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Étudiants disparus au Mexique : « Une torture généralisée et systématique »

Claudia Medina et Luis Tapia dans les locaux d'Amnesty International à Luxembourg, mardi. Une des explications à la descente aux enfers du Mexique est la place accordée à l'armée dans la «guerre à la drogue». (photo François Aussems)

Claudia Medina, victime de la torture, et Luis Tapia, un des avocats des familles des 43 étudiants d’Iguala disparus il y a un an, étaient de passage à Luxembourg lundi et mardi pour livrer leur témoignage. Impunité, torture systématique et généralisée, justice inopérante… Le tableau qu’ils dressent de la situation des droits de l’homme dans leur pays est pour le moins alarmant.

« On m’a fait asseoir sur une chaise métallique, les mains attachées dans le dos, avec un torchon sur la bouche dans une pièce au sol humide. On m’a branché des câbles électriques sur les orteils et jeté un seau d’eau. On m’a introduit de la sauce piquante dans les narines. Une musique a commencé à se faire entendre. Plus le volume de la musique augmentait, plus l’intensité des décharges électriques augmentait. »

Le 7 août 2012, à 2 h, Claudia Medina est arrêtée à son domicile de Veracruz (est, sur la côte du golfe du Mexique) par des hommes de la marine militaire, « des hommes en civil et des hommes habillés de noir ». Elle est conduite à la base navale de Veracruz où elle subira de nombreux sévices ainsi que des attouchements sexuels. Le lendemain, Claudia est transférée au bureau du procureur général de la République, où elle est accusée d’appartenir à une bande criminelle organisée, accusation qu’elle nie. Encadrée par ses tortionnaires, elle est contrainte de signer une déclaration d’aveux qu’elle n’est pas autorisée à lire. Dans la camionnette la menant au ministère public, « (ses) tortionnaires (l’ont) menacée de recommencer et de s’en prendre à (ses) enfants si (elle) n’avouai(t) pas ». Au ministère public, elle est exposée à la vindicte des médias. On la fait poser pour la photo avec à ses pieds des armes, de l’argent et de la drogue.

«Des réparations et des excuses publiques»

À son arrivée à la prison pour femmes de Cieneguillas dans l’État du Zacatecas (centre) où Claudia est transférée, un juge l’informe que neuf chefs d’accusation pèsent sur elle : « Cinq pour appartenance au crime organisé, un pour port d’arme illégal, un pour détention illégale de munitions, un pour détention de grenades et un pour possession de drogue .» Claudia informe le juge des sévices qu’elle a subis, sans mentionner les sévices sexuels, « par honte ». Après 23 jours de prison, elle est libérée sous caution, les cinq chefs d’accusation d’appartenance au crime organisé sont levés.

À sa sortie, elle tente alors de prouver son innocence. En appel, trois des quatre chefs d’accusation restants sont levés, à l’exception du port d’arme illégal. Claudia continue alors de se battre. Elle trouve de l’aide auprès du centre des droits humains Miguel Agustin Pro Juarez. Une campagne nationale est lancée en 2013, relayée ensuite par Amnesty International à travers la campagne «Stop torture», campagne qui met en lumière le sort similaire réservé à une vingtaine de femmes à travers tout le pays. Cette mobilisation nationale puis internationale va porter ses fruits : en février 2015, toutes les charges pesant sur elle sont abandonnées.

Aujourd’hui, elle continue de lutter pour que la plainte qu’elle a déposée en 2012 contre ses tortionnaires ne reste pas lettre morte comme c’est le cas actuellement. Elle exige deux choses : « Des réparations et des excuses publiques. » Si elle témoigne désormais à travers le monde, « c’est pour montrer que les droits de l’homme sont violés au Mexique. Les autorités mexicaines clament que la torture n’a pas cours dans le pays, qu’il n’y a pas d’exécutions extrajudiciaires et qu’il n’y a pas de disparitions forcées. Or l’exemple des 43 étudiants démontre le contraire. »

«Il n’y a pas de preuves qu’ils soient morts»

Cette affaire a fait le tour du monde. Selon la version officielle, les élèves-enseignants de l’école d’Ayotzinapa ont été attaqués par la police locale dans la nuit du 26 au 27 septembre 2014 alors qu’ils se rendaient à Iguala (sud) pour s’emparer d’autobus et collecter de l’argent avant une manifestation dans la capitale. Les policiers les auraient ensuite livrés au gang des Guerreros Unidos qui les aurait confondus avec un cartel rival puis les aurait tués et incinérés dans une décharge à Cocula, à 240 km de Mexico.

Luis Tapia, un des avocats des familles des victimes, conteste la version officielle. « Le groupe interdisciplinaire d’experts indépendants de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), sur la base d’une expertise, a déclaré que la version selon laquelle les étudiants ont été incinérés n’a aucune base scientifique. » Selon lui, l’enquête a été bâclée. Et la volonté de transparence affichée par les autorités – qui ont mis en ligne dimanche le volumineux dossier d’enquête – est un leurre : « Quatre-vingt-cinq tomes du dossier ont été mis en ligne, alors qu’il y en a actuellement 130. De nombreux passages contenant des informations importantes ont été raturés d’un trait noir. (…) Une bonne partie de la version officielle se base sur des témoignages. Or les parties contenant les examens médicaux des témoins ont été effacées, alors que ces témoins ont déclaré avoir été torturés. »

Pour Luis Tapia, « les familles et les proches des étudiants n’ont pas de version. Ils veulent tout simplement savoir ce qu’il s’est passé. Et le plus important, c’est de les retrouver vivants. Nous ne savons pas s’ils sont encore vivants, mais ce n’est ni éthique ni sérieux d’affirmer qu’ils sont morts parce qu’il n’y a pas de preuves. »

Nicolas Klein

L’armée toute-puissante

Pourquoi arrêter une mère de famille chez elle et la forcer à avouer une appartenance à une bande criminelle? « Je me pose toujours la question , déclare Claudia Medina. Trois ans plus tard, je n’ai toujours pas d’explication logique. » L’une des pistes est la «guerre à la drogue», lancée en 2006 par le président Felipe Calderon (2006-2012) et qui se poursuit aujourd’hui sous la présidence d’Enrique Pena Nieto. Ce qui caractérise cette politique, c’est la part accordée à l’armée dans la lutte contre le narcotrafic. « Aujourd’hui, il y a 40 000 militaires dans les rues », affirme Luis Tapia.

Pas de contrôle civil sur les militaires

Et il s’agit de montrer des résultats, selon Claudia Medina. « Les nombreuses arrestations permettent de produire des chiffres qui prouvent que les autorités agissent. » « Il y a une pratique de la torture systématique et généralisée, parce que si l’on trorture on obtient une « autoinculpation »et les juges prennent en considération ces preuves-là», poursuit Luis Tapia. Ce contexte a permis la disparition des étudiants, qui témoigne de la crise généralisée des droits de l’homme et de l’impunité qui règne au Mexique.

« Cette affaire n’est qu’un échantillon de ce qui se passe à l’échelle du pays. La décision de mener la guerre dans la rue n’a fait qu’amplifier les exécutions, les disparitions et la torture. En 2014, le Mexique occupait la 3e place mondiale pour le nombre de morts dans des conflits armés, derrière la Syrie et l’Irak. » La présence de l’armée dans les rues est « la cause structurelle » de ce phénomène. Et pour Luis Tapia, les militaires ont pris l’ascendant sur les autorités civiles. Par exemple, « ils ont refusé de témoigner dans l’affaire des étudiants, alors qu’au moment de leur disparition, ils étaient dans la zone, ils étaient déployés à Iguala. Ce qui est inquiétant aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de contrôle civil sur les forces militaires. »

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