Ils y vont avec détermination, certains la boule au ventre, tous avec courage. Face à la déferlante de patients infectés en France, le personnel soignant s’accroche pour ne pas sombrer, avec l’aide de psychologues si besoin.
« Il faudra qu’on survive à tout ça », confie un réanimateur parisien. « Les équipes ont peur de l’incertitude à laquelle nous allons faire face cette semaine et tout le mois d’avril » constate le Pr Elie Azoulay, dont le service de réanimation à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, a déjà triplé sa capacité d’accueil avec 50 lits (déjà pleins) pour accueillir des victimes du coronavirus – « On ouvre et ça se remplit ».
« Ils ont peur pour eux et leurs proches et les gens qu’ils aiment, peur de pas y arriver, d’être submergés. Mais ils sont stoïques aussi; je les trouve dignes et franchement, ils forcent le respect. Les infirmières m’en mettent plein la vue » enchaîne-t-il.
« Ce matin, en me réveillant, je pleure. En déjeunant, je pleure. En me préparant, je pleure (…) Là, dans les vestiaires de l’hôpital, je sèche mes larmes. J’inspire. J’expire. Les gens dans les lits pleurent aussi et c’est à moi qu’il incombe de sécher leurs larmes ». Ainsi témoigne Élise sur Facebook, infirmière du CHU de Besançon, prise dans un dédoublement d’elle-même entre le soignant qui réconforte et l’individu qui craque, rentrée chez elle.
« On parle de vague, de tsunami, par définition ça laisse entendre qu’on va être submergés, que les urgences vont nous appeler et l’angoisse, c’est de devoir dire face à trois malades sur des brancards: on n’a plus de lits », rapporte le Dr Benjamin Davido, directeur médical de crise de l’hôpital Raymond-Poincaré à Garches, qui dispose de 26 lits en réanimation. Dans les équipes, surgit aussi, dit-il « la crainte de retrouver des soignants dans les lits, on en a discuté. On va se retrouver à soigner dans un cercle relativement proche, ce qui n’est souhaitable au plan éthique. Tout le monde le réalise et commence à le verbaliser ».
« On n’a pas été préparé à ça »
Le psy de l’établissement autrefois dédié aux patients s’occupe maintenant surtout du personnel. Au CHU de Clermont-Ferrand, la psychiatre Julie Geneste a organisé la plateforme d’accompagnement psychologique bien avant l’arrivée de la « vague ». Outre la peur de « ne pas y arriver », les premiers appels traduisent déjà « l’insécurité, la difficulté à gérer l’angoisse des proches, la crainte de contaminer l’entourage… ». Cette insécurité touche tout le monde, insiste-t-elle : « Personne ne peut prétendre être à l’abri. C’est quelque chose de nouveau, que notre génération n’a pas connu avec une telle ampleur ».
« On n’a pas été préparé à ça », confirme Étienne (prénom changé à sa demande), jeune médecin hospitalier en région parisienne, dont un patient a été refusé en réanimation. « On a tous peur de ce qu’on voit arriver, on n’est pas bien équipés, on est tous angoissés… Je vois des états de stupeur chez certains collègues, des arrêts de travail motivés par la peur des familles ».
« Double pression du service et des proches »
Nicolas Dupuis, psychologue pour la plateforme Pro-consult de soutien aux personnels soignants, voit le nombre d’appels monter de la France entière, « surtout des petits établissements et des Ehpad » précise-t-il : « beaucoup de jeunes qui ne savent pas comment se comporter ». « La pression des familles » déclenche souvent l’appel, confirme-t-il, cette « double pression du service et des proches », y compris au sein des couples : chez une infirmière, c’est le conjoint qui la presse de se déshabiller à peine arrivée et « la reprend tout le week-end quand elle se touche le visage – alors qu’elle est chez elle les mains propres ».
Chez d’autres, ce sont les parents, ou les enfants : « Ma fille de 7 ans m’a dit : maman si tu es malade ne rentre pas à la maison », lui a confié une aide-soignante. La plateforme est passée d’une moyenne de 1 100 appels par mois à plus de 200 par jour la semaine dernière.
Fanny Weytens, psychologue à l’origine du programme d’écoute « PsyForMed » prévoit aussi un soutien à long terme : « Ce que nous craignons le plus : des décompensations post-crise, du stress post-traumatique et une recrudescence massive du nombre de burnouts » énumère-t-elle. « Je réfléchis : combien de temps je vais pouvoir tenir à ce rythme ? », craint Élise.
LQ/AFP