penser que ce fut avec plaisir que vous avez reçu la Super Bock et la bifana, le bacalhau et le bon vin rouge de l’Alentejo ou du Douro.
«Nous sommes venus pour vous aider»
Nous aussi, nous voulons rester ce que nous sommes, d’autant que notre pays nous manque. Nous sommes venus pour vous aider à bâtir votre pays, à construire vos maisons, à vos côtés, quand vous aviez besoin de main-d’œuvre. Et nous sommes restés. Au fil du temps, nous avons commencé à apprécier le Judd mat Gaardebounen, à faire la bise trois fois et même à dire «tip top». Est-ce que nous avons cessé d’être portugais? Je ne le crois pas, tout comme je ne crois pas que, de par notre présence, vous soyez moins luxembourgeois.
La société civile contribue à ce que nous puissions rester ce que nous sommes. La Confédération de la communauté portugaise au Luxembourg (CCPL) fut d’abord créée afin d’assurer le lien entre les différentes associations portugaises et ainsi préserver la culture et les coutumes portugaises au Luxembourg.
En somme, elle poursuit les mêmes objectifs que, par exemple, les nombreux Luxembourgeois ayant émigré il y a plus d’un siècle vers les États-Unis et étant, eux aussi, restés attachés à leur culture et à leurs coutumes d’origine.
Les associations sont des lieux de socialisation, mais aussi des lieux de discussion et d’apprentissage. C’est très souvent dans les associations portugaises que nous trouvons les solutions pour faire face à ce monde nouveau que représente le Luxembourg. C’est dans les associations que nous apprenons à mieux parler le français qui demeure, parmi les trois langues du pays, la plus facile d’accès pour la plupart des Portugais.
C’est dans les associations que nous apprenons ce qu’est la Caisse nationale de santé ou l’administration des Contributions directes. C’est dans les associations que nous trouvons notre ancrage social. Car, sans contextualisation sociale, l’homme n’est qu’une bête sauvage.
«Aider les Portugais à devenir des citoyens à part entière»
C’est tout ce savoir que le monde des associations d’immigrants contient; un savoir qui, pas à pas, nous fait avancer vers plus de citoyenneté et, nous l’espérons, vers une citoyenneté pleine.
Ce chemin ne se fait pas sans difficultés, mais c’est un chemin que nous aimerions bien faire ensemble, avec vous. Parce qu’ici, c’est aussi notre pays. C’est le pays que nous avons choisi pour bâtir nos maisons, pour faire grandir nos enfants, pour travailler, pour mourir.
Nous essayons d’être respectueux de vos coutumes. Parfois, nous échouons. Mais c’est ainsi que nous construisons une société ensemble. Nous avançons et, parfois, nous trébuchons avant de nous relever et de reprendre le chemin.
Se permettre de souhaiter une Confédération de la communauté portugaise au Luxembourg (et donc une société civile) plus forte n’est pas une affirmation «nationaliste» portugaise, mais bel et bien un pas vers plus d’intégration. Nous avons des besoins spécifiques en tant que communauté, à commencer par l’apprentissage de la langue.
En ignorant à la fois les langues et les coutumes de ce pays qui nous a accueillis, nous nous enfermons sur nous-mêmes. Mais qui est mieux placé pour aider ceux qui ont besoin de s’intégrer que ceux qui ont déjà parcouru ce chemin?
Le 26 avril, la Confédération de la communauté portugaise au Luxembourg tiendra son 8 e congrès. Sous le slogan, «l’interculturalité, l’unité de demain», nous voulons aider les Portugais du Luxembourg à devenir des citoyens à part entière. Avec tous les droits, mais aussi toutes les obligations.
Merci, léif Lëtzebuerger Frënn, datt Dir eis opgeholl hutt ! »
Màrio Lobo, un Portugais du Luxembourg