C’est un lieu à part, à deux pas de l’église Saint-Joseph, qui ressemble autant à une salle de classe qu’à un café des amis… Bienvenue au Esch Rochade Reine, le club d’échecs fondé en 1924 !
C’est une institution eschoise, un club typique de ce Sud chaleureux, des gens qu’on y rencontre, des ambiances qu’on y trouve. Ici, on joue aux échecs comme on joue au foot. Les Italiens parlent de leur défense en citant Arrigo Sacchi. Un jeune Congolais tente un coup de génie contre un vieux loup du club. On ne la lui fait pas ! Ça parle un français fleuri, un luxembourgeois mâché comme de l’écossais. Chacun ramène sa science. Le matheux calcule ses combinaisons, l’historien explique que les échecs sont «une histoire de géopolitique». Encore un peu et on nous ferait croire que Poutine vient s’entraîner tous les jeudis au Esch Rochade Reine !
«Vous savez, sourit David Mertens, le président du club, dans les années 90, nous avions tous les réfugiés de Yougoslavie qui venaient jouer. Est-ce que ça les a aidés à s’intégrer ? Je n’en sais rien. Mais ça leur faisait passer du bon temps. Et même sans parler, on se comprenait autour de l’échiquier.» Les échecs sont un jeu, un sport aussi, une philosophie de vie presque. «Non, la vie est beaucoup plus complexe que les échecs, plaisante David. Ce jeu est tellement fastoche… ce sont les possibilités qui sont infinies.»
Le Esch Rochade Reine est l’un des plus vieux clubs d’échecs du pays. Fondé en 1924, il résulte de la fusion de deux équipes phares d’Esch-sur-Alzette : le Rochade («roque» en allemand, le fameux coup d’échange entre le roi et la tour) et la Reine. «Elle-même issue d’une fusion entre Esch-Gare et Esch-Gambit, détaille David Mertens. À l’époque, tout le monde jouait aux échecs dans les cafés. Les clubs étaient plus nombreux.»
L’âge d’or est passé, mais le club n’est pas mort ! «Nous apprenons le jeu aux enfants, explique David, qui possède un diplôme d’éducateur ‘C’, tout comme Marcello Galli, autre pilier du club. Mais les Luxembourgeois ne s’y intéressent plus.» Pas plus que les Portugais, d’ailleurs, ce qui est assez déplorable, étant donné que ce sont les deux nationalités les plus représentées à Esch. Les jeunes Chinois, Ukrainiens, Congolais et, plus globalement, toute l’Europe de l’Est sont bien représentés au club.
Les enfants s’entraînent le samedi après-midi dans la salle du club, à côté de l’église Saint-Joseph. Les adultes, eux, s’entraînent tous les jeudis soir. «C’est plutôt une ambiance café», corrige David. Les 50 membres du club ont d’ailleurs rénové les lieux de façon bénévole : un bar à l’intérieur, une bibliothèque fournie de livres modernes et techniques sur les échecs, des chronomètres, des tables… et même une arrière-cour pour les grillades l’été ! «C’est Marcello qui a refait le mur, glisse Jean-Paul Meisch, le trésorier du club. On fonctionne au bénévolat, ce n’est que de la passion !» Marcello n’est pas peu fier de sa réalisation. Derrière ses petites lunettes, il explique qu’il aimerait bien voir des graffeurs y peindre une fresque. C’est ça, la mentalité du Esch Rochade Reine : une ouverture d’esprit, des intellos qui ne se prennent pas au sérieux. «Non, reprend David, les échecs ne rendent pas plus intelligent que la Playstation. D’ailleurs, on a une console aussi, et quand les enfants s’entraînent, on fait aussi des pauses foot sur l’écran.»
Quand il était petit, David s’est intéressé aux échecs grâce au foot. «Les entraînements avaient lieu à l’école Dellhéicht. À la pause, on tapait dans le ballon… Au début, je venais surtout pour le foot !» Aujourd’hui, les échecs font partie de sa vie et ont forgé son caractère. Une passion qu’il voudrait continuer à transmettre. «De toute façon, il n’y a pas d’âge pour apprendre…» La porte est ouverte.
Hubert Gamelon