Les dirigeants indépendantistes de Catalogne étaient discrets sur leurs intentions alors que débute une semaine décisive avec l’adoption attendue des mesures drastiques du gouvernement espagnol pour reprendre le contrôle de la région qui menace de faire sécession.
« Nous devrons prendre les décisions avec un maximum d’unité », a déclaré plusieurs fois dimanche Jordi Turull, porte-parole du gouvernement séparatiste catalan après avoir dénoncé « un coup d’État contre les institutions de Catalogne ». Il a affirmé que « tous les scénarios » pour y répondre étaient envisagés.
Les chefs de groupe au Parlement catalan devraient se réunir lundi matin pour convoquer à nouveau les députés en session plénière, une séance qui offrirait une nouvelle opportunité aux séparatistes de déclarer unilatéralement l’indépendance.
Samedi, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a annoncé qu’il allait demander au Sénat la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution pour l’autoriser à prendre le contrôle de l’exécutif catalan, de la police régionale et mettre sous tutelle le Parlement catalan, avec en ligne de mire l’organisation d’élections régionales début 2018.
Le Sénat devrait voter ces mesures en séance plénière vendredi. La décision de Mariano Rajoy intervient au moment où les indépendantistes menacent de déclarer unilatéralement l’indépendance de la Catalogne, région où vivent 16% des Espagnols. C’est pour l’Espagne sa plus grave crise politique depuis qu’elle a renoué avec la démocratie en 1977.
Les indépendantistes se fondent sur les résultats d’un référendum d’autodétermination interdit organisé le 1er octobre, qu’ils disent avoir emporté avec 90% des voix et un taux de participation de 43%.
‘Restaurer’ la démocratie
Le président indépendantiste de la Catalogne Carles Puigdemont a réagi samedi soir aux annonces de Madrid en dénonçant une atteinte à l’État de droit, qualifiée de « plus forte attaque » contre sa région depuis la dictature franquiste. Il a demandé que les parlementaires catalans se réunissent pour décider de la réponse à apporter à ces mesures.
Jeudi, il avait menacé de convoquer le parlement régional pour proclamer l’indépendance si le gouvernement espagnol déclenchait l’article 155.
Samedi soir pourtant, Carles Puigdemont n’a pas prononcé le mot « indépendance » dans son allocution. Son porte-parole a cependant déclaré qu’il faudrait « arriver au bout du mandat du 1er octobre », découlant du référendum.
Dans les faits, les mesures proposées par Mariano Rajoy, qui dispose au Sénat d’une confortable majorité pour les faire approuver, déboucheront sur une suspension de facto de l’autonomie de la Catalogne, une région qui tient énormément à sa culture, sa langue et son autonomie reconquise après la mort de Francisco Franco.
Les conservateurs espagnols soulignent que ces mesures doivent « restaurer » la démocratie en Catalogne, où la population est divisée sur l’indépendance, presque à parts égales, et organiser des élections dans un délai de six mois. Mais les doutes sont grands sur l’efficacité et les conséquences de ces mesures.
El Pais, premier quotidien espagnol, qui soutient le gouvernement sur ce point, admettait dimanche qu’elles pourraient « entraîner des complications en termes d’ordre public », alors que 40 à 50% des Catalans se disent indépendantistes selon les sondages.
Le gouvernement « aura des difficultés à gouverner » la Catalogne, déclare aussi à l’AFP le politologue José Fernandez-Albertos, qui note que ces mesures unissent indépendantistes et non-indépendantistes autour de la défense des libertés publiques.
« J’espère que tout le monde ignorera les instructions » de l’exécutif séparatiste catalan, a déclaré à la BBC le ministre espagnol des Affaires étrangères Alfonso Dastis, en citant aussi l’hypothèse de policiers catalans qui n’appliqueraient pas la loi et seraient alors considérés comme « un groupe de rebelles ».
Vénétie et Lombardie à leur tour
Certains juristes émettent des doutes sur la constitutionnalité des mesures proposées par M. Rajoy, comme Xavier Arbos, professeur de droit constitutionnel à l’université de Barcelone, qui estime notamment que la mise sous tutelle du parlement est un empiètement du pouvoir exécutif sur le législatif.
À Barcelone, Ruben Wagensberg, du collectif Debout pour la paix, créé pour épauler des actions de résistance pacifique, a prévenu qu’une réaction était à attendre. « Si la garde civile entre dans les institutions catalanes (…) il y aura une résistance très dure, pacifique », comme lorsque des milliers d’électeurs se sont massés devant les bureaux de vote le 1er octobre pour les protéger, entraînant de violentes actions de la police pour les déloger.
Une situation d’autant plus dure qu’elle risque de provoquer une fuite des investissements et des entreprises de Catalogne, où 1.200 sociétés ont déjà transféré leur siège social ailleurs. D’où les craintes de La Vanguardia, principal quotidien catalan, qui a imploré dimanche Carles Puigdemont de prendre les devants en annonçant cette semaine des élections régionales qui éviteraient l’application de l’article 155. Mais pour l’instant, selon son porte-parole, il ne l’envisage pas.
Bien que les enjeux restent sans commune mesure, deux riches régions italiennes, la Vénétie et la Lombardie, ont organisé dimanche un référendum visant à réclamer davantage d’autonomie. Les électeurs ont voté oui à une écrasante majorité, avec une participation suffisamment importante pour leur donner un pouvoir de négociation face à Rome. Ce scrutin était purement consultatif et prévu par la Constitution italienne, et ses organisateurs ont répété dimanche soir que leur démarche restait pleinement dans le cadre de l’unité italienne.
Le Quotidien / AFP