Cet été, l’Unesco nous fait redécouvrir les trésors classés de Luxembourg à travers différentes thématiques déclinées en six articles. La semaine dernière, nous vous parlions de l’histoire de la Ville à travers ses points de vue en hauteur. Dans ce troisième volet de notre série, on évoque le passé militaire de la Ville, ô combien important pour cette forteresse toujours en zone frontière.
Les formes escarpées de la capitale et sa forteresse sculptent la Ville de Luxembourg. Cette impressionnante infrastructure est d’ailleurs classée au patrimoine culturel de l’Unesco avec les anciens quartiers.
À l’origine, ce sont les Romains qui ont donné à ce territoire une première fonction défensive avec un fortin à la hauteur de la place du Marché-aux-Poissons. «Il y avait un carrefour de deux voies romaines et là se trouvait une tour de guet», rappelle Robert Philippart, le site manager de l’Unesco.
Mais la place forte prend de l’importance bien plus tard : «En 963, le comte Sigefroi, grâce à un acte d’échange avec l’abbaye Saint-Maximin de Trèves, acquiert le promontoire du Bock pour ériger son château et il crée également des remparts à hauteur de la place du Marché-aux-Poissons, puis une seconde enceinte construite entre la rue du Marché-aux-Herbes et la rue du Fossé. Dans la rue de la Reine, il y a d’ailleurs un accès à la crypte archéologique que l’on peut visiter sur demande auprès du Lëtzebuerg City Museum qui en a la clé. Cette crypte a été magnifiquement mise en valeur par le Centre national de recherche archéologique. Dans la rue de la Reine, il y a des panneaux descriptifs qui rappellent le tracé de cette ancienne enceinte qui fait partie de tout ce qu’on appelle aujourd’hui le « Wenceslas » qui englobe aussi les remparts du Grund. Pour les admirer, il faut recommander absolument l’itinéraire Wenceslas du City Tourist Office.» Les trois tours sont les principaux vestiges de cette enceinte médiévale qui subsistent aujourd’hui.
La Ville devient forteresse
La Ville a notamment été marquée par sa prise par les Bourguignons en 1443, sa prise par les Bourbons (donc Louis XIV) en 1684, sa prise par les troupes révolutionnaires françaises en 1795. Ce sont ces différents épisodes au cours des siècles qui vont forger la forteresse.
«La Ville va prendre le caractère d’une véritable forteresse à partir de la prise par le palais Bourguignon en 1443», complète le représentant de l’Unesco. Luxembourg est alors intégrée aux Pays-Bas bourguignons ce qui lui confère une situation totalement différente de celle qu’elle occupait avant, quand le Luxembourg n’était qu’un petit comté puis un duché.
«En intégrant un ensemble plus vaste, elle assure une défense extérieure car le Luxembourg était toujours en zone frontière. La garnison du Luxembourg a été bourguignonne, espagnole, française, autrichienne, à nouveau française puis devient en 1815 forteresse de la Confédération germanique. À force de changements de régime, à force d’améliorer les stratégies et l’ingénierie militaires, la forteresse a toujours été mise au point. Il y avait d’ailleurs encore des travaux de renforcement et de modernisation au mois de mai 1867 lorsque le traité de Londres déclare la Ville ouverte. Au moment où la Ville est démantelée, c’était une forteresse moderne comme on imagine encore de nos jours le Westwall ou la ligne Maginot qui dans nos têtes sont des infrastructures plus ou moins contemporaines. Ce n’était pas le site Unesco pittoresque d’aujourd’hui, un endroit à visiter, non, c’était une machinerie de guerre.»
Au XVIIe siècle apparaissent les bastions qui ont été renforcés par les travaux de Vauban et à partir de 1684 de nouvelles casernes se sont ajoutées à celles existantes, avec par exemple les Espagnols qui ont construit des casernes au plateau du Rham, à la Porte neuve qui n’existe plus. Il y a alors une nouvelle organisation, un renforcement de la place et de la stratégie grâce au travail de Vauban qui fait construire des bastions, des «fausses brêles» des casernes.
«C’est toute cette organisation qui change et qui fait vraiment du Luxembourg une des places les plus fortes qui lui valut au XVIIIe siècle le surnom de Gibraltar du Nord», indique Robert L. Philippart. Chaque époque a laissé son empreinte et c’est ça que l’Unesco a souligné, les remparts, les bastions de l’époque espagnole, française ou autrichienne, les casemates, les forts qui sont renforcés surtout à l’extérieur de la Ville, du côté du musée Dräi Eechelen…
Après le démantèlement
Au XIXe siècle, la Ville se transforme radicalement. D’importantes infrastructures sont créées : les viaducs dont un ferroviaire, de grands hôpitaux, des casernes, que ce soit l’actuel bâtiment Robert-Bruch à Neimënster ou les Archives nationales, «ce sont des très grands bâtiments qui ont laissé jusqu’ici leur empreinte malgré le démantèlement de la forteresse (de 1867 jusqu’à 1883) qui fait aussi partie de l’histoire de la Ville et qui fait que tous ces espaces ont été transformés», souligne Robert L. Philippart.
La ceinture intérieure est d’abord supprimée notamment rue des Bains, rue Aldringen, ou dans la rue Notre-Dame rectifiée. Grâce à ces ouvertures, la Ville s’aère, des boulevards se créent : boulevards Royal, Prince-Henri, Joseph-II. «C’est la nouvelle Ville, la ville hygiénique comme on disait à l’époque avec des fenêtres verticales, largement aérées, bien éclairées alors que les bâtiments des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles étaient entassés dans la vieille ville, raconte le site manager. Il y a eu des rapports (1906) sur l’insalubrité qui montraient que les gens ne disposaient pas de sanitaires, que les niches dans les rochers étaient utilisées pour faire ses aisances, mais aussi stocker les aliments. Tout cela représentait à cette époque un parc immobilier suranné. Si de nos jours, il paraît très pittoresque et fait partie de notre identité, au XIXe siècle on ne voyait pas les choses de cette façon. Il faut aussi noter l’arrivée de la canalisation, des trottoirs, et du tram (1875). Il y avait déjà du trafic, les avenues qui ont été dessinées autour du noyau (devenu centre politique) avaient une largeur de 20 mètres, ce qui correspond à la largeur des routes nationales en France. C’est la modernité qui arrive, influencée non seulement par les régimes militaires, mais surtout par la ligne droite du chemin de fer. C’est l’ingénierie qui dicte alors la conception de l’espace.»
Audrey Libiez