Le président de la Copas, Marc Fischbach, estime que l’assurance dépendance ne nécessitait en aucun cas d’être réformée. Des amendements ponctuels auraient largement suffi, selon lui.
La Copas, qui représente les prestataires qui offrent des services d’aides et de soins aux personnes âgées, malades, souffrant de troubles mentaux ou en situation de handicap, que ce soit à domicile ou en institution, est notamment préoccupée par la baisse du degré de qualité de la prise en charge des personnes dépendantes.
La loi réformant l’assurance dépendance a été votée mercredi dernier, à la Chambre, par les seuls députés de la majorité parlementaire. Êtes-vous satisfait de ce texte, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018 ?
Marc Fischbach : Dire que la Copas est satisfaite serait aller trop loin. Cela étant, je dirais qu’on ne saurait parler d’une réforme, dans la mesure où nous ne voyons pas de plus-value par rapport au système actuel, que nous connaissons depuis une vingtaine d’années, à savoir depuis l’introduction de l’assurance dépendance au Luxembourg, en 1998.
Dans ce sens, je dirais que le résultat voulu par le législateur aurait pu être atteint par des modifications ponctuelles, bien que nous saluions un certain nombre de nouvelles dispositions.
Quelles sont donc ces dispositions en question, qui améliorent le système actuel, et que vous saluez ?
Nous saluons l’introduction de critères de qualité, ainsi qu’un contrôle de qualité, pour lequel nous sommes demandeurs depuis des années. En conclusion, nous sommes critiques à l’égard de la nouvelle loi, sans pour autant nous opposer formellement à elle.
Si des amendements ponctuels auraient, selon vous, suffi, le gouvernement n’a-t-il pas « perdu son temps », depuis le dépôt du projet de loi en 2016 par le ministre de la Sécurité sociale, Romain Schneider ?
Sans parler à proprement dit de « perte de temps », je dirais que l’on a pris beaucoup de temps pour accoucher d’une loi qui n’est pas une loi de réforme, mais qui est une loi, disons qui tient compte d’une certaine évolution et de certaines mises au point qui ont été faites tout au long des dernières années.
Ce qui signifie, concrètement ?
L’objectif de la loi était de garantir la viabilité financière de l’assurance dépendance. Or la plupart des mesures d’économies ont déjà été réalisées à travers le budget de la nouvelle génération, depuis fin 2014.
Au niveau financier, il n’y a donc pas de nouveaux mouvements. De manière générale, nous n’avons pas eu de concept clair et précis, pas eu une définition des orientations à prendre ni des changements de cap, pour modifier ou amender le système actuel de l’assurance dépendance. Concrètement, nous n’avons pas saisi l’idée profonde qui était derrière cette soi-disant nécessité de réforme, si ce n’est de faire des économies.
Justement, cet objectif a-t-il été atteint, selon vous ?
Difficile à dire ! Car entretemps, un certain nombre de mesures d’économies n’ont pas été reconduites, alors que d’autres l’ont été. Finalement, nous constatons que les prestations qui vont être offertes, à l’avenir, aux bénéficiaires, restent néanmoins en deçà des prestations qu’ils ont connues, jusque fin 2014.
C’est-à-dire ?
Quantitativement, nous constatons une régression des prestations. Donc, si je fais, par exemple, abstraction de l’approche forfaitaire, une approche qui devrait apporter davantage de flexibilité et de souplesse, mais aussi une simplification administrative, il n’y a pas d’éléments nouveaux. Et là encore, je dirais que l’objectif n’a pas été atteint.
Puisque l’approche forfaitaire n’a pas été pensée jusqu’au bout : elle a été introduite pour les « actes essentiels de la vie (hygiène corporelle, élimination, nutrition, habillement et mobilité) ». Elle n’a pas été introduite pour les activités d’appui à la dépendance, donc pour le soutien spécialisé. Nous regrettons évidemment le peu d’importance et d’attention que la nouvelle loi porte à la prévention. Or la prévention dans le secteur des aides et des soins est extrêmement importante.
Dans quel sens ?
Nous constatons que le soutien spécialisé ne s’applique qu’aux personnes dépendantes, qui ont besoin d’un entretien continuel de leurs capacités cognitives, motrices et psychiques, pour précisément exécuter leurs actes essentiels de la vie pour subvenir aux besoins élémentaires de la vie, sans recourir davantage aux services d’une tierce personne et non aux personnes qui ont perdu leur autonomie, et sont hautement dépendantes, dans une proportion qui va bien au-delà de la dépendance requise pour bénéficier de l’assurance dépendance. Pour le soutien spécialisé, les activités restent refusées et ne sont donc pas appliquées à ces personnes qui, pourtant, ont besoin d’un tel soutien, pour précisément éviter que leur dépendance ne s’aggrave davantage, de même que leur état de santé. C’est cela qu’on entend par la prévention au sens secondaire du terme. Or cela aurait pu être atteint par l’introduction d’un système de forfait systématique valable pour tous les bénéficiaires de l’assurance dépendance.
Vous le regrettez, donc ?
Évidemment, car on n’aurait pu voir l’opportunité de cette nouvelle loi comme une occasion unique de renforcer la prévention, investir davantage dans la prévention. Nous aurions également voulu qu’il soit tenu compte des besoins spécialisés lors de la détermination du seuil de dépendance, qui doit être atteint pour pouvoir bénéficier de l’assurance dépendance. Pour rappel, ce seuil est d’au moins 3,5 heures de soins par semaine. En deçà de ce seuil, l’assurance dépendance ne s’applique pas.
La simplification administrative est un argument phare avancé pour justifier le bien-fondé de la loi. Or cette simplification administrative ne s’applique pas aux prestataires, dans la mesure où ces derniers, malgré le système forfaitaire, seront obligés de documenter, à l’avenir, chaque acte individuel qu’ils prestent, et n’auront donc pas de décharge de leur travail, de par l’introduction du système forfaitaire.
Estimez-vous que le ministre de la Sécurité sociale a été suffisamment sensibilisé sur ces « manquements » ?
Oui. Nous avons eu de bonne discussions et des échanges de vues continuels avec le ministre et avec ses services. Nous avons d’ailleurs, à plusieurs reprises, avancé des propositions qui n’ont pas été retenues par le ministre ni reprises par la commission parlementaire compétente. Il faut dire également que nous saluons qu’un certain nombre de propositions ont bel et bien été retenues telles que l’augmentation des heures prévues pour le soutien spécialisé. Mais d’autres propositions n’ont pas été retenues; ce qui fait que notre appréciation de la loi n’est pas positive. Nous émettons donc des réserves et restons préoccupés au plus haut point quant à son entrée en vigueur.
Arrive-t-elle trop tôt, selon vous ?
Effectivement, nous aurions préféré qu’elle entre plus tard en vigueur, puisque l’expérience montre à suffisance que des modifications techniques, aussi importantes que celles qui seront nécessaires à travers l’introduction des forfaits, demandent une adaptation aux niveaux technique et informatique, qui prendront beaucoup de temps; d’ailleurs plus de temps, à notre avis, que les six mois qui sont dorénavant réservés à la préparation de la mise en œuvre de cette loi. Nous aurions préféré que cette loi entre en vigueur au 1er juillet 2018, pour éviter toutes les imperfections et les dérapages qui risqueront de se produire par une mise en vigueur trop rapide de la loi.
La loi n’aura, finalement, été votée que par la majorité parlementaire. De plus, les syndicats OGBL et LCGB n’étaient pas non plus favorables à ce texte; cela conforte-t-il la Copas ?
Oui, dans la mesure où les prestataires sont essentiellement préoccupés quant à l’impact de la loi sur la qualité de la prise en charge des personnes dépendantes.
Comment la Copas juge-t-elle la « transformation » de la Cellule d’évaluation et d’orientation (CEO, compétente pour l’évaluation et la détermination des aides et soins) en une administration à part entière ?
Nous prenons acte de cette décision plutôt logique, dans le sens où cette administration sera indépendante.
Quelle est la position de la Copas par rapport à l’introduction d’une réévaluation périodique ?
Sur ce point, la Copas est d’avis qu’il aurait fallu rester sur une réévaluation bisannuelle, puisqu’avec l’augmentation de l’espérance de vie, il est entendu que l’état de dépendance d’une personne peut se détériorer très rapidement. Nous estimons qu’il est bon de donner l’opportunité de reformuler une demande en évaluation tous les six mois, au lieu de devoir attendre un an, avant de pouvoir introduire une telle demande. Nous sommes formels sur ce point, le délai nous paraît trop long.
Et quelle est votre ligne au sujet du statut de l’aidant informel ?
L’administration devra, à l’avenir, bien cibler les aidants capables, qui pourront intervenir, parallèlement aux réseaux. Je pense que le statut de l’aidant informel, tel qu’il est proposé dans la loi, permet d’éviter toutes sortes d’abus.
En guise de conclusion, restez-vous sur votre faim par rapport à cette nouvelle loi ?
Nous restons sur notre faim, mais nous respectons évidemment la décision du législateur. Il faudra qu’elle soit appliquée au mieux. Il faudra rester suffisamment vigilant pour avertir à temps les autorités compétentes de tout dérapage possible. Notre souci principal se situe au niveau de la qualité de la prise en charge. Aussi nous importe-t-il de tirer un 1er bilan et de réévaluer l’application de cette loi dans les meilleurs délais.
Comment qualifieriez-vous, finalement, cette nouvelle loi ?
Sans vouloir dire que c’est une mauvaise loi, je dirais que ce n’est pas une bonne réforme. Nous ne saurions tirer un bilan définitif avant l’entrée en vigueur et l’application de la loi. Mais je dirais que nous sommes quand même inquiets, soucieux et préoccupés.
En clair, la Copas estime que la nouvelle loi n’apporte pas de plus-value par rapport au système actuel, les prestations restant en deçà des prestations que nous avons connues, jusque fin 2014.
Pour la Copas, la qualité de la prise en charge n’est pas négociable. Si jamais nous observons une régression de la qualité, nous devrons tirer la sonnette d’alarme pour rectifier le tir. Enfin, pour ce qui est des objectifs de la loi, c’est-à-dire la viabilité financière à long terme, nous ne saurions nous prononcer; d’ailleurs je suis d’avis que personne ne pourrait se prononcer sur ce point, à l’heure actuelle. Et concernant la flexibilité et la simplification administrative, ce sont des arguments qui ne sont pas valables pour les prestataires de l’assurance dépendance, mais uniquement pour l’administration.
Entretien avec Claude Damiani