Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, 31 ans, était jusqu’à il y a quelques mois encore un «dragueur», un «frimeur» adepte de la gonflette, violent avec sa femme et non religieux avant de se radicaliser très vite.
Le basculement de l’auteur du massacre du 14 juillet sur la Promenade des Anglais, né le 31 janvier 1985 à Msaken dans la banlieue de Sousse (est de la Tunisie), est à ce stade de l’enquête difficile à dater précisément. Samedi, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a simplement noté, sur la base de témoignages de personnes placées en garde à vue, qu’il s’était apparemment «radicalisé très rapidement». Parmi les centaines de personnes interrogées depuis jeudi soir par les enquêteurs, plusieurs ont toutefois évoqué la religiosité du jeune homme, a confié dimanche une source proche du dossier.
Arrivé en France depuis la Tunisie en 2005, il avait régularisé sa situation l’année suivante, et avait épousé une Niçoise franco-tunisienne, avec qui il avait eu trois enfants. Le couple, en instance de divorce, était toujours habillé à l’occidentale, selon tous les témoignages recueillis. Son père, interrogé en Tunisie, avait perdu depuis longtemps le contact avec ce fils parti en France. Mais lui aussi se rappelle d’un jeune homme qui n’avait «aucun lien avec la religion»: «Il ne faisait pas la prière, il ne jeûnait pas, il buvait de l’alcool, il se droguait même».
«Je ne bois pas»
Dans la petite salle de sport qu’il fréquentait à Nice jusqu’à il y a deux ans environ, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a laissé le souvenir d’un «frimeur», un «dragueur» un peu «lourd», rapporte un témoin. Là, le jeune homme avait même pris des cours de salsa, et «venait faire du sport pour faire le beau (…), dessinait son corps pour plaire». Même type d’échos dans la petite cité périphérique du Nord de Nice où il vivait avec son épouse avant leur séparation. Il ne fréquentait pas la mosquée locale, buvait alors des bières, selon les dires de plusieurs membres de «l’Association cultuelle de Nice Nord».
«Il n’est pas soumis à Dieu, je ne l’ai jamais vu à la mosquée», affirme un gardien d’immeuble du quartier «La Planas», une affirmation corroborée par plusieurs musulmans pratiquants fréquentant la salle de prière locale. Suite à une altercation violente avec son épouse, cette dernière avait demandé le divorce et Lahouaiej-Bouhlel avait déménagé seul dans un appartement situé dans un quartier populaire de l’est de Nice, il y a au moins 18 mois.
Là, dans le petit immeuble où il résidait, une des rares voisines avec qui il avait noué des contacts a assuré qu’il avait essayé de lui «louer» une boîte aux lettres. Elle évoque surtout un épisode survenu pendant le récent Euro de football au cours duquel Mohamed Lahouaiej-Bouhlelt lui a assuré qu’il ne buvait pas d’alcool: «J’ai rigolé, je lui ai dit +quoi, tu ne bois pas, tu fais le carême?+, il m’a dit : +non, mais je ne bois pas+».
«Il faisait des crises»
Vendredi, le procureur de la République de Paris avait évoqué un jeune homme «totalement inconnu des services de renseignement» et qui n’était pas signalé pour une quelconque radicalisation. Le chauffeur-livreur était en revanche connu de la justice pour des faits de menaces, violences, vols et dégradations commis entre 2010 et 2016. Le 24 mars, il avait été condamné à Nice à six mois de prison avec sursis pour des violences volontaires avec arme -une «palette»- commises en janvier, lors d’une altercation liée à un accident de la circulation.
Son père, Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel, décrit un jeune homme ayant eu entre 2002 et 2004 «des problèmes qui ont provoqué une dépression nerveuse. Il devenait colérique, il criait, il cassait tout ce qui trouvait devant lui». Un habitant de son ancienne barre d’immeuble «Le Bretagne» où le tueur vivait avec son épouse, se souvient lui aussi d’un homme ayant des problèmes relevant de la «psychiatrie»: «Il faisait des crises. Quand il s’est séparé de sa femme, il a déféqué partout, trucidé le nounours de sa fille à coups de poignard et lacéré les matelas».
Jeudi soir, John Lambert, un Sud-Africain dont le témoignage a été recueilli par la chaîne sud-africaine Enca, l’a vu au volant du camion de 19 tonnes qu’il conduisait sur la Promenade des Anglais. «On pouvait s’attendre à ce qu’il soit en train de crier, de hurler… Mais il était très calme, très concentré. C’est presque comme s’il jouait à un jeu vidéo. Il était juste concentré sur sa tâche: essayer d’écraser le plus de monde possible».
Le Quotidien/AFP