Mercredi, c’était au tour des parties civiles de rentrer dans l’arène. Les trois avocats n’ont pas été tendres avec les prévenus suspectés du détournement de la majorité du capital d’une société immobilière de deux loges maçonniques.
Le linge sale se lave en famille. Pourtant, pour récupérer un patrimoine dont l’origine est contestée alors que personne n’est en mesure de l’attester formellement, les traditionnellement plutôt discrètes loges maçonniques n’ont pas hésité à rendre l’affaire publique. Un de leurs anciens frères et ses deux fils auraient mis la main sur des titres au porteur dont les deux camps clament la propriété.
En ce cinquième et avant-dernier jour de procès, les prévenus ont encaissé les coups assénés par les parties civiles qui n’ont cessé de rappeler le pedigree de leurs frères maçons et ont balayé avec ironie les accusations à peine voilées de «complot». «C’est ridicule !» Les prévenus se voient comme des David face à un Goliath disposant d’un puissant réseau. En matière d’analogies, les parties civiles ne sont pas en reste non plus puisqu’un de leurs avocats et membre de la loge a comparé Jean à Judas. Il aurait profité de la confiance de ses frères pour les abuser. Il est également accusé par Me Lutgen d’avoir volé les archives de la grande loge et de s’en servir contre ses frères lors de ce procès.
Les parties civiles ont crié au «hold-up». Jean et ses fils se seraient approprié le patrimoine de la Sacec, société créée en faveur de la construction d’un crématoire au début du siècle dernier. Pour Luc, l’aîné des deux fils de Jean, les loges tenteraient à tout prix de récupérer les actions parce qu’elles seraient en manque d’argent. Un document signé en 2005 par Jean pourrait cependant faire office de juge de paix s’il n’était pas contesté par les prévenus. Il stipule que les deux loges maçonniques (la grande loge et le Suprême conseil du rite écossais ancien et accepté pour le Grand-Duché de Luxembourg) seraient les bénéficiaires des actions de la Sacec, si la fondation qui en bénéficiait venait à être dissoute. Pour les deux frères, il s’agirait d’un faux. Leur père aurait signé un document vierge qui aurait été rempli à l’avantage des loges par la suite sans son accord.
Luc et Tom coauteurs ?
«Ce que Tom nous a raconté hier était marrant. C’était une belle histoire», a affirmé Me Lutgen. Le quarantenaire avait, à l’aide de documents rassemblés dans une présentation de 130 pages, donné la vérité de sa famille quant à l’origine des actions et évoqué les causes humanitaires qui auraient poussé son père, son grand-père et le père de ce dernier à s’engager en faveur de la Sacec et de faire prospérer la société pour prouver que les actions revenaient à leur famille. Les parties civiles s’interrogent : pourquoi aucun témoin – sauf un – ne corrobore leur version et pourquoi Jean aurait-il régulièrement informé le grand maître de la loge si les actions appartenaient à sa famille ? Elles vont même plus loin en avançant une théorie en laquelle elles disent ne pas croire : si les actions appartenaient bien à Jean, dans ce cas, il aurait fait «rouler» gratuitement des frères pour faire fructifier sa fortune et «la cacher au Liechtenstein». Ce qui ferait de Jean «une superbe crapule».
Une longueur dont l’avocat serait lui-même à blâmer, selon l’avocate de la défense, Me Hoffeld. Il se serait «acharné» à faire condamner les prévenus au pénal malgré un premier non-lieu du parquet et du juge d’instruction confirmé par la chambre du conseil. Celui qui a condamné les «tours de passe-passe» de Jean, aurait lui-même rusé pour arriver à ses fins. Elle a invoqué le dépassement du délai raisonnable et l’irrecevabilité des poursuites. Selon elle, plus le temps passe, plus les souvenirs des témoins sont flous et certains, âgés, risqueraient de décéder si l’affaire venait à se prolonger en appel, par exemple.
L’avocate dénonce également une procédure inhabituelle qui n’aurait pas permis à la défense de se préparer correctement. Elle aurait eu trois semaines entre l’inculpation des prévenus et la clôture du dossier d’instruction. Elle invoque un article de la Convention internationale des droits de l’homme sur les droits de la défense avant d’être interrompue par le temps. Suite et fin du procès vendredi.
Sophie Kieffer