Le 9 décembre, le conseil d’Esch-sur-Alzette se prononçait sur la réforme des fabriques d’église : quatre élus de la majorité s’opposaient au texte. L’échevin à l’Intégration, Dan Codello, détaille un choix parfois mal compris.
C’est assez rare qu’une majorité politique s’oppose sur un sujet de fond au Luxembourg, pays de consensus…
Dan Codello : Ne pas se borner à suivre sa majorité, c’est la démocratie! Allons quoi, les échevins devraient s’enfermer dans un rôle de machine à valider ? Je ne le crois pas. Je le crois encore moins quand le sujet est d’une telle importance. Le jour du vote, la salle du conseil d’Esch-sur-Alzette n’avait jamais été aussi remplie…
Qu’y a-t-il de si important dans la réforme des conseils de fabrique d’église ?
Cette réforme a été mal amenée. Les croyants y ont vu les prémices de la séparation de l’Église et de l’État. Le projet a amené de la crispation chez nos concitoyens, de façon assez inutile. Vous savez qu’après le vote, des Eschois catholiques – dont je ne soupçonnais pas la foi – m’ont interpellé dans la rue ? Ils me disaient : « Bravo pour votre courage ! » En réalité, je ne suis le chevalier blanc d’aucune cause, je me suis posé la question de façon pragmatique : la commune a-t-elle intérêt à transférer la propriété de trois églises historiques à un nouveau fonds religieux? J’ai répondu non.
Pourquoi refuser le transfert de propriété de ces églises ?
L’argument numéro 1 est d’ordre juridique. Le gouvernement nous a obligés à un choix dans un contexte flou, alors que la loi n’était même pas passée devant le Conseil d’État. Un autre argument est financier : les trois églises que nous allons transférer ont fait l’objet d’investissements réguliers, coûteux, et elles sont en parfait état. Et nous allons les donner – 0 euro ! – à un fonds qui n’existe pas encore, dont on ne connaît même pas la solidité. Le troisième argument est d’ordre patrimonial : nos églises ont un intérêt architectural certain. Saint-Joseph, construite à la fin du XIXe siècle, est un bel exemple néo-gothique. Le Sacré-Cœur, véritable repère pour tous les habitants du Brill, est un superbe exemple d’architecture Bauhaus. Pourquoi brader notre patrimoine ainsi ? Enfin, je note que de nombreux évènements publics et non religieux sont organisés dans ces édifices. Regardez ce mois-ci encore, nous avons du jazz à Saint-Joseph. Ce sont de beaux évènements : il aurait fallu garder la main là-dessus.
Certains vous répondront qu’il est temps que l’Église assume la gestion de ses biens. Les conseils de fabrique datent d’une loi napoléonienne !
Dans ce cas, posons la question de la séparation des Églises et de l’État au Grand-Duché. Mais posons-la franchement, en mettant tous les cultes autour de la table, et pas seulement les catholiques. Je n’ai pas de soucis avec le changement, je pense qu’il est toujours bon de se poser des questions et de débattre.
N’y a-t-il pas le risque, avec ce vote, de faire le jeu d’un électorat réticent aux changements ?
Moi, je n’aime pas les étiquettes. Parce qu’on est socialiste, on ne doit pas échanger avec l’Église ? Je prends les gens comme ils sont, avec tout ce qu’ils ont de bon. Si mes premières motivations ont été juridiques et culturelles, comme je l’ai expliqué, j’ai aussi considéré mon rôle d’échevin à l’intégration. Oui, je n’ai pas peur de le dire, certains hommes d’Église font un travail remarquable pour intégrer ceux qui viennent de loin. Je vous renvoie à l’ouvrage de Benito Gallo, réédité pour la seconde fois : Centenaire. Les Italiens au Luxembourg (éd. Convivium). Il a tellement fait pour les Italiens d’Esch-sur-Alzette… C’était un prêtre, et alors ?
Le personnage a l’air intéressant. Mais comment considérer la religion à sa juste place, en tant qu’élu ?
Je suis un pragmatique, voilà tout. Dans le puzzle de l’intégration, je pense que chaque pièce a son importance, chaque personne a sa place. Celui qui croit, comme celui qui ne croit pas…
Entretien avec Hubert Gamelon
La réforme
La réforme des conseils de fabrique est en gestation depuis 2015. Elle prévoit la création d’un fonds géré par l’Église catholique en remplacement des 285 conseils de fabrique du pays. Elle prévoit également un inventaire précis des édifices propriétés de l’église, et ceux propriétés des communes.
Dans le deuxième cas, les édifices pourront être éventuellement désacralisés. Dans le premier cas, c’est à l’Église d’en assumer la charge financière, et non plus à la commune. Le projet est pour le moment sur le bureau du Conseil d’État, qui doit rendre son avis, notamment sur les possibilités de cofinancement église-commune dans certains cas d’exception.