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Menace terroriste : pas de psychose dans la communauté juive


« Je n’ai pas peur, mais j’y pense à chaque fois que j’entre dans la synagogue. Et puis hop je passe à autre chose. » Nadine résume l’état d’esprit de nombreux Luxembourgeois de confession juive. Les récents attentats de Paris, dont celui de l’épicerie casher de la porte de Vincennes, n’ont pas fait entrer la petite communauté — environ 350 familles, soit 1 200 personnes—  dans la psychose. Mais elle entretient sa vigilance.

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La communauté juive ne cède pas à la psychose, mais reste plus que jamais vigilante face au risque d’attentat, présumé plus faible qu’ailleurs. (Photo : archives Le Quotidien)

« Nous ne sommes pas dans l’inquiétude permanente, mais nous sommes sur nos gardes, car nous sommes une communauté à risque », indique Claude Marx, président du Consistoire israélite du Luxembourg. Un service de surveillance interne au Consistoire a été créé suite à l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic à Paris, en 1980.

Depuis cette date, la police est aussi systématiquement présente à l’entrée des deux synagogues de Luxembourg et d’Esch-sur-Alzette, lors des offices du vendredi soir et du samedi matin, ainsi que lors des fêtes juives. « On sait qu’il existe un danger potentiel, d’autant que le Luxembourg est un petit pays aux frontières ouvertes », ajoute Claude Marx.

Contrairement à Paris et à la France, où les actes antisémites se sont multipliés ces dernières années, aucune agression notable contre la communauté juive n’a eu lieu ces dernières décennies au Grand-Duché. Claude Marx évoque seulement des « menaces » datant d’il y a dix ans.

Une tranquillité relative que le président du Consistoire tente d’expliquer : « Les musulmans au Luxembourg sont majoritairement issus de l’ex-Yougoslavie. Ils se sont intégrés beaucoup plus facilement à la société luxembourgeoise que les gens d’origine maghrébine ne l’ont fait en France. Ici, nous n’avons pas le problème de ces banlieues qui subissent des humiliations et des frustrations, ce qui génère des tas de révoltes. »

> « Rester extrêmement discret »

Philippe (*), 70 ans, confirme le mal qui frappe les banlieues françaises ou les grandes capitales européennes pour expliquer que le Luxembourg soit encore « un îlot isolé ». La présence, aussi, d’un islam « modéré », « comme celui de la grande majorité des musulmans dans le monde. (…) Il faut rester vigilant, mais il ne faut pas se laisser envahir par la psychose comme en France. J’espère que nous vivons dans un pays qui restera épargné, mais tout est possible. Même à Luxembourg, à la lumière de ce qu’il s’est passé, beaucoup se demandent s’il faut continuer à montrer des signes extérieurs de religion ».

Nicolas, 25 ans, n’a pas attendu les récents attentats de Paris pour se montrer « extrêmement discret ». « Le conseil qui circule, c’est de ne rien manifester, afin que cela ne puisse pas être interprété comme une provocation. » Avec son amie, ce jeune Français a déménagé de Paris à Luxembourg il y a quelques mois. D’abord pour des raisons professionnelles, « mais c’était aussi l’occasion de se sentir plus en sécurité ».

Il raconte : « Nous habitions dans le XIe arrondissement et pas mal d’événements inquiétants y avaient eu lieu en quelques mois : l’attaque d’une synagogue rue de la Roquette, des manifestations pro-palestiniennes qui avaient largement dégénéré, un spectacle de Dieudonné… Pas mal de gens autour de nous quittaient la France, car ils ne se sentaient pas en sécurité. »

Alors que l’angoisse a monté d’un cran parmi ses proches qui vivent en France, Nicolas ajoute : « Je n’aimerais pas être à Paris aujourd’hui. Je suis content d’être à Luxembourg, où les personnes juives se sentent beaucoup plus en sécurité. Mais je sais que ce qui s’est passé à Paris peut très bien arriver au Luxembourg. Je crois aussi que tout le monde a compris maintenant que le problème allait au-delà de l’antisémitisme et qu’il ne concernait pas seulement les juifs, que tout le monde devait faire attention. »

> « A priori, on est à l’abri ici »

C’est aussi l’avis de David, originaire du Brésil, qui vit depuis huit ans au Grand-Duché : « L’attentat de Charlie Hebdo n’a rien à voir avec la communauté juive. Je ne me sens pas particulièrement en insécurité, et pas plus qu’avant. Un attentat pourrait survenir partout, mais si quelqu’un veut agir, il le fera où cela fera le plus de bruit, comme on l’a vu à Paris ou Bruxelles. Ici, c’est un petit pays, avec une petite communauté juive. »

Nat, un Belge de 24 ans qui vient de poser ses valises à Luxembourg pour travailler dans un des deux commerces casher de la capitale, confie lui aussi qu’il se sent « plus en sécurité ici qu’en Belgique » — grâce au « faible taux de criminalité » et à l’absence d’acte antisémite récent. « A priori, on est à l’abri ici. En Belgique, je n’avais pas peur, mais j’avais toujours en tête ce qui s’est passé au Musée juif de Bruxelles. »

Le ressenti de chacun varie selon ses expériences et sa sensibilité. Membre de longue date de la communauté juive luxembourgeoise, Jacques estime par exemple que le dispositif de sécurité à la synagogue n’est pas assez étoffé : « Même avec deux policiers, si quelqu’un passe sur le boulevard avec une mitraillette, on ne peut pas se protéger. Il faudrait fermer le boulevard durant une heure. Oui, les événements de Paris m’inquiètent. Ici, les frontières ne sont pas loin. Il faudrait être encore plus vigilant. Vous savez, les Luxembourgeois sont plus pro-palestiniens que pro-juifs. On ne nous aime pas plus ici qu’en France. Simplement on nous accepte, si l’on veut bien se taire. »

Jacques se dit malgré tout conscient du calme dont bénéficie la communauté au Grand-Duché. D’ailleurs, selon lui, « beaucoup de juifs ont quitté Paris depuis cinq ans pour se sentir en sécurité au Luxembourg ». Le président du Consistoire, Claude Marx, met plutôt en avant les opportunités professionnelles pour expliquer la légère progression du nombre de juifs au Grand-Duché. En tout cas, les départs dans le sens inverse, notamment vers Israël, semblent très limités, contrairement au phénomène qui touche les juifs de France.

(*) Prénoms d’emprunt

De notre journaliste Sylvain Amiotte

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