Les partenaires sociaux sont tombés d’accord sur un texte mettant le télétravail au goût du jour. S’il est très pratiqué, surtout actuellement, il ne respecte plus le cadre légal.
Pendant le confinement, 69 % des personnes actives (à l’exclusion des personnes étant en chômage partiel et celles étant en congé pour raisons familiales) sont passées au télétravail, généralement sans accord ni écrit formel et de ce fait en dehors du cadre juridique existant», relève le Conseil économique et social. Personne ne sait à l’heure actuelle si le recours au télétravail qui est encore très pratiqué est toujours lié à la crise sanitaire ou s’il s’est mis en place de façon naturelle et pérenne.
Ce que chacun sait, en revanche, c’est que le gouvernement s’est engagé dans son programme à promouvoir l’extension du télétravail et que le confinement a précipité les choses. Le Conseil économique et social a été chargé d’émettre un avis sur la question et «si les partenaires tombent d’accord, ce n’est pas aux politiques de s’en mêler», estime le ministre du Travail, Dan Kersch.
Justement, les partenaires sociaux se sont entendus de manière unanime autour de la question du télétravail que beaucoup de salariés et fonctionnaires ont essayé pendant le confinement et qu’ils ont fini par adopter. Le Conseil économique et social (CES) était chargé par le ministre du Travail de rédiger un avis sur cette nouvelle forme d’organisation de travail et s’il paraît évident pour le CES que les salariés continueront de le pratiquer, il prédit des difficultés pour le gouvernement.
Ce sera en effet au gouvernement de négocier avec ses voisins pour trouver un accord fiscal, sachant que le télétravail ne passera pas gratuitement pour les travailleurs frontaliers. L’ampleur des dégâts sur le budget de l’État dépendrait, selon le CES, «des conventions bilatérales convenues avec les pays voisins». Mais pas seulement. La diminution de la consommation dans les commerces locaux et dans la restauration qu’entraînerait un jour de télétravail par semaine aurait des répercussions sur l’économie en général (lire ci-après).
Pour le budget de l’État, cela signifierait la perte des recettes fiscales que les travailleurs frontaliers seraient tenus de verser dans leur pays de résidence selon les accords existants qui fixent une tolérance fiscale avec chacun de nos voisins.
Un à deux jours par semaine
«Si l’État luxembourgeois arrivait à négocier des seuils plus généreux pour éviter aux concernés des lourdeurs administratives, il faut prévoir que ces concessions de la part des États voisins ne seront pas gratuites non plus», écrit le CES.
Les accords bilatéraux actuels qui prévoient le télétravail illimité jusqu’à la fin de l’année a déjà fait réagir un sénateur socialiste français de la Meurthe-et-Moselle, Olivier Jacquin, qui dénonçait début septembre la perte fiscale pour la France qui avait renoncé à son droit d’imposer le télétravail.
La seule évocation de ce commentaire fait enrager le ministre du Travail, Dan Kersch : «On demande dans une situation de crise une compensation fiscale ! C’est vite oublier le sentiment de solidarité qui nous unissait quand nous avons soigné des patients français. Et maintenant que nous continuons à chercher des solutions qui arrangent tout le monde, on vient nous chercher des poux dans la tête», se plaint Dan Kersch.
Le télétravail aura ses limites, c’est sûr. Comme l’avait déjà annoncé le gouvernement, il pourrait représenter un jour par semaine, voire deux, ce qui impliquera forcément de trouver des nouveaux accords avec les pays voisins, car tous les salariés devront être traités de manière équitable, résidents et frontaliers. En temps normal, hors crise sanitaire et selon les statistiques de 2019, 90 % du télétravail se situe entre 0,5 et 2 jours par semaine. «Une convention ou législation révisée doit dès lors couvrir en priorité ces cas de figure les plus fréquents», estime le CES.
La matière est complexe. Le CES veut présenter «de manière objective les différents aspects du télétravail, ses nombreuses implications légales, fiscales, de sécurité sociale, économiques, sociétales, budgétaires ainsi que des pistes de réflexion et recommandations en vue d’adapter le cadre existant».
Le papier est maintenant sur la table du ministre Dan Kersch qui pourrait prendre une décision avant la fin de l’année. Si les partenaires ont réussi à tout régler, il n’aura pas à intervenir.
Geneviève Montaigu
Impacts chiffrés du télétravail
Le CES livre les chiffres des effets du télétravail actuel sur le secteur de la restauration, surtout en milieu urbain et au Centre. «Vu qu’il est fort probable que dans le futur proche les salariés vont recourir de façon plus nombreuse et régulière au télétravail, il importe d’ores et déjà de rendre attentif à l’impact économique potentiel de ce changement de paradigme», avertit le CES.
Sur la base des chiffres de l’emploi en 2019, l’emploi intérieur total de 460 000 personnes est composé de 258 100 résidents et de 201 900 frontaliers. En supposant que 45 % des résidents, soit 116 145 personnes, et 40,5 % des frontaliers, soit 81 769 personnes exercent une fonction administrative ne requérant pas forcément une présence continue, un maximum de 197 914 personnes seraient en mesure de télétravailler. En admettant de façon réaliste que ces personnes travaillent quelque 220 jours par an et recourent en moyenne une fois par semaine au télétravail, les déplacements physiques diminueraient de 8 708 216 allers-retours sur l’année (220/5 x 197 914). Cela correspondrait à quelque 40 000 allers-retours de moins par jour ouvrable avec des effets sensibles au niveau de la mobilité.
Des millions de perdus par an
Cette hypothèse aurait également un impact économique non négligeable pour la restauration et les commerces locaux. Ainsi, l’Horesca estime que la consommation journalière d’un salarié sur son lieu de travail correspond à environ 25 euros dans le secteur de l’Horeca et 15 euros dans les autres commerces, soit 40 euros par jour. L’Horesca conclut que le télétravail pourrait faire reculer le chiffre d’affaires du commerce local concerné d’environ 350 millions d’euros par année (8 708 216 x 40).
Selon l’Horesca, cette baisse de recettes se traduirait dans son seul secteur par une perte de plus de 2 000 emplois, de 17 millions d’euros en cotisations sociales, de 10 millions d’euros de TVA et près de 6 millions d’euros de retenue d’impôt sur salaires. Ces impacts estimés sont bien inférieurs à la réalité de l’année 2020 où le télétravail et les autres réticences et restrictions dues au Covid-19 ont engendré dans le secteur Horeca une baisse de plus de 50 % du chiffre d’affaires sur les mois de juin et juillet 2020.