Les groupes jihadistes du Sahel affiliés à l’Etat islamique (EI) et à Al-Qaïda s’affrontent depuis début 2020 dans des combats meurtriers au Mali et au Burkina Faso, après des années de coopération plus ou moins franche, indiquent des experts et des sources locales.
Rivaux historiques sur d’autres fronts comme la Syrie, la nébuleuse créée par Oussama ben Laden et le groupe Etat islamique unissaient plutôt leurs forces dans cette partie du Sahel où des milliers de personnes ont été tuées et des centaines de milliers déplacées depuis l’éclatement d’une crise multiforme dans le nord du Mali en 2012.
Des centaines de soldats des Etats de la région sont morts ces derniers mois dans des attaques attribuées aux jihadistes.
Depuis le début de l’année, les accrochages sporadiques entre les mouvances de l’EI et d’al-Qaïda se sont mués en affrontements qui ont fait des dizaines de morts dans le centre du Mali et l’ouest du Burkina.
Il est difficile d’obtenir des informations fiables sur cette lutte aux causes floues, livrée dans des zones où aux agissements jihadistes se mêlent des violences intercommunautaires, du brigandage et, selon un rapport récent de l’ONU, les exactions de plus en plus nombreuses des armées nationales.
Mais ces affrontements « ne sont plus un secret », a dit fin avril le représentant du secrétaire général de l’ONU au Mali, Mahamat Saleh Annadif.
« Il y a des querelles de terrain, on ne sait pas où ça va s’arrêter, chacun veut prendre le dessus sur l’autre », a-t-il dit.
Les groupes liés à Al-Qaïda, regroupés depuis 2017 sous la bannière du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), sont établis dans le nord du Mali depuis 2012 et dans le centre depuis 2015.
Quant au groupe affilié à l’Etat islamique, né en 2015 d’une scission menée par Adnan Abou Walid Sahraoui, il opère principalement dans la zone dite des « trois frontières », entre Niger, Burkina Faso et Mali.
Sans collaborer officiellement, ces groupes avaient « plusieurs fois allié leurs forces », menant des attaques en commun ou employant les mêmes combattants qui passent d’un groupe à l’autre, dit un diplomate occidental à Bamako.
Dynamiques locales
Bien qu’il existe des différences idéologiques, les raisons d’intégrer un groupe ou l’autre sont « souvent très locales » et se rejoignent, dit le diplomate: appartenir à une minorité peu intégrée, avoir des griefs contre l’Etat ou être sans emploi.
« Il ne faut pas voir ces conflits (récents) seulement sous le prisme idéologique, il y aussi et surtout des dynamiques très locales », abonde Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Bamako.
Les premiers mois de l’année, qui correspondent à la période sèche, sont propices par exemple aux querelles autour du bourgou, un fourrage qui pousse dans les marécages du delta intérieur du fleuve Niger.
« Les jihadistes, comme tout un chacun dans cette zone, combattent aussi pour les +bourgoutières+ et leur bétail », explique un expert de la sécurité à Mopti, principale ville du centre du Mali.
Début 2020, les combattants de l’EI sont arrivés dans le centre du Mali « majoritairement depuis le Burkina Faso » par la région frontalière du Gourma où des affrontements ont été signalés, assure un notable local, confirmant les propos de plusieurs interlocuteurs.
Dans la zone de Dialloubé, où opère historiquement la katiba du Macina, l’une des branches du GSIM, les combattants de l’EI sont passés en janvier et février « de village en village pour propager leurs messages », dit-il.
« Plus de 60 jihadistes ont été tués » mi-mars dans les environs de Dialloubé, rapporte une source proche du gouvernorat de Mopti.
Au Burkina Faso, la propagande de l’EI a affirmé que ses combattants avaient tué « plus de 35 » membres du GSIM fin avril dans un combat près de la frontière malienne. Elle a aussi fait état de l’utilisation d’une voiture piégée par un « martyr » de l’EI contre une base du GSIM dans la même zone.
Les informations en provenance de ces zones sont sujettes à caution car « souvent contradictoires ou exagérées », met en garde Ibrahim Maïga, le chercheur de l’ISS.
Au contraire des attaques de camps militaires, objets de vidéos de plus en plus sophistiquées, aucune image des affrontements n’a été publiée par les belligérants.
AFP