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[Les succès de l’écologie] Dure, la vie de chouette


Le Sicona a lancé son projet en 2000. Il ne restait alors pas plus d'une vingtaine d'individus au Grand-Duché. (Photo : Sicona)

Un programme du Sicona tente de pérenniser la présence de la chouette chevêche, en grand danger au Luxembourg. Une opération bien compliquée.

La chouette chevêche est l’une des cinq espèces de chouettes vivant au Grand-Duché. Mais elle est bien plus en danger que le hibou grand-duc (revenu après avoir disparu dans les années 1940), le hibou moyen-duc, la chouette hulotte et la chouette effraie.

Dans les années 1960, on dénombrait plusieurs milliers de couples de chouettes chevêches au Grand-Duché. En 2000, il n’en restait plus qu’une vingtaine sur sept lieux d’habitation. À peine 1 % de la population 40 années auparavant… C’est alors qu’a été lancé le projet de sauvegarde piloté par le Sicona, «la situation était dramatique», reconnaît Fernand Schoos, qui porte le destin de ces chouettes à bout de bras.

Comme souvent, c’est la perte rapide de leur habitat qui a causé la chute spectaculaire de la population. «Les chouettes chevêches nichent autour des villages et ont besoin de prés pâturés, de vergers, de chemins creux ou de cours de fermes pour se nourrir, explique Fernand Schoos. Or ce cordon vert a disparu pour faire des lotissements. Beaucoup de bonnes terres et de vieux arbres ont disparu.»

L’intensification de l’agriculture n’a pas aidé l’oiseau à se nourrir. Contrairement à ses congénères, il chasse à l’œil à l’aube et au crépuscule et a donc besoin de voir ses proies (mulots, insectes…) pour les traquer. La disparition des bosquets, véritables garde-mangers, pour des raisons agronomiques est un coup dur.

Dans les grands champs densément plantés, la chouette chevêche n’a aucune chance de festoyer. Or les pâtures où l’herbe est mangée par les animaux ont quasiment disparu pour la simple et bonne raison que les bêtes sont nourries à l’étable avec l’herbe fauchée mécaniquement.

Cette disparition du bétail à l’air libre cause un deuxième problème. La chouette chevêche aime les gros insectes. Parmi eux, les coléoptères coprophages tiennent une place de choix. Mais sans bouses, ils ne sont plus là. Et, parce que la chose est décidément bien compliquée, les quelques têtes qui restent dehors sont traitées contre les parasites… Ce qui a pour conséquence de ne rien laisser à manger aux coléoptères dans leurs excréments.

Dernière difficulté (et pas des moindres) la chouette chevêche est un oiseau qui vole bas. «Elle est très vulnérable au trafic routier, souffle Fernand Schoos. Si un couple s’installe à proximité d’un axe fréquenté, sa chance de survie est pratiquement nulle dès la première année.»

Pour répondre à une urgence qui n’excluait pas l’extinction définitive de l’espèce au Luxembourg, le Sicona a lancé un monitoring pour mieux comprendre le mode de vie de la chouette chevêche afin de mieux protéger les paysages dont elle dépend. Là où des zones d’habitat potentiel étaient repérées, des nichoirs ont été installés pour faciliter l’installation de nouveaux couples. Aujourd’hui, il y en a plus de 400.

Malgré les efforts entrepris pendant de longues années, au début, les bénéfices n’ont pas été spectaculaires. Entre 2002 et 2010, le nombre de couples répertoriés oscillait entre 5 et 11. Ce relatif statu quo est pourtant une petite victoire puisque «sans ses mesures, elles auraient disparues», estime Fernand Schoos.

Et puis, enfin, la courbe s’est envolée. De 10 couples en 2010, on passe à 17 en 2011 et 27 en 2012. Cette même année, le Sicona a même compté 100 naissances : une véritable explosion démographique, c’est deux fois plus qu’en 2011! «À ce moment-là, je me suis dit que c’était gagné», se souvient celui qui est l’un des fondateurs du Sicona.

Mais le ton vaguement amer de sa voix laisse comprendre que ce sentiment n’est plus le même aujourd’hui. «L’hiver 2012/2013 a été extraordinairement rude, avec cinq semaines de neige pendant lesquelles les adultes n’ont presque pas pu trouver de nourriture pour leurs petits. Lorsque le printemps est venu, il n’y avait presque pas de souris non plus», avance-t-il, dépité par ce coup du sort. «Des 100 petits qui sont nés en 2012, seuls deux ont survécu à l’hiver. Et il n’y avait plus que 23 couples d’adultes.» La désillusion était grande, comme si l’élan porté pendant plus de dix ans n’avait servi à rien. «On s’est dit qu’il fallait tout recommencer», raconte Fernand Schoos.

Et depuis? La situation ne s’est pas véritablement améliorée. En 2014, s’il y a eu près de 60 naissances, le nombre de couples a encore diminué. Il n’y en a plus que 19. Or cette fois, l’hiver n’a pas été traitre. «En toute honnêteté, nous ne savons pas ce qui s’est passé», avoue le gestionnaire du Sicona un peu inquiet. «Nous attendons le monitoring de l’an prochain avec impatience», reconnaît-il.

Est-ce que la recrudescence du nombre de fouines peut-être la raison de cette mortalité inattendue? Est-ce que le raton-laveur, une autre espèce qui prend ses aises et dont un individu a été pris en photo sur un nichoir, est un nouveau danger? Pour l’instant, aucune réponse définitive n’est avancée.

Toujours est-il que ce programme est l’exemple parfait pour montrer qu’en termes de protection de la nature, rien n’est gagné d’avance. Les efforts ne valent que s’ils se font sur le long terme et sur un espace géographique pertinent. «Travailler sur notre seule région ne suffit plus, assure Fernand Schoos. Une femelle baguée à Beckerich a été repérée dans la Marne, à 133 km de son lieu de naissance. Trois autres vivent à Euskirchen, près de Bonn (Allemagne), à 110 km. Il serait temps de mettre sur pied un programme à l’échelle de la Grande Région.»

Erwan Nonet

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