En quelques jours, Géraldine Castelain a mobilisé donateurs et bénévoles pour une mission d’urgence à la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie. Rencontre au moment du départ.
Au milieu des hangars du site Technoport de Mondercange, ils sont six hommes et femmes, dans le froid mordant de ce lundi de mars, à vérifier leurs paquetages avant le grand départ. Au sein de cette mission humanitaire qui prend la route vers le camp de réfugiés de Siret en Roumanie, à la frontière avec l’Ukraine, tous connaissent la destination de ce voyage.
Pour chacun, elle représente un immense saut dans l’inconnu. «C’est la première fois que je fais ça», explique Manon, 45 ans. «Depuis le début du conflit, je voulais m’investir activement plutôt que de réaliser un don puis reprendre ma vie normalement. Quand cette opportunité de pouvoir aider s’est présentée, je n’ai pas hésité», poursuit cette habitante de Belvaux.
Même discours de la part de Filipe, qui a pris sa décision il y a quatre jours. Ce père de famille de 43 ans part en laissant sa compagne et ses enfants dans un fouillis d’émotions où se mêlent fierté et inquiétude. «Nous allons quelque part où c’est dangereux. Si en théorie tout devrait bien se passer, on ne sait jamais ce qui pourrait arriver.»
Cet engagement est incroyable et son ampleur est fascinante
Ce choix, ils sont nombreux à l’avoir fait à travers l’Europe et au Grand-Duché. Un couple de Mersch parti récupérer leurs proches ukrainiens en Slovaquie, l’expédition de 48 heures d’une fille et son père pour aller chercher une famille ukrainienne à la frontière slovaque ou encore les périples des chauffeurs de Sales-Lentz afin de ramener des réfugiés…
Depuis le début de la guerre en Urkaine, l’élan solidaire déferle en direction du pays. «C’est très impressionnant et très touchant! Cet engagement est incroyable et son ampleur est fascinante», confit Géraldine Castelain, coordinatrice de cette mission humanitaire d’urgence.
Qui veut se joindre à moi ?
Géraldine est à l’origine de ce convoi en partance pour la Roumanie. Aujourd’hui sans emploi, cette femme de 52 ans a pendant des années coordonné des missions de ce genre.
«Quand la situation a commencé à se compliquer là-bas, je me suis dit que j’avais le temps, les contacts et la possibilité de faire quelque chose pour aider. Je ne voulais pas rester simplement devant ma télé», résume-t-elle. C’est depuis un autre écran qu’elle lance sa proposition en postant sur Facebook un message pour chercher des compagnons d’aventure :
«Envie d’organiser un convoi humanitaire en partance de Luxembourg vers la frontière hongroise ou polonaise à destination des réfugiés ukrainiens. Est-ce que certains d’entre vous veulent se joindre à moi ?» Finalement, ça sera la Roumanie.
Après la publication de ces quelques lignes, le temps va s’accélérer. Rapidement et grâce à la magie des réseaux sociaux, sa bouteille à la mer fait son bout de chemin et les réponses lui reviennent. Manon, Romain, Filipe, Shane, Nadine et bien sûr Géraldine formeront l’équipe. Reste à organiser le voyage, récolter et empaqueter les dons.
«Tout s’est passé en une semaine, c’est un truc de dingue !», s’étonne-t-elle ce matin de départ. Durant ce laps de temps, avec une réactivité incroyable, les parents et l’administration de l’École européenne de Mamer ont amassé en deux jours près de 20 m3 de matériel d’urgence et près de 4 000 euros. Une somme qui a permis l’équipe de Géraldine d’acheter 300 kg d’aliments (viande en conserve, fruits dans le sirop et beurre).
Du côté du transport, quatre entreprises ont répondu à l’appel de cette mission d’urgence. Les Voyage Emile Weber ont prêté un camping-car afin de fournir un peu de confort aux six bénévoles, l’ACL a fourni une camionnette de 11 m3 et Stoll Trucks a fourni un 20 m3 pour acheminer le matériel et la nourriture jusqu’au camp de Siret.
À cela s’ajoute un don de la société Enii SARL afin de couvrir une partie des frais d’essence et la mise à disposition d’un hangar de la part de Techniport. À noter enfin, deux poids lourds remplis de produits d’hygiène affrétés depuis la France par la société Internationale Gojo.
Après ces quelques jours très intenses, ce sont au total 30 m3 de médicaments, de nourriture, de produits d’hygiène pour adultes et pour bébés, d’aliments pour animaux, de sacs de couchage, de couvertures pour un total de 7 000 euros que le convoi emporte avec lui à travers l’Europe.
Des milliers de Roumains solidaires
Ce lundi matin, tout est rangé au millimètre dans les deux camions stationnés sur le parking de Technoport à Mondercange. «Chaque carton est numéroté et tout qu’ils contiennent est listé pour notre propre organisation et en cas de controle aux frontières», explique Manon, 45 ans, habitante de Belvaux.
Dans le camping-car, le café coule dans les tasses pendant que Romain et Filipe analysent le trajet. La mission s’engage dans un périple d’environ 2 000 kilomètres à travers l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie et enfin la Roumanie.
Pas moins de deux jours d’un voyage qui s’annonce «long et fatigant» vers un endroit dont ils ne connaissent rien. «On ne s’attend pas à ce que ce soient des vacances. On risque de ressentir beaucoup d’émotions», reconnaît Manon.
Depuis les prémices de cette mission d’urgence, la communication avec les personnes présentes sur le camp de Siret s’est révélée compliquée. La ville se situe au nord de la Roumanie, à quelques kilomètres de la partie est de l’Ukraine. Un secteur épargné par la guerre. Pour le moment.
Les bombes russes sont tombées sur l’aéroport d’Ivano-Frankivsk, à un peu plus de trois heures de Siret, le 13 mars. Les populations affluent sur cette partie du pays pour fuir la mort et l’invasion menée par l’armée de Poutine.
«Sur les 90 000 déplacés accueillis à ce jour en Roumanie, un tiers est arrivé par le nord-est du pays», décrivent nos confrères du Monde. Le gymnase de l’école de la ville et le stade de football ont été réquisitionnés pour accueillir les réfugiés.
Pas question de tout déposer à la frontière puis de rentrer au Luxembourg
L’élan de solidarité de milliers de Roumains est exceptionnel. Toutefois, «la coordination est terrible, ils sont dépassés», souffle Géraldine. Selon l’organisatrice, de nombreux camps où les réfugiés sont en attente de papiers sont dispersés à plusieurs endroits de la ville.
Dans ce chaos humanitaire, elle compte faire le tour des petits camps, avec ses cinq compagnons, pour y distribuer du matériel et de la nourriture. «Pas question de tout déposer à la frontière puis de rentrer au Luxembourg.» Ils rentreront dimanche après quatre jours de route aller-retour et trois jours sur place.
Alors que les portes claquent quelques minutes avant le départ, quelques rires éclatent. Avant de sauter dans l’un des camions, Géraldine lance plein d’optimiste : «Je suis sereine et je pars sans stress. Le plus dur est fait au niveau de l’organisation et je m’attends à tout, une fois sur place. Pour chaque problème, il y a une solution.»