Marc Baum va quitter la Chambre des députés après cinq années de bons et loyaux services, de discours marquants et de déceptions aussi. Un bilan en couleurs pour un regard critique sur la politique.
Marc Baum et David Wagner vont céder leur place de député à mi-parcours à deux nouvelles venues : Nathalie Oberweis pour la circonscription Centre et Myriam Cecchetti pour le Sud. Avant de retrouver les planches, le comédien Marc Baum nous livre ses impressions sur la réalité vécue depuis cinq ans dans les rangs de l’opposition.
Que pensez-vous des verts et de l’armée, des verts et du logement ?
Marc Baum : Deux fois un désastre. Un retournement de veste complet. Quand je vois les Verts européens qui votent avec la Gauche pour la levée des brevets des vaccins et ici ils votent contre une petite motion introduite par David Wagner. C’est incompréhensible, car la motion ne demandait pas que le Luxembourg lève les brevets, mais que le gouvernement s’engage au niveau européen pour que l’UE lève les brevets. Pour l’armée, c’est la même chose. J’ai convoqué une commission de la Défense, parce qu’au niveau européen, il y a une initiative de création d’un « battle group » pour intervenir au Mozambique avec participation potentielle luxembourgeoise. C’est complètement fou! Concernant le logement, Ils disent qu’ils ne peuvent pas réglementer, pas imposer de plafonds sur les loyers, sinon c’est une entrave au libre marché qui, lui, progresse tranquillement de 16 % en un an. Les verts mènent une politique en faveur des propriétaires, petits et moyens, et en faveur des fonctionnaires de l’État, donc d’une grande partie de l’électorat. Les locataires, majoritairement, n’ont pas le droit de vote et c’est aussi un problème.
Les bleus et la culture ?
Encore un désastre ! D’ailleurs on ne parle pas beaucoup d’Esch 2022, capitale européenne de la culture. Les communiqués, pour l’instant, concernent la recherche de sponsors privés alors que l’évènement doit débuter dans neuf mois. Sur le plan artistique, rien n’est clair, sur le plan sociétal non plus, ce n’est pas une région qui s’engage, c’est une conception bling-bling du début à la fin. On pensait qu’avec l’ancienne coordinatrice du DP (NDLR : Nancy Braun) ils arriveraient au moins à collecter des fonds, mais même ça ils n’arrivent pas à faire. C’est une catastrophe. Bon, depuis que Sam Tanson a repris la Culture, les choses vont un peu mieux. Mais Esch 2022, c’est le DP avec le concours du CSV eschois.
Le statut de l’artiste a-t-il évolué ces dernières années ?
Il y a eu des avancées, oui. Des pourparlers sont en cours concernant les faiblesses du système actuel que les restrictions pendant la pandémie ont encore accentuées. Il y a une réforme en cours en faveur des artistes et des intermittents et ce serait très bien. Sam Tanson s’est engagée à améliorer la situation. J’ai vécu des choses dingues dans ce métier, comme par exemple commencer à travailler sans contrat. Après trois semaines, quand tu poses la question, on te répond d’un air étonné que tu te montres très à cheval sur les formalités! Lors de cette pandémie, des représentations ont été annulées et les gens qui n’avaient pas de contrat ont été lâchés par des théâtres pourtant semi-publics. L’introduction d’un code de déontologie ne serait pas du luxe pour les structures recevant des aides étatiques.
Les rouges et Dan Kersch ?
C’est un peu étrange. Il se donne une posture très à gauche depuis deux ou trois ans et, en même temps, il dit que les sujets importants comme la réforme fiscale ou le logement seront les thèmes de la prochaine campagne pour les législatives de 2023. Mais Dan Kersch est au pouvoir maintenant et avec lui le LSAP, bon sang! C’est aussi une déception sur toute la ligne. Cette posture de gauche n’a pas de fondement et elle ne se ressent nulle part.
Les verts virent au turquoise, les rouges au violet, donc les bleus déteignent-ils sur eux ?
Oui et c’est tout le problème de cette coalition qui se retrouve autour des valeurs libérales, un peu plus écolos chez les verts et plus sociales chez les LSAP, mais qui empêchent tout débat sociétal. Tout le monde reprend les positions du DP et c’est grave pour le débat politique.
L’ADR et son nouveau visage ?
Ah ! Auparavant, avec Gast Gibéryen, on avait une tendance de droitisation dans la bonhommie et en douceur. On ne pouvait pas taxer le parti d’extrême droite. Mais avec Fernand Kartheiser à la tête de la sensibilité, on a un profil clairement xénophobe, d’un conservatisme moyenâgeux et je doute qu’il trouve preneur dans l’électorat luxembourgeois. Cela reste hyper-dangereux quoi qu’il en soit. On vit depuis des générations dans le multiculturalisme avec une forte histoire d’émigration et d’immigration, donc j’ai l’espoir, qu’ici au Luxembourg, ces discours de haine n’obtiendront pas l’écho qu’ils peuvent avoir en Allemagne ou en France.
Déi Lénk et son réservoir électoral et militant ?
D’un côté, concernant les militants, on observe depuis six à huit mois une augmentation du nombre des nouveaux membres, des jeunes entre 20 et 30 ans. On voit que notre travail porte ses fruits avec des jeunes qui se (re)mobilisent ces derniers temps avec des manifestations comme Fridays for Future, pour le logement, contre le CETA. Et dans toutes ces initiatives citoyennes, populaires, il y avait toujours des militants de déi Lénk comme organisateurs ou coorganisateurs. Il n’y a pas de recette miracle, seul le travail en profondeur et sur la durée permet d’obtenir des résultats.
Beaucoup de députés n’ont rien à voir avec le quotidien des salariés, alors que ce sont ces derniers qui créent la richesse de ce pays
La Chambre des députés et le déficit démocratique ?
Le déficit démocratique s’accroît. Surtout, ce qui est difficile pour un parti de gauche, c’est de savoir que les locataires n’ont en général pas le droit de vote, sinon même des partis comme le LSAP ou le CSV auraient changé leur politique il y a longtemps. Ce sont les propriétaires qui votent et qui s’enrichissent de 15 % par an. C’est le résultat d’un déficit démocratique qui s’amplifie à la Chambre des députés. Si on regarde le statut socioprofessionnel des députés, on voit quoi? Des fonctionnaires, des avocats, des entrepreneurs. Beaucoup de députés n’ont rien à voir avec le quotidien des salariés et leurs soucis, alors que ce sont ces derniers qui créent la richesse de ce pays. C’est un gros problème démocratique.
Quel avenir pour le Conseil national pour étrangers (CNE) dont vous êtes un des rares à vous préoccuper ?
Ce CNE n’a pas de moyens. On pourrait longuement discuter sur sa composition et la manière d’élire ses représentants. Pour l’heure, la ministre Corinne Cahen défend l’idée d’une représentation via les commissions communales d’intégration, ce que je ne trouve pas trop bon. La vraie question, ce sont ses pouvoirs. Ce CNE aurait-il au moins la même importance qu’une chambre professionnelle avec une saisine obligatoire pour avis de tous les textes législatifs? Il faudrait au moins ça, et pour mener à bien cette tâche, il lui faut des moyens. Ce serait seulement une petite mission pour le CNE, mais il n’y a aucune volonté politique derrière. Corinne Cahen laisse mourir ou plutôt pourrir une commission qui n’a jamais été prise au sérieux. La ministre joue sur les divergences qui existent entre les membres, entre les communautés.
À quoi lui servirait ce pouvoir ?
Au moins, ce serait un début de reconnaissance. Les avis de la Chambre de commerce ou de la Chambre des salariés sont souvent ignorés aussi, mais heureusement ils contiennent certaines propositions qui retiennent l’attention du Conseil d’État, qui y fait ensuite référence. C’est justement par ce biais qu’un minimum d’influence pourrait se faire ressentir.
Le débat sur le droit de vote des non-Luxembourgeois pourrait-il refaire surface ?
Je crains qu’il soit jeté aux oubliettes pour un moment. Mais là aussi, le gouvernement a fait ça dans la hâte sans préparer la société à une telle démarche. Il a tout mis en place pour que la société luxembourgeoise s’exprime sur l’action du gouvernement, pas sur le sort des non-Luxembourgeois. Une telle approche est dommageable. En plus, Étienne Schneider ne savait pas comment présenter ce référendum. L’Irlande a réussi à bien préparer le sien concernant le mariage homosexuel. Ils ont entamé un débat public deux ou trois ans avant le référendum, donc loin de ce climat d’hystérie que nous avons connu ici. Ce n’était pas sérieux et, de toute façon, nous devrons rediscuter des inscriptions des non-Luxembourgeois aux élections communales pour les faciliter. On pourrait améliorer par de petites actions la situation au Luxembourg sans passer par un référendum. S’ils votaient comme les Luxembourgeois aux communales, il y aurait un autre rapport de force, une autre prise de conscience.
Quels conseils avez-vous donnés à Nathalie Oberweis et Myriam Cecchetti pour leur arrivée à la Chambre comme nouvelles députées déi Lénk ?
Nathalie travaille depuis neuf mois à la fraction, donc elle suit les travaux parlementaires. Myriam a de l’expérience politique, elle était membre d’un collège échevinal, membre des verts, elle connaît les rouages. C’est difficile de donner des conseils. Quand on est membre d’une petite fraction comme la nôtre, où on est à deux, il n’y a pas de solution miracle, car on ne peut pas tout faire. Chacun doit trouver sa façon d’aborder les sujets, d’aborder la surcharge de travail aussi, puisqu’on ne peut pas être pertinent dans tous les dossiers, mais qu’on doit en connaître beaucoup. Ce qui est une grande aide, c’est l’équipe qui nous encadre, qui est aussi la mémoire de la fraction.
Entretien avec Geneviève Montaigu